Chapitre IV

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 Un sursaut, Nick se réveille dans une chaleur confortable, un magnifique lever de soleil perce les rideaux. Le jeune banquier rebelle est de retour, ce n’est plus un vulgaire cadavre en décomposition, mais un pimpant humain.

 L’envoyé de Lucifer respire à plein poumon comme un nouveau-né qui voit la lumière. D’un œil circulaire, il prend conscience que son corps n’est plus au cimetière, sous sa main gauche repose une bordure en céramique, sur sa droite, des carrelages, Nick s’éveille dans une salle de bain. Le revenant tourne sa tête, le visage tuméfié de Dame Nature le saisit aux trips, elle semble envahie par la peur.

 Les deux entités se fixent du regard, elles restent dans cette posture durant une bonne minute avant que la mère de tout le monde à la chevelure châtain ne revienne à elle. Nick tente de se lever de la baignoire marquée par une poussière noiraude.

  • Prend ton temps, ça peut-être déroutant au début, détend la voix rassurante qui souffle sur les bougies de la baignoire.

 Nick se redresse dans la baignoire en suivant le conseil, le tout, aussi frais qu’un lombric.

  • Il y a des affaires sur l’étendoir, continue Dame Nature.

 Elle aide le ressuscité à sortir de sa baignoire. Nick se change lentement, un peu gêné d’être nu devant une femme, alors qu’elle nettoie la crasse de la baignoire, surement engendrée avec la résurrection.

  • Ne fais pas attention à moi, j’en ai vu des gens nus, donc ce n’est pas aujourd’hui que ça va me choquer, rassure-t-elle en astiquant la saleté bien accrochée.

 Déboussolé, Nick se change, il enfile son jean ainsi que son t-shirt, sans oublier ses chaussures. Diable, pourquoi lui a-t-on fourni un poncho ? Aucune idée, mais il est au toucher, aucune douceur ne peut rivaliser. Dans l’une des poches derrière la face, un message de Lucifer lui est destiné.

 « Prends soin de ce poncho, il provient de la maison, en plus d’être la texture la plus douce qui soit, et j’en remercie mes alpagas, il ne laissera rien passer, balles, couteaux ou autres choses tranchantes. Fais-moi confiance, il est indestructible. De plus, il ne prend pas la pluie. Fais attention cependant, il a tendance à fumer sous l’eau. Je sais bien que ta mission est sérieuse, mais amuse-toi quand même Nicky ;) » a rédigé Lucifer avec une petite queue fourchue sur le Y de son acolyte.

 Nick enfile ce poncho beige impeccable qui se marie avec des formes géométriques y implémentant du noir et du marron. Il est si confortable et léger, de plus il possède une capuche assez lourde pour lui cacher le visage et ne pas s’envoler au moindre balayant de l’air. Ce poncho est un peu plus travaillé que tous les autres, la coupe est dessinée, parfaite pour Nick.

  • Ça te va plutôt bien, rebondit Dame Nature, alors qu’elle marque une pause dans son nettoyage.
  • Nat, c’est ça ?
  • C’est Lucifer qui t’a donné ce nom ? Il est incorrigible… Dame Nature, se présente-t-elle.
  • Enchanté. Moi c’est Nick.
  • Je sais qui tu es.
  • Lucifer vous a dit ce que je suis censé faire ici ?
  • Oui, tout le monde est au courant.
  • Ah… Vous auriez une idée d’où je pourrais commencer ?

 La mère nourricière réfléchit longuement.

  • … Suis ton chemin, tu tomberas quoi qu’il arrive sur quelque chose. Si tu as la chance de croiser Scynthia, tu peux lui demander de l’aide, c’est elle qui ressent les âmes, répond-elle d’un œil brillant.
  • D’accord, je note… Bon, et bien à la revoyure, j’ai une ville à redécouvrir et une voiture à retrouver si vous me le permettez.
  • Bonne chance dans ta quête. Eh, Nick ?
  • Oui ?
  • Quand tu affronteras les ténèbres, ne retiens pas tes coups, ce sont les pires ordures sans morale. Démolis-les.

 Nick acquiesce sans un mot, il hoche la tête puis salue Dame Nature en quittant la chambre d’hôtel. Il dégaine ses nouvelles lunettes aux verres fumés d’une poche du poncho, le nouveau Nick est maintenant prêt, « Allons sauver le monde. » songe-t-il en souriant, poussé par la fierté de son pacte.

 Prochaine direction, son ancienne maison, il doit savoir si sa fiancée y habite toujours, et surtout, si la Shelby de son père y réside encore.

