Chapitre V

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 L’air salin emplit les narines des deux habitants infernaux, de temps à autre ils s’amusent lorsque la route le permet. Une ligne de lumières sur le tableau de bord précise quand la Hell Cobra est surveillée, plusieurs codes couleurs aident le chauffeur. Tout terrien penserait que cette barre lumineuse est un guide pour passer sa vitesse au meilleur moment, mais ça n’en est rien. Si aucune LED ne brille, la voiture peut aller et venir en Enfer, personne ne la voit ni ne soupçonne sa présence. La diode verte signale qu’une ou des personnes se trouvent dans les environs, mais ne pressentent rien. La diode jaune suggère que des gens figurent aux alentours et suspecte la Cobra, mais ils ne l’ont pas en visuel. La diode rouge indique que des humains ont la Shelby dans leur œil, il est donc interdit de voyager. Quant aux deux autres LED bleues, elles mentionnent la présence des forces de l’ordre, bleu clair pour un policier ou militaire dans le coin, bleu foncé pour témoigner que la Shelby se reflète dans les jumelles.

 Tant que la bleue claire n’est pas allumée, Lucifer et Nick s’amusent en roulant à toute vitesse, le chauffeur conduit sacrément bien, il possède un bon coup de volant.

 Le duo borde la route côtière, quitte à avaler de l’asphalte, autant faire défiler un paysage de Dame Nature, ça fait longtemps qu’ils n’ont pas ressenti un décor terrestre.

 La Cobra se repose dans un restaurant routier. Elle refroidit sur le parking, bien que la chaleur ne soit qu’anecdotique dans sa solidité infernale. Les deux hommes descendent plusieurs bières, Nick retrouve cet effet perdu en Enfer, l’alcool lui monte rapidement à la tête, tandis que Lucifer, il lui faut plusieurs fûts pour tituber.

 Un rugissement de V8 gronde. Nick se tourne en tapant sur l’épaule de son roi.

  • T’entends ? Je crois qu’un type a une bagnole de l’Enfer.
  • Calme-toi, c’est juste Angelina qui arrive.

 Curieux, Nick sort du restaurant alors que Lucifer continue de boire son verre. L’ancien humain reste ébahi devant la Dodge Charger de 1970 à la couleur nocturne, un mauve profond qui au soleil qui vous rappelle l’univers ; seuls les peintres les plus expérimentés sauraient égaler les doigts divins qui ont touché cette pure beauté. La calandre grillagée noire ainsi que son énorme prise d’air sur le capot poussent l’agressivité à son paroxysme. Nick stagne, la bouche à avaler des mouches, devant l’icône des années muscle car. Angelina claque la porte comme un bourrin têtu.

  • Mais doucement avec cette beauté ! ne se retient pas Nick.
  • Ça va, dédramatise la secrétaire. Avant de la casser, je peux y aller.
  • Oui, mais quand même, vas-y mollo.
  • Tu vas arrêter ? C’est ma voiture, j’en fais ce que je veux.

 Nick n’enchaine pas, elle a parfaitement raison.

  • Allez Nicky, viens, j’ai tes papiers.

 Tous les deux entrent et se posent à côté de Lucifer, alors qu’il discute sur une profonde réflexion avec la jeune serveuse qui voudrait se lancer dans la chanson.

  • Angelina, Nick, vous allez me dire ce que vous en pensez, écoutez la chanter, demande le roi mélomane.

 La jeune serveuse, pleine de passion et d’ambition, se lance, un peu timide sur le début, mais entraînée par Lucifer, elle se jette avec l’un des titres préférés du Diable.

“[...]Pleased to meet you hope you guess my name

But what's puzzling you is the nature of my game

Just as every cop is a criminal

And all the sinners, Saints

As heads is tails, just call me Lucifer

'cause I'm in need of some restraint

So if you meet me, have some courtesy

Have some sympathy and some taste

Use all your well learned politesse

Or I'll lay your soul to waste”

  • Au lieu de chanter, tu ferais mieux de bosser, coupe le chef cuistot.
  • Laissez-la s’exprimer, elle a une voix sublime, défend Lucifer.

 Nick saisit ce que son chef insinuait. Cette fille maitrise la vocalise, au-delà des paroles, le petit de Lucifer ressent cette émotion transmise avec les cordes vocales, comme si les sentiments pouvaient être compris, sans pour autant parler la langue.

  • C’était quoi ça ? demande-t-il.
  • De quoi ? se retrouve le concerné avec un sourire.
  • Ce truc au fond de moi, j’avais comme, comme quelque chose, je n’arrive pas à mettre un terme dessus.
  • Toi aussi tu l’as senti ?
  • Oui… Cette voix est plus qu’une simple voix.
  • Mon don de la parole est allé plus loin que ce que je pensais.
  • C’est-à-dire ?
  • Je t’ai dit que mon don de la parole je te l’offrais. Et bien cette parole s’accorde aussi au langage de la musique.
  • Attends, quoi ?
  • Oui, il existe une langue pour la musique, bien qu’il n’ait aucun mot. C’est un langage un peu plus complexe que les autres.

 Les bras de Nick en tombent sur le comptoir.

