Chapitre 9
Thomas encaissa le choc. Si près du but. Jamais il n'aurait la certitude de ce qui s'était joué autour du Vase en forme de femme.
L'infirmière se méprit sur son air déconfit :
— Vous venez de croiser la famille. Peut-être pourrez-vous les accompagner à l'enterrement ?
Thomas remercia et ressortit vivement. Sur le parking arboré, il aperçut une jeune femme en manteau noir qui montait dans un véhicule. Il descendit les marches quatre à quatre et se précipita vers la voiture qui démarrait.
Il toqua à la vitre. La jeune femme ouvrit sa fenêtre.
— Oui ?
— Vous allez à l'enterrement de Valdur Saks ?
— Oui. Vous le connaissiez ?
— Non, mais j'avais rendez-vous avec lui pour évoquer ses années dans la Légion.
— J'imagine qu'il vous faudra trouver un autre témoin alors.
Elle s'apprêtait à relever sa fenêtre. Thomas joua son va-tout :
— Je peux venir avec vous ? C'est idiot, mais je me sens un peu coupable.
La jeune femme le regarda intensément. Elle le détailla, haussa les épaules et se pencha vers le siège passager. Elle ouvrit la porte.
— Montez.
*
Dans la voiture, elle se présenta :
— Clara. Petite-fille du défunt.
— Thomas. Étudiant en histoire de l'art.
— L'histoire de l'art ? Je croyais que vous vous intéressiez à la Légion ?
Thomas hésita puis décida de jouer franc jeu.
— En réalité, je m'intéresse surtout à son passage à l'atelier Madoura en 1948. Il a travaillé avec Picasso.
Clara tourna vivement la tête vers lui.
— Pépé a connu Picasso ?
— Il semblerait. Vous ne le saviez pas ?
— Il ne parlait jamais de sa « vie d'avant », comme il disait. Juste de la Légion et de ses campagnes.
Elle se concentra sur la route. Au bout d'un moment, elle ajouta :
— Mon père détestait Pépé. Ils ne se parlaient presque plus. C'est pour ça que je suis seule aujourd'hui.
Thomas acquiesça sans rien dire. Ils roulèrent en silence quelques minutes. Puis Clara reprit :
— Ce matin, j'ai récupéré ses affaires à la maison de retraite. Un vieux carton avec trois bricoles. Il n'avait presque plus rien.
— Ça a dû être difficile.
— Oui. Enfin, Pépé vivait comme ça. Sans attaches.
Clara poursuivit :
— On avait un rituel, lui et moi. Tous les mois, il m'emmenait dans un restaurant à Auriol. Le Bistro de la Mer. Il commandait toujours un plateau de fruits de mer et me racontait des histoires de la Légion. Il disait que ça lui rappelait Marseille.
— Marseille ?
— Oui. Il y avait travaillé dans les années soixante-dix, je crois. Il en parlait comme de la plus belle période de sa vie en France. Allez savoir pourquoi.
Thomas ne dit rien. Les années soixante-dix. Le chantier du Centre Bourse. Le vase enfoui.
Clara se gara sur le bas-côté d'une petite route de campagne.
— On y est. Le cimetière est juste là.
Elle descendit et Thomas la suivit. Devant eux, un petit cimetière provençal s'étendait sous les cyprès. Malgré la saison, le temps semblait clément.

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