 C’est un nouveau San Francisco qu’il redécouvre, six ans chez les morts, ça fait oublier à quoi ressemble la Terre, celui qui tourne. Les employés se regroupent pour rejoindre leur travail, une tâche désormais anecdotique dans la seconde vie de Nick. Il foule le sol avec un certain goût, le monde des vivants possède une atmosphère bien différente que celle des Limbes, une saveur plus maussade, moins amusante, plus terne. Mais ces paysages de San Francisco lui manquaient, pendant deux bonnes heures, il joue la carte du touriste, ça lui fait drôle de revenir.

 Pas après pas, Nick rejoint son ancienne maison, plus il s’en rapproche, plus le mal être le prend à la gorge, ce n’est pas lui, mais plutôt son instinct qui ne le met pas en confiance. Avant de monter les escaliers, il jette un rapide coup d’œil au garage, en regardant à travers les fenêtres hautes de la porte, la tendre GT500 de son père n’y dort pas.

 Nick sonne. Une femme, la ménagère d’une quarantaine d’années, lui ouvre.

  • Je me présente, Nick, je cherche à me renseigner sur quelqu’un qui a vécu ici il y a six ans.
  • Vous n’êtes pas au courant ?
  • Non, pendant six ans j’ai beaucoup voyagé, donc les nouvelles, je les ai quelque peu ratés, s’excuse l’importun.
  • Vous en avez de la chance… Il y a six ans, un jeune couple vivait ici. Lui était banquier si mes souvenirs sont bons, et sa fiancée n’avait pas de travail. Ce couple vivait parfaitement bien, jusqu’au jour, où la femme, qui était une veuve noire, frappa. Son fiancé est mort dans son sommeil.

 Nick manque de tomber dans les escaliers sous la nouvelle. Comment ? Comment son ex-fiancée a-t-elle pu ? Et c’est elle qui a récupéré la voiture ? Les narines du démon intérieur se dilatent. Un nouvel objectif se soude à sa quête.

  • Ça va ? rattrape la ménagère.
  • Oui oui, un vertige. Continuez, je vous écoute.
  • Malheureusement pour le fiancé, elle a disparu.
  • Mince… Et ses affaires ? Elle les a prises ?
  • Non.
  • Même pas sa voiture ?
  • Non plus, sinon la police l’aurait déjà retrouvée.
  • Ses affaires ont donc été vendues aux enchères non ?
  • Oui, mais pourquoi elles vous intéressent ?
  • C’est une longue histoire. Merci de votre aide. Que Dieu vous bénisse, ma petite dame, se permet Nick en apercevant la croix autour du cou.
  • Et vous, qu’il guide vos pas.

 Nick part, le registre des ventes devient sa nouvelle direction. Une voiture circule devant lui, une bande de jeunes s’amuse, il rumine sa haine, son ex-fiancée l’a trahie… Ce n’est pas pour rien que ce péché est au dernier cercle de Dante. Nick désire bien envoyer Hannah là-bas, dès qu’il tient le volant de sa Shelby, la veuve noire va avoir du souci à se faire. À contenir son désir de vengeance, il marche d’un pas rapide vers l’hôtel de ventes sans s’en rendre compte.

 L’homme, au costume passe-partout, derrière l’accueil, aperçoit ce gaillard aux lunettes de soleil et son poncho, première fois qu’il voit un énergumène pareil.

 Nick se présente amicalement au comptoir qui possède un superbe miroir sur le mur au dos de l’homme, mais l’hôte de réception reste froid, avec un certain regard hautain. L’inconvenant demande à aller trifouiller dans les archives, au début, l’humain à l’accueil grogne son refus, mais Nick insiste lourdement.

  • Écoutez, personne n’aimerait apprendre que vous revendez des objets volés. Si les acheteurs découvrent que vous faites du recel, je ne mise pas longtemps sur votre notoriété, met en garde Nick.
  • Et qu’avons-nous vendu comme objet volé ?
  • Une Shelby GT500 de 1967, immatriculée 4 NRM 476, elle s’est vendue il y a cinq ou six ans.
  • Je regarde… souffle l’homme derrière son écran.

 Il pianote encore et encore, jusqu’à ne plus bouger et sortir machinalement :

  • Cette voiture n’a pas été volée, monsieur, elle était la propriété d’un défunt, personne ne s’est réclamé de la famille. Alors la voiture, ainsi que toutes les affaires de cette personne ont été vendues par le gouvernement.

 Nick plisse les yeux sur miroir impeccable, les employés de ménages font parfaitement leur travail, il grave l’adresse dans son esprit.

  • Monsieur ?
  • Eh bien oui ! revient sur Terre Nick. Je suis de la famille, et je viens de très loin, d’Écosse pour être précis, vous m’excuserez, mais les nouvelles ne vont pas vite par chez nous, surtout quand nous ne sommes pas prévenus.
  • Excusez-moi, mais je ne gère pas ce problème, c’est à l’État de Californie qu’il faut vous plaindre.
  • Cette voiture ainsi que toutes ses affaires sont censées revenir à ma famille.
  • Je suis désolé monsieur, mais les affaires ont été vendues, je regrette.
  • Je vois ça ! Je vous en prie, donnez-moi au moins l’adresse de l’acheteur de la Shelby, elle comptait énormément pour Scott, mais aussi pour son oncle comme à son père. Ce n’est pas grave si nous devons la repayer, tant qu’elle est au showroom du manoir, ça nous ira.
  • Bien sûr, cogite l’homme. Puis-je voir votre pièce d’identité ou votre passeport pour au minimum valider vos dires ?