  • Ça veut dire que ce ressenti dans mon cœur, quand elle a chanté, et pendant toute la route avec la radio, c’était la compréhension du langage
  • C’est exactement ça.
  • Mais c’est trop bien !
  • Normalement, je dis bien normalement, si tu peux comprendre cette langue, tu peux aussi la parler.
  • Attends, ça veut dire que je sais chanter ? s’étonne Nick.
  • Oui, mais pas que.
  • Ça veut dire quoi ?
  • En une après-midi, tu devrais savoir jouer de l’instrument que tu souhaites.
  • Sérieux ? Du coup, je peux devenir une rockstar ? La célébrité, les putes, la coke.
  • N’abuse pas non plus. Tu as une mission bien plus grande.
  • Et merde ! rigole Nick. D’ailleurs, Angelina, je peux avoir mes papiers ?
  • Tiens, fait-elle glisser en sirotant son verre commandé.
  • Merci bien, bon, je crois qu’il nous reste encore un peu de route à faire pour arriver à Los Angeles.
  • Vous allez à Los Angeles ? demande la serveuse.
  • C’est notre destination, affirme Nick.
  • Je peux venir ?
  • Ma voiture n’a que deux places… s’excuse Lucifer.
  • Pas grave, je vais la prendre, intervient Angelina.
  • Tu es sûre ?
  • Oui, ne t’inquiète pas, après je rentre à la maison.
  • Je te fais confiance hein ?
  • Promis.

 Lucifer n’a aucune crainte, quand sa protégée donne une parole, elle s’y tient quoi qu’il arrive. C’est lui-même qui lui a enseigné cette règle de vie, une promesse est une promesse. Angelina prête ses clés à son chef, il doit résoudre une chose avant de partir, faire le plein. Les deux hommes ouvrent le coffre de la Dodge Charger et en sortent plusieurs jerricans d’essence. Les moteurs infernaux ne tournent pas avec l’essence ordinaire. Si un tel essai venait à se produire, la purge intégrale serait prochaine. La combustion de l’essence infernale demeure différente de celle terrestre.

 Ils versent les jerricans dans la Cobra puis reprennent la direction de Los Angeles.

 Le ciel est magnifique, les étoiles illuminent le plafond. Un décor que Nick n’avait pas vu depuis longtemps. Dans le monde des morts, malheureusement, aucun astre ne brille. L’ancien humain, qui adore le camping en plein air, profite de cet instant pour subjuguer ce ciel incroyable et surtout unique.

 La Cobra est partie en fin de matinée, avec l’arrêt au petit relais routier, et la route qu’elle a faite, la nuit s’est levée ; mais les lueurs au loin signalent la présence de cette bonne vieille « cité des anges ».

  • Baliverne, répond Lucifer. “La cité des anges”, une cité de démons plutôt.
  • Pourquoi tu dis ça ?
  • J’en ai vu des choses ici, ce surnom est très loin d’être véridique. Cette métropole de culture possède aussi ses torts, souffle-t-il.
  • Il s’est passé quelque chose ?
  • Pour moi, non. Pour les autres âmes qui arrivent au Tribunal, oui. L’un des meilleurs exemples, il y a quatre ans, un jeune, plein d’ambition dans le cinéma, a envoyé son scénario, mais la protection de son texte laissait à désirer, alors les producteurs ont flairé l’os en or.
  • Ils l’ont évincé ?
  • Exact, il a eu beau porter plainte, mais qui va croire un pauvre jeune qui vient d’une famille banale dans un quartier banal contre un producteur connu et reconnu dans le monde du cinéma ?
  • Glisses-y quelques billets par-ci par-là, et l’affaire est jouée.
  • C’est ça.
  • Et donc, le pauvre gamin ?
  • Mais ce que le producteur n’a pas compris en lisant le script, c’est que le personnage principal n’était pas une création, mais plutôt une autofiction. Ce jeune était sujet à des troubles épisodiques de violence, mais il se contrôlait facilement.
  • Jusqu’au jour où l’on vola son scénario.
  • Tu comprends vite. Surtout que sa série a fait un tabac monstre, plusieurs prix ont été décernés, mais rien pour lui, aucune reconnaissance. Il a tout perdu, seuls sa famille et quelques amis proches sont restés, tous les autres sont partis, le prenant pour un fou qui veut récolter la gloire.
  • Et donc ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ? demande curieusement Nick.
  • Tout est parti en fumée. Ce jeune gamin a fait sauter le le studio, il a aussi fait exploser plusieurs voitures, toutes les personnes concernées par cette affaire sont mortes, tous ceux qui l’on dépouillé de son précieux.
  • Je dirais que c’est compréhensible.

 Lucifer se tourne vers Nick, alors qu’ils pénètrent dans la métropole.

  • Mais ce n’est pas pour autant qu’il a eu raison de faire ça, se rattrape-t-il.
  • Quand tu ne possèdes plus rien d’autre, qu’il ne te reste plus que la violence, alors tu laisses tes pulsions parler, c’est ce qu’il lui est arrivé.
  • Et il est devenu quoi ?
  • Ce jeune ? Il a disparu, personne ne l’a encore retrouvé… Hormis moi.
  • Attends, quoi ? Tu lui as parlé ?
  • Oui. Ce sont des choses qui arrivent quand un meurtrier vient à disparaître, soit on l’a convaincu de se calmer et de trouver une vie tranquille, soit Scynthia l’a fauché.
  • Et lui… Il lui est arrivé quoi ?
  • Je lui ai parlé. Maintenant, il vit une petite vie paisible, mais il est condamné à ne jamais se faire connaître, sinon la justice le rattrapera.
  • Il n’a pas une chance de se faire reconnaître dans la rue ?
  • Non, ne t’inquiète pas.
  • Mais pour ces personnes-là, qui se repentent durant leur vie, le jugement se passe comment ?
  • Le juge en tiendra compte lors de la séance, son dossier sera tamponné d’un « repenti ».

 À force de discuter, Nick n’a pas aperçu le paysage passer du bord de mer au centre-ville dynamique. Au moins, il y a autant de vie que dans les Limbes, il n’est pas déboussolé.

  • Tu as soif ? demande Lucifer en se garant devant un bar réputé.
  • On doit aller chercher ma voiture avant.
  • Nick, il est vingt-trois heures, le proprio dort à l’heure qu’il est.
  • D’accord, mais juste un verre…

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