LE CRIME DE L'IMPASSE RONSIN

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Dans une maison cossue du XVème arrondissement de Paris, Rémy Couillard, un domestique de la maison découvre successivement deux corps inertes. Dans une première pièce, il s’agit de Mme JAPY morte, étendue sur son lit les jambes en dehors, sans blessure apparente et dans l’autre pièce il s’agit de M. Adolphe Steinheil allongé sans vie, sur le dos. Rémy Couillard court alors dans la chambre de Marguerite Steinheil, la femme d’Adolphe. Il la trouve vivante mais ligotée sur son lit. La presse s’empare rapidement de ce fait divers, non pas parce l’une des victimes est M . Steinheil, peintre peu renommé, mais parce qu’il était le mari de la sulfureuse Marguerite Steinheil née Japy. « Le crime de l’Impasse Ronsin » comme le nommèrent les journalistes défraya alors les chroniques. Né en 1850 à Paris, Adolphe Steinheil était comme son père Louis originaire de Ribeauvillé en Alsace, peintre verrier. Il approche la quarantaine à l’époque des faits. De peu de talent il peine à vendre ses œuvres et se réduit à peindre des miniatures, des fresques ou à restaurer des vitraux ou encore à peindre le portrait de personnalités que sa femme soucieuse de sa carrière lui présente plus ou moins intentionnellement. C’est en 1889 à l’occasion d’un voyage dans le Sud-Ouest qu’il fait la connaissance, à Bayonne, de celle qui deviendra sa femme. Marguerite née 16 avril 1869 à Beaucourt dans le Territoire de Belfort est la fille d’ Edouard Japy et d’Emilie Rau , fille d’aubergiste qui l’épouse à 16 ans. Ces derniers sont devenus de riches industriels naviguant dans la haute bourgeoisie protestante d’Alsace. Les Japy sont par ailleurs liés à la famille Peugeot dont l’entreprise fut créée en 1810 dans le Doubs et qui a su se diversifier dans différentes productions pour devenir plus tard l’un des fleurons de l’industrie automobile française. Très rapidement et bien qu’étant apparemment elle-même prétendue victime, Marguerite est soupçonnée d’être mêlée à ces meurtres. La presse s’acharne sur cette affaire et Marguerite sa protagoniste. Il faut dire que cette femme a de la personnalité et une histoire pas banale jalonnée de quelques conquêtes amoureuses remarquables. Elle commence sa « carrière » de croqueuse d’hommes à 17 ans en s’amourachant d’un officier. Ce n’était pas du goût de son père très possessif vis-à-vis de celle qu’il surnomme affectueusement Meg et avec laquelle il avait voyagé en tête à tête en Allemagne, en Italie et en Suisse. Il l’éloigne de son beau militaire en l’envoyant à Bayonne et meurt quelque temps après, d’une crise cardiaque. C’est à Bayonne qu’elle sera présentée à Adolphe travaillant alors à la restauration des vitraux de la cathédrale. Malgré une différence d’âge de 20 ans, ils se marièrent le 9 juillet 1889 à Beaucourt. Un enfant naîtra rapidement de cette union Marthe mais rapidement le couple va se déliter. Adolphe se révélant un homme taciturne et peu loquace bien que gentil et cultivé en opposition à Marguerite frivole et très portée sur les mondanités. La jeune femme meurt d’ennui à Paris. Elle rêve de prendre sa destinée en main et pour ce faire elle crée un salon mondain qui se tiendra tous les jeudi et acquiera très rapidement une grande notoriété. Des personnalités de premier rang du monde artistique, littéraire et même politique s’y bousculent comme l’écrivain polémiste Émile Zola, le compositeur Charles Gounod, le peintre Léon Bonnat, qui en peignit un magnifique portrait, le bijoutier René Lalique, le diplomate Ferdinand de Lesseps, l’écrivain Pierre Loti et d’autres. La popularité de Marguerite dans le milieu mondain est telle que ses admirateurs la surnomme eux mêmes Meg comme son père. Beaucoup d’entre eux poseront, complaisants, pour son mari Adolphe. Marguerite en profite pour multiplier les aventures amoureuses. Elle monte même au plus haut niveau de l’État en devenant la maîtresse du Président de la République, le sieur Félix Faure lui-même, bon vivant et amateur de mondaines. Elle n’a que 28 ans quand elle le rencontre lors d’une réception à Chamonix. Nous sommes en 1897, le Président tombe sous son charme, et ils deviennent amants. C’est cette liaison avec Félix Faure qui commença à marquer les esprits. Les amants se retrouvaient dans le salon bleu du Palais de l’Élysée. A cette époque Adolphe devient le peintre officiel de l’Élysée et se voit attribuer un certain nombre de commandes, puis il reçu, indûment selon certains, la Légion d’Honneur. Ce qui sûrement compensait à ses yeux l’infidélité de sa femme. Les ébats entre Félix Faure et Marguerite devaient être torrides. Tant et si bien que Félix Faure fait un grave malaise, selon la rumeur au cours d’une fellation, cette ultime étreinte. Car elle lui sera fatale, on le retrouvera mourant, allongé sur un divan, pantalon et caleçon sur les chevilles alors que Mme Steinheil rajuste précipitamment ses vêtements avant de s’éclipser par une porte dérobée. Le Président mourra quelques heures plus tard. C’était le 16 février 1899. Officiellement la mort est due à une hémorragie cérébrale mais d’autres sources ont évoqué un surdosage de cantharide, un puissant aphrodisiaque aux effets secondaires dévastateurs, voir, un dérivé de la quinine qu’il se faisait souvent livrer. Toujours est-il que l’événement est à l’origine d’un premier surnom : « la pompe funèbre »... L’affaire finira par se tasser et Marguerite continua ses mondanités parisiennes. D’autres aventures avec des célébrités suivront dont celles avec Aristide Briand, le Président du Conseil maître d’œuvre de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 mais aussi avec le Roi du Cambodge Sisowath et encore le Grand Duc de Russie de l’époque Aleksei Aleksandrovitch Romanov. Toujours est-il que cette femme scandaleuse à l’époque fut de nouveau au centre d’une affaire mais cette fois soupçonnée de deux meurtres, celui de sa mère et celui de son mari. Les doutes de la police se sont rapidement portés sur Marguerite Steinheil, sûrement à cause de sa vie dissolue mais aussi du fait de quelques détails surprenants. Tout d’abord à l’arrivée de Rémy Couillard, le domestique, qui après avoir découvert les deux corps trouve, Marguerite plus ou moins bien ligotée sur son lit avec un lien dont une bobine sera retrouvée dans un placard de l’office. La police s’aperçoit également qu’alors que Marguerite prétend avoir été agressée par des hommes en train de cambrioler sa maison, certains objets de valeur n’ont pas été dérobés. Pour finir, des bijoux que la dame affirme avoir été volés ont en fait été déposés quelque temps auparavant chez un bijoutier. Cela fait beaucoup de points litigieux d’autant que Mme Steinheil s’enferre dans ses contradictions en racontant diverses versions des faits. De toute évidence elle ment. C’est en novembre 1908 qu’elle est incarcérée à la prison pour femmes de St Lazare où elle logera au quartier « La Pistole » 1 dont les cellules (communes) sont mieux situées, plus confortables et chauffées l’hiver. De plus elles ne comportent que 10 lits. en attendant son procès en cours d’assises qui débutera le 3 novembre 1909. Marguerite Steinheil supporte une grave accusation : homicide volontaire sur la personne de sa mère et de son mari. Dans un premier temps elle décrira les faits suivants : - « Des hommes ont pénétré dans la maison. Ils sont brusquement entrés dans ma chambre ; trois hommes assez grands, vêtus de longues blouses noires à manches plates ainsi qu’une femme rousse. Celle-ci a menacé de me tuer si je ne lui révélais pas l’emplacement des perles et des documents. » 2 Marguerite menteuse compulsive accusa ensuite, son domestique puis un certain M. Burlihgham, deux de ses amies, Alexandre Wolf le fils de la cuisinière et enfin un certain M. Gugenheim qui sera arrêté à Alger. Toutes ces dénonciations n’étaient que des fausses accusations. Les Psychiatres discutèrent sur la mythomanie de cette femme et les journalistes l’affublèrent de sobriquets guère flatteurs après celui de la pompe funèbre né de sa liaison fatale avec Félix Faure. Fusèrent alors : La Bovary de XVème, la Sarah Bernhardt, la veuve rouge. Le procès ira de rebondissement en rebondissement, le premier juge M. Leydet sera même dessaisit du dossier au profit du juge André. M. Leydet étant plus ou moins suspecté de complaisance vis-à-vis de l’accusée qui multipliait les versions et les accusations mensongères et se pâmait à chaque fois que les juges la repoussaient dans ses contradictions. Les témoins se succéderont à la barre, les uns l’accablèrent, les autres prenant ouvertement sa défense. Il en fut ainsi du dernier amant de Marguerite avant les événements, le châtelain M. Maurice Borderel, industriel dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage et maire d’une petite commune des Ardennes, Balaives et Butz près de Charleville. 1 Pour y séjourner il fallait payer une redevance de 25 centimes par jour. 2 Ces documents étaient supposés être un manuscrit biographique de la main de Félix Faure. Veuf de Adrienne, Marie, Joséphine SIMON et catholique l’homme, qui n’a cependant nullement l’intention de se remarier a fortiori avec elle, femme qui aurait dû divorcer, se laissa séduire par la belle courtisane en 1908. Ils cachèrent leurs ébats amoureux dans la Villa du Vert Logis à Bellevue, villégiature prêtée par une amie de Marguerite. Maurice Borderel fut l’un de ses fervents défenseurs dressant d’elle un tableau plutôt flatteur. Finalement le 26 novembre de la même année, soit après seulement 13 jours de procès, Marguerite Steinheil est acquittée faute de preuve. L’acquittement provoqua un tonnerre d’applaudissements dans la foule qui semblait avoir pris fait et cause pour elle. Néanmoins et à l’époque on n’identifia pas le ou les coupables et le dossier fut enterré avec d’autant plus d’empressement que Félix Faure avait été indirectement concerné. A la suite du procès elle décida de s’exiler en Angleterre sous le nom de Mme de Sérignac. Elle continua à jouer de ses charmes et elle réussit à séduire un Lord, Robert Brooke Campbell Scarlett, 6e baron Abinger, qu'elle épouse en juin 1917 pour devenir une lady. Sa vie rocambolesque se traduisit quelques années plus tard par une tentative d’enlèvement au Maroc, et sa libération contre une importante rançon. Elle meurt veuve et seule dix ans plus tard dans une maison de repos du Sussex. Triste fin pour une femme qui fut tellement en vue. Mme Marguerite Steinheil fut donc acquittée faute de preuve et sans que la justice n’identifie de coupable à des faits bien réels. ^Les enquêteurs ont même un temps évoqué l’empoisonnement des deux victimes et envisagé que la découverte du domestique n’était qu’une mise en scène pour détourner l’attention de la police. Cependant il a été établi que Mme JAPY était bien décédée d’une « attaque cardiaque » probablement à la vue du corps inanimé de son gendre. Mais alors qu’en était -il du meurtre d’Adolphe Steinheil ?

En fait le Grand Duc de Russie, l’un des amants, fut à son tour accusé du meurtre d’Adolphe Steinheil, qu’il aurait étranglé alors que ce dernier les avait surpris dans la maison Impasse de Ronsin. Le crime aurait-il été maquillé en un cambriolage qui aurait mal tourné pour disculper les deux amants ? Ce qui expliquerait que Marguerite ait été retrouvée allongée et ligotée à la va-vite pour accréditer la thèse du crime crapuleux. Mais pour des raisons diplomatiques, le Préfet Lépine étouffa l’affaire sur ordre de Georges Clémenceau en personne, alors Ministre de l’Intérieur.

Ou bien était-ce ce mystérieux allemand, acheteur des perles du collier offert par Félix Faure à Marguerite, qui d’après elle cherchait à récupérer le manuscrit des mémoires de ce dernier, surpris par M. Steinheil, l’aurait assassiné ?

Ou encore un commanditaire payé par Marguerite pour assassiner son mari ?

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