 Nick se rend compte d’un problème… Où sont ses papiers ?

  • Bien sûr que je les ai ! beugle-t-il.

 Jouant la comédie, il cherche encore et encore dans son poncho, dans son jean, partout, mais il n’a rien.

  • Alors ?
  • Je ne les retrouve pas, pourtant en sortant de l’aéroport ils étaient sur moi. Merde ! Non, pas cette poche, j’ai déjà fouillé… Où j’ai bien pu les perdre ? cogite Nick, toujours en jouant la comédie. Je vais revenir, et avec mes papiers cette fois-ci !

 Le soi-disant Écossais tourne les talons et presse le pas en direction de la sortie. Cet hôte d’accueil n’est pas prêt de le revoir, l’adresse est déjà gravée dans l’esprit du poncho qui disparaît.

 Le revenant s’assied sur un banc après une longue marche de réflexion, il joint ses mains et prie pour contacter son chef, Lucifer. Los Angeles, c’est loin à pied, et puis en bus, en train ou en avion ce va être compliqué sans le moindre dollar.

 Quelque trente bonnes minutes plus tard, un rugissement unique se fait entendre au loin. La magnifique Shelby Cobra noire mat avec deux bandes blanches se gare devant le banc en centre-ville.

  • Y a-t-il eu de l’avancement dans ta quête ? demande-t-il avec le sourire.
  • Oui, affirme Nick en montant dans la voiture.
  • Alors, le poncho te plait ?
  • Au début j’étais dubitatif, je n’ai pas vraiment compris pourquoi tu m’as offert ça, mais finalement, je l’apprécie plutôt bien, en plus je n’ai pas trop chaud avec.
  • C’est normal, il est thermorégulant, content qu’il te plaise. Alors, pourquoi m’as-tu appelé ?
  • Déjà, première chose, et pas des moindres, tu aurais mes papiers ?
  • Tes pap… Mince, c’est ça qu’on a oublié ! Attends, ne bouge pas.

 Lucifer décroche le combiné dans sa voiture pour composer un numéro.

  • Oui ? Angelina ? … Tu peux me préparer les papiers pour Nick ? On a oublié ça avant son retour sur Terre. … Ça va, pas la peine de te moquer de moi, un oubli, ça arrive. … OK, merci, tu es un ange, taquine à son tour le Diable. Au fait, Nick, tu as un nom de famille en tête ?
  • Oui, j’y pense depuis tout à l’heure, Hellwood. insiste beaucoup sur la prononciation, Nick.
  • OK. Hellwood, répète-t-il à sa secrétaire. D’accord. C’est bon, raccroche Lucifer. Ils vont s’occuper de ça en Enfer.
  • En Enfer ?
  • En Enfer, dans les Limbes, pour moi c’est le même lieu.
  • Mais je croyais qu’il fallait prier pour communiquer avec l’autre monde ? montre du doigt le téléphone Nick.
  • En priant, je n’ai que la demande d’aide, pas la communication. Alors qu’avec le téléphone, je peux appeler n’importe quel numéro important.
  • Mais comment ça marche ? est curieux Nick.
  • Ma voiture vient de l’Enfer, quoi qu’il arrive, elle a toujours un lien direct avec l’autre monde.
  • Tu pourras mettre ça sur ma Shelby ?
  • Bien sûr. Tu voulais quoi d’autre sinon ? Bien que tes papiers soient importants.
  • Je dois aller à Los Angeles.
  • Oui, et ?
  • Tu m’y emmènes ? demande Nick avec des yeux doux.
  • Tu ne peux pas prendre l’avion comme tout le monde ?
  • Avec quelle carte d’identité et quel argent ?
  • Tu marques un point… Bon, d’accord… Mais c’est vraiment parce que ça fait longtemps que je n’ai pas fait un petit road trip.

 Lucifer change de radio, la musique devient plus lancinante, idéale pour avaler des kilomètres et des kilomètres. C’est parti pour environ sept cent treize kilomètres. Le conducteur tourne un bouton sur le tableau de bord, le rugissement se tue pour accentuer le confort de route, il n’y a plus qu’un frémissement des pots agréable et doux. Ce qu’il faut parfaitement pour ne pas finir avec la tête comme une pastèque. Le soleil surplombe la ville, la chaleur printanière grimpe, que demander de mieux pour une traversée ? Avec en prime, le Diable.

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