FAIT D’HIVER AU LAC CHAMBON
L’hiver était rude entre coups de gel et tempête de neige et la saison des sports d’hiver battait son plein. Le Mont Dore et Super Besse résonnaient du cliquetis des remontes-pentes et de l’agitation du bas des pistes. Au lac Chambon à quelques kilomètres de là, l’ambiance était plus calme, reposante. Bel endroit que ce lac Chambon dont les plus courageux peuvent faire le tour été comme hiver en suivant le chemin parfois escarpé. Cet hiver le lac est bien pris par la glace et la forêt environnante assoupie sous une épaisse couche la neige. Cela donne au site une atmosphère feutrée ponctuée par des vibrations sonores émissent par on ne sait quels dinosaures aquatiques. Mais la froidure s’est estompée et le printemps a fait son apparition, neige et glace ont fondues depuis quelques semaines. La saison touristique des beaux jours reprend doucement ses activités, les fêtes de Pâques en sont le point de départ. Quelques touristes sont déjà de passage et malgré la bise encore fraîche quelques-uns s’aventurent en pédalo sur le lac.
Mais que se passe t-il là bas au milieu du lac près de cet îlot de verdure ? Un couple scrute l’eau et semble intrigué. Il fait demi-tours et pédale à toute vitesse vers l’embarcadère. A pied sur la terre ferme ils se précipitent vers la cahute du loueur avec lequel ils entament une discussion agitée se retournant et désignant à plusieurs reprise l’îlot au milieu du lac. Rapidement un petit attroupement se forme, en m’approchant du groupe je perçois des bribes de la conversation et je comprends que les jeunes gens ont aperçu une forme au fond de l’eau là bas au bord de l’îlot. Ils disent avoir distingué ce qui pourrait être une tête et des mains.
Après quelques palabres le loueur décide d’appeler la gendarmerie qui ne tarde pas à être sur place. Les palabres reprennent de plus belle, finalement deux gendarmes embarquent maladroitement sur le canot pneumatique de secours aux pédalos en détresse piloté par le loueur. Arrivés sur place tous constatent effectivement la présence de ce qui pourrait être le corps d’une personne où ses restes.
Dans les heures qui suivirent une équipe de gendarmes est venue, tard dans la soirée, sortir ce qui était le corps, d’une jeune femme apparemment, plus ou moins en état de décomposition.
Très rapidement le corps qui n’avait pas de papiers d’identité fut néanmoins rapidement identifié grâce ses vêtements et par les objets retrouvés dont son téléphone et son étui offerts par son mari . C’était Angèle Murat une fille du coin qui habitait en face du lac.
Angèle était monitrice de ski au Mont Dore l’hiver et monitrice de centre aéré pendant la belle saison, sportive assidue elle faisait régulièrement son jogging et du cross country sur les collines et les bois des environs, souvent autour du lac et sur les pentes escarpées des bois bordants le plan d’eau. Le légiste confirma le décès par noyade probablement suite à une hypothermie sévère due à la chute dans l’eau glacée. Il nota également l’absence de trace d’agression mais des traces de blessures au bout des doigts au niveau de certains ongles et des griffures assez marquées sur les mollets.
Partie comme souvent en fin d’après midi faire son entraînement sportif au soir elle n’est pas rentrée. L’heure du dîner sonna sans que l’on ait de nouvelle d’Angèle. Son mari confiant le jeune enfant à sa grand-mère parti à sa recherche à la nuit tombée. Il fit le tour du lac dans les deux sens, parcourut une partie des pentes autour en l’appelant à plein poumons, rien, aucune réponse pas de trace d’Angèle.
Il parcourrut divers chemins et endroits où Angèle avait l’habitude d’aller courir sans plus de réussite. L’heure avançant dans la nuit noire, il décida de se rendre à la gendarmerie à Besse.
C’est le gendarme Sébastien Gautrais qui était de garde, un ami d’enfance d’Angèle, il lui expliqua la situation et déposa une main courante ce qui permis à Sébastien d’enclencher une procédure pour disparition inquiétante.
Dans la journée du lendemain une équipe fut formée pour partir à la recherche de la jeune femme. Puis dans les jours qui suivirent des équipes de jeunes et de moins jeunes du village formèrent eux aussi des équipes de recherche. Même ses collègues de la station de ski du Mont Dore vinrent pour participer aux opérations. Ces escouades ont bien tournées autour du lac de la plage de Murol jusqu’au ponton qui avait été inspecté jusqu’en dessous, scrutées l’horizon sans rien remarquer. Les collines et les bois bordant le lac furent également parcourus, les moindres anfractuosités explorées sans succès.
Après deux semaines de recherches infructueuses, les autorités décidèrent de suspendre les recherches. Quelques uns continuèrent encore deux ou trois jours malheureusement sans plus de réussite. Pendant ce temps l’enquête de proximité battait son plein. Les gendarmes interrogèrent la quasi totalité du voisinage y compris dans les fermes isolées des environs. Personne ne semblait avoir vu Angèle ni remarqué quelque chose d’anormal le jour de sa disparition.
Mise en cause un temps d’un couple de marginaux du coin que l’on avait vu faire un feu de camp sur les bords du lac, en dépit des interdictions ceci étant. L’homme avait été soupçonné suite à une déclaration confuse où il disait avoir aperçu quelqu’un passant sur le pont menant du parking au lac. Il avait été très vague, peu convaincant dans son discours balbutiant, affirmant au départ que c’était une femme puis finalement disant qu’il n’y voyait pas bien la nuit tombant et le léger brouillard faisant écran. Probablement le résultat de neurones brûlés par l’alcool et la drogue dont il était consommateur mal-avertis… Si il s’agissait d’Angèle il devait être de fait la dernière personne à avoir vu la jeune fille. Le suspect parfait pour les gendarmes. Après quelques interrogatoires musclés il finit par être disculpé et laissé libre, ils ne pouvait pas être présent sur les bords du lac le soir du jour en question en effet, un automobiliste les avaient vu errer en vociférant, manifestement en plein spleen sur la route de Chautignat ce soir là.
Les faits divers d’un récent passé amenèrent les gendarmes à s’intéresser de plus près à la vie du couple. Angèle semblait avoir une vie heureuse, équilibrée entre son mari, un gars de Sallanches, ses activités de monitrice de ski et d’animatrice et son fils de 5 ans. Elle était du Mont Dore où ses parents tenaient un magasin d’articles de sport. Dès son plus jeune âge ses parents l’avaient mise sur des ski et elle avait su skier pratiquement avant de savoir marcher. Assez naturellement elle s’était passionnée pour le ski et toutes ses variantes indifféremment sur les pistes du Mont Dore ou de Super Besse, les randonnées en montagne autour des Puys. Elle avait fait quelques stages et des tentatives dans la compétition mais cela ne lui convenait pas vraiment. Par ailleurs peu encline à faire de longues études mais pleine d’ambition, après des études secondaires au Collège du Pavin puis au Lycée La Fayette de Clermont Ferrand et encouragé par le directeur de l’école de ski au Mont Dore, elle décida de devenir Monitrice de ski et réussi à s’inscrire à l’école des moniteurs de ski alpin de Chamonix avec le soutien du dit directeur. Sa formation en Haute Savoie l’éloigna quelques années de son Auvergne natale mais elle ne ratait aucune occasion c’est là qu’elle s’amouracha d’un beau blond, menuisier de son état à Sallanches à une trentaine de kilomètre de Chamonix. L’une et l’autre fréquentait régulièrement l’Amnésia une discothèque branchée de Chamonix. La formation fut plus difficile qu’Angèle l’avait pensé, le niveau était élevé à l’ENSM mais elle s’en était tirée avec les honneurs, le monde de la montagne resté quelque peu machiste, elle avait envisagé un moment de poursuivre vers une formation de guide haute montagne. Mais qui dit haute montagne dit les Alpes, les Pyrénées, les hauts sommets, cela supposait encore quelques années d’éloignement Angèle n’avait qu’une hâte retrouver ses puys d’Auvergne. Elle renonça finalement à ce projet et diplôme en poche elle retourna dans ses montagnes non s’en embarquer avec elle son bel amant. Profitant de la maison de la grand-mère les tourtereaux s’installèrent sur les bords du lac entre Murol et Chambon sur les bords du lac du même nom.
La maison qui était perchée sur la colline au dessus de l’Hôtel Beau Cottage, légèrement en surplomb de la route la maison comportait une baie vitrée et une terrasse avec une vue imprenable sur le lac et les bois l’environnant. Magnifique vue.
Son mari surnommé Jeff pour Jean François, né à Sallanches de parents éléveurs de porcs et producteurs de salaisons avait un bon job dans un atelier de restauration de meubles à St Vincent grâce à un excellent savoir faire.
Il avait une dextérité certaine pour reprendre les plaquages endommagés, refaire les pieds de lit ou de commode cassés ou vermoulus, reconstituer la fioriture d’une tête de lit et bien d’autres restaurations encore. Très apprécié de son patron, un compagnon du Tour de France, et de son collègue il parcourait allègrement, été comme hiver avec son 4x4 Toyota, la vingtaine de kilomètres entre la maison et l’atelier à St Vincent. C’était un garçon plutôt calme, il s’était assagi après avoir fait la connaissance d’Angèle en Haute Savoie mais appréciait toujours autant les bringues avec ses copains dont la plus part étaient en fait des copains de sa femme ! Pour autant les gendarmes n’avaient pas entendu parlé de lui en dehors d’une sortie de route l’hiver dernier où un jeune gendarme trop zélé avait voulu à cette occasion lui coller une amende pour défaut de contrôle de son véhicule. Sébastien était intervenu pour calmer les ardeurs du bleu. Pourtant le marginal disculpé, Jeff serait le dernier à avoir vu Angèle ce qui selon la bonne pratique police le place en bonne position comme suspect. D’autant que l’actualité récente dans les affaires de disparition de femme montre l’implication fréquente du mari. Et puis finalement c’est un étranger au village bien intégré et accepté certes mais tout de même pas du coin… Heureusement pour lui les 48 heures de garde à vue n’incriminèrent Jeff en rien, il n’était manifestement pas en cause dans cette affaire.
Après des mois et des mois d’investigations, d’interrogatoires, de contrôles dans tous les sens et sans autre explication probable, les enquêteurs proposèrent une issue plausible à l’enquête.
Surprise par la nuit elle a peut-être voulu couper à travers le lac gelé en passant par l’îlot au milieu. A un endroit la glace fragilisée n’a pas résisté et Angèle est tombée à l’eau sans pouvoir s’agripper pour remonter sur la glace, elle a finie par se tétaniser du fait de la température de l’eau et se noyer. Les températures hivernales très basses cette année ont rapidement refermé la fracture de glace enfermant Angèle dans un cercueil de glace. Est-ce des courants sous jacents qui amenèrent le corps près de la berge de l’îlot. Angèle a t-elle sombrée en s’en approchant nul ne le saura jamais. Le dégel des eaux et une promenade à pédalo l’ont fait réapparaître.
Ils conclurent en accord avec le légiste que les blessures au bout des doigts étaient probablement liées au fait qu’Angèle avait due s’arracher les ongles en tentant de se raccrocher à la glace pour se sortir de sa fâcheuse posture. Quant aux marques sur les mollets, probablement causées par les branchages ou des arbustes croisés en chemin.
Faute d’attendus probants le juge d’instruction décida de clore l’affaire.
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