Psaume : Chant de la Harpe II
Leurs pas résonnaient en continu dans le grand corridor interminable.
Les murs, faits d'un métal brut, oppressaient le grand passage. Ils créaient un écho amplifiant chaque pas, un à un. Caleb et Alban avançaient côte à côte, sans se hâter.
— On m'a passionnément parlé de toi, Alban. S'exclama Caleb, un petit sourire modeste au coin des lèvres.
Alban restait droit, les yeux fixés sur l'immense arche au fond du corridor.
— Tu peux continuer, je t'écoute. Indique-t-il, visage neutre.
— Un Sanctificateur aussi engagé, au point d'aller jusqu'à sacrifier sa propre foi pour arriver à ses fins... C'est plus que remarquable de nos jours. J'ai entendu dire que tu fais partie de ces rares individus à encore faire trembler les Hexapeterys, malgré la chute drastique de vos rangs. Vraiment, tu es surprenant..., Constate t-il, sa voix douce, son regard rempli de curiosité.
Il tourna succinctement les yeux vers lui, observant ses mains abîmées par le temps, bâties par des années de travail et d'accomplissements. Il leva la tête, fixant le plafond solidifié par un immense miroir de verre, où l'eau régnait en maître.
— Cela fait quand même un moment que vous n'avez pas eu de bonnes recrues... Les gens ont peur de combattre au péril de leur propre foi..., dit-il en le regardant, attendant silencieusement une réponse.
Alban, jusqu'alors silencieux, détourna les yeux, fixant Caleb.
— Dans ce cas-là, viens te salir les mains. On verra ce que ça donne sur le terrain, dit-il d'un ton presque moqueur, ironisant ses propos.
Un visage rincé d'étonnement le saisit. Un léger sourire crispé se lisait sur son faciès. Il s'arrêta de marcher une fraction de seconde.
— Oh, mais je ne suis pas ce genre de mortel à vouloir me battre. Je suis le chien de l'Empire. Savoir me battre n'est pas dans mes coutumes, dit-il en bredouillant, ses deux mains légèrement levées.
Caleb répliqua, penchant la tête légèrement sur le côté.
— Et permettez moi, mais je ne sais pas manier l'eau... Ni le lai... Et encore moins une Hexapsyche... Qui plus est, la votre est un glaive, bien confectionné par un forgeron de qualité. Son travail a été remarquable ! ajouta-t-il.
Le corridor était plongé dans un silence abscons. Tout était au ralenti. Presque pesant. La mélodie de leurs pas avait cessé de faire vibrer le sol. Alban se retourna doucement, voyant Caleb, statique, un regard inexpressif, complètement absent. Alban, striant légèrement ses prunelles, se demandait ce qui avait provoqué cette réaction spontanée.
— Y a-t-il un... répondit Alban, avant d'être interrompu net.
Caleb releva la tête, puis fixa Alban, sa voix devenue caverneuse.
— Pour qui combats tu au point de sacrifier ta vie pour les autres ? Qu'est-ce que cela t'apporte de vouloir sacrifier ta foi pour des humains que tu ne connais même pas ? Est-ce que cela s'apparente à quelque chose que tu as au fond de toi, que tu regrettes ? Des décisions laborieuses ? Tu es quelqu'un de particulièrement ambitieux. Je te l'accorde. Cela m'intrigue, Alban Ward..., murmura-t-il, regardant Alban droit dans le reflet de l'âme.
— Tu vas te foutre de ma gueule encore combien de temps ? Ou tu vas me dire réellement qui tu es, et ce que tu cherches ? exige Alban, d'un visage flegmatique.
Un silence tomba comme une brume épaisse. Un jeu de regards s'installa. Alban le savait depuis le début : cet homme se jouait de lui, le testait. Les questions qui demeuraient dans son esprit étaient... Qui est-il vraiment ? Un ennemi ? Un allié ? Ou autre chose ?
Et puis, tout à coup, un rire. Puis un autre. Caleb riait au nez, sa main droite devant la bouche.
— Je suis un mauvais comédien. J'aurais dû prendre des cours de théâtre auprès de dame Florie de Valthora. Cette femme était incroyablement charmante et pleine de vie ! jubilait, ses mains se levant petit à petit, prenant une stature éthérée.
— C'était la meilleure des actrices et tragédiennes ! Inégalée depuis des décennies ! Elle me manque terriblement ! Pourquoi ? Pourquoi ce drame est-il arrivé, au point de finir amp... braille Caleb, mais il fut interrompu une nouvelle fois.
Alban s'avança à la hâte face à Caleb. À quelques centimètres de lui, il le fixa d'un air inquiétant.
— Ne me force pas à réitérer ma question une seconde fois... décrit-il, son ton ferme.
Touché par une sensation inattendue apparaissant inopinément autour de lui, comme si un air vivifiant lui frôlait les avant-bras. Un léger sourire se dessina sur le portrait de Caleb.
— Quelques mots pour mieux me connaître. Lustral, Serviteur, dévoué aux Métropolites de Lumière. C'est un honneur de vous rencontrer, Monsieur Ward, s'égaye t-il, de son regard pénétrant.
Pas la moindre surprise sur le visage d'Alban.
— Je m'en doutais..., dit-il, le regard plat.
— Et pour quelle raison tu m'as laissé faire ? Y avait-il un but derrière tout ça ? Ou bien tu voulais seulement t'amuser... Je me trompe ? demanda-t-il.
— Je voulais voir jusqu'où tu pousserais le jeu, jusqu'à me faire perdre du temps.
Un éclat de rire franc sortit de la gorge de Caleb, tapotant sa main sur sa cuisse.
— T'es pas si coincé, finalement ! affirme Caleb.
Alban fronça les sourcils, son visage se durcit.
— Ce que je pige pas, c'est pourquoi un Lustral serait ici, dans le Q.G. même des Sanctificateurs. Sans escorte, sans aucune annonce ? Je t'avoue que je ne comprends pas trop la démarche.
Caleb reprit son calme, regard fixé sur l'horizon.
— 2 personnalités de premier plan sont attendues d'ici 3 jours. En attendant leur arrivée, il m'incombe de veiller au bon déroulement des préparatifs, dans le respect du cadre. Cette mission, je l'accomplis tout en appréciant la beauté sereine de cette magnifique cité impériale, son atmosphère singulière et, il faut le dire, la grâce de celles qui y vivent, bien sûr. Enfin, j'ai désormais l'opportunité de découvrir par moi-même le grand Quartier Général. Et à ce stade, je dois reconnaître, à ton égard, que mes attentes ne sont nullement déçues.
Alban sentit un malaise étrange parcourir son corps. Cet homme... ce Lustral, n'était pas venu par simple curiosité. Il était là pour une mission bien précise. Dans son esprit, il se mit à réciter ce qu'il connaissait, fixant Caleb dans un silence des plus étranges.
— Les Lustrals ne sont pas que des serviteurs, mais dans ce groupe, plusieurs possèdent des fonctions multiples. Ils sont des messagers, portant leurs secrets dans les rues, les temples et les tribunaux. Ils sont aussi veilleurs, organisent les processions, surveillent les cultes, purifient les espaces corrompus. Ils châtient les hérétiques, brûlent les textes interdits, effacent les ombres dans les cités. Tout en gérant les populations, les temples secondaires et les écoles de dogme. Et dans certaines cités, ce sont aussi des protecteurs armés, au service direct de la volonté des Métropolites de Lumière. Même les Anciens Trinitaires ne peuvent interférer sur les ordres directs des Métropolites envers leurs serviteurs. Pourtant, ils ont un statut plus haut dans la hiérarchie du Grand Pontarque... Et malgré qu'il m'ait révélé ce qu'il est, j'ai toujours ce goût amer, où je me pose cette question : si ce qu'il dit... Chuchota-t-il, se faisant couper subitement.
— Tu sais, tu n'es pas particulièrement discret lorsque tu murmures dans ta tête..., susurre t-il, en passant lentement devant lui, la main brièvement posée sur son épaule.
— Il est temps d'y aller. Je t'ai déjà fait perdre suffisamment de temps, ajouta Caleb, un fin sourire au coin des lèvres.
Les deux hommes reprirent leur marche, s'approchant des grandes arches. Alban, à un mètre de retrait, ne cessait de se poser des questions, mais dans son esprit, une seule dominait toutes les autres.
— Pourquoi autant de personnalités dominantes dans 3 jours, venant de l'autre côté du monde ? chuchota-t-il dans son esprit, regardant Caleb marcher devant lui.
Ils arrivèrent enfin devant une porte colossale. Caleb posa sa main sur le heurtoir de bronze. Le métal gémit d'un grondement lourd, comme un écho venu des entrailles de la terre. La porte s'ouvrit lentement. Une salle gigantesque se dévoila devant eux. Sombre, à la fois espace cérémonial et militaire.
Les murs de pierre encadraient une structure massive. Des dizaines, des milliers de Sanctificateurs se tenaient là, droits, en ligne. Un silence absolu. Les pas d'Alban et Caleb s'évanouirent dans l'immensité du lieu.
Tout au fond, sur une haute palissade, se tenait le Hiérarque, silhouette droite sous la lumière divine d'un vitrage. À sa droite, un tableau doré représentant un homme peint, entouré de fleurs, entre 2 piliers taillés dans la roche. Un collègue d'Alban se retourna, le voyant se mettre à côté de lui.
— Tu fous quoi ? C'est pas le moment d'arriver en retard... chuchota son collègue.
— Désolé, un léger contretemps, chuchota-t-il.
Un rayon de soleil traversa la salle, illuminant le centre d'un éclat divin, comme guidé par une volonté supérieure. Un rassemblement de tous les Sanctificateurs du territoire impérial. Le Hiérarque était là, droit, debout à la vue de tous. Le silence s'installa. Ses deux mains posées sur la chaire rustique des voix.
— Je vous réunis ici aujourd'hui non pas pour célébrer, ni pour bénir, mais pour vous faire souvenir, car ce matin, un frère s'est levé seul contre l'impur, et s'il a réussi à le purifier, cela n'a pas été sans prix, non, cela a coûté la vie à plusieurs dizaines de nos Lumières, consumées dans un silence que même nos chants sacrés ne suffiront jamais à faire taire.
— Encore à cet instant, dans les décombres calcinés des sanctuaires brisés, d'autres sont recherchés, d'autres seront retrouvés, ou peut-être plus jamais, et vous devez le savoir, le comprendre, le ressentir : la guerre n'est pas finie, pas encore, mais elle approche de sa fin, elle halète, elle se traîne vers une dernière convulsion.
— Et vous, tous autant que vous êtes, vous ne représentez pas la paix, ni la fin des combats, mais le seuil d'un nouveau cycle, vous êtes cette génération qui porte encore le fer dans ses paumes et la foi dans ses os, vous êtes ceux qui marcheront là où les autres n'ont laissé que des cendres.
— N'oubliez jamais ceux tombés au combat, n'oubliez pas les prières qu'ils n'ont pas pu achever, les visages qu'ils n'ont pas pu revoir, les enfants qu'ils n'ont pas pu sauver, car c'est pour eux que vous portez l'armure, c'est pour eux que vous portez le feu.
— 5 années. 5 années où nos ennemis ont avancé, rampé, creusé leur poison dans nos terres. 5 années de labeur, de pertes, de chaos. Et pourtant, vous êtes encore debout. Vous êtes encore lumière. Soyez fiers de qui vous êtes, car peu d'êtres dans ce monde peuvent encore se tenir droit, les yeux vers le ciel, et dire qu'ils servent une cause qui les dépasse.
Il marqua une pause, regardant toutes les étoiles face à lui.
— Une minute de silence, pour les Lumières éteintes et les étoiles consumées.
Tout le monde se mit au garde-à-vous. Droit et immobile, le regard tourné vers les hauteurs. La gigantesque salle plongea dans le silence. Alban, les yeux fermés, repensait à ses erreurs, à ce qu'il n'avait pas pu sauver : les cris des habitants, les corps complètement déchiquetés par les souffles, et cet enfant...
Le regard de cette petite fille après la purification de l'Hexapeterys. Il la revoyait, assise sur le brancard.
Et puis ces questions tournaient dans sa tête.
« Me... Monsieur ? Po... Pourquoi... pourquoi la tête de mon oncle... je la vois plus ? »
« J... je... je sens plus mes jambes... Ça fait bizarre... »
Alban se mit à mordre ses lèvres. Sa mâchoire devenait plus ferme. Ses poings se serraient de plus en plus. Il ouvrit les yeux, fixant face à lui, d'un regard empli de haine et d'une détermination encore plus grande.
La minute de silence s'acheva dans une lente expiration collective. Le Hiérarque releva doucement la tête. Ses traits, usuellement austères, semblaient chargés d'une fatigue d'une autre ère. Ses yeux balayèrent les rangs des Sanctificateurs, puis il fit un simple pas en avant. Sa voix résonna profondément, sans forcer.
— Ce matin, vous avez vu ce que beaucoup refusent de regarder : la fragilité du monde. Ce monde n'a pas toujours été uni, il n'a pas toujours été fort. Jadis, les Hexapeterys sont apparus, comme des lames tombées du ciel, changeant les équilibres, unifiant les fragments, tranchant les hérétiques, rassemblant les survivants.
Il marqua une pause, comme s'il pesait chaque seconde, chaque mot à l'avance. Des têtes hochèrent discrètement. D'autres regardaient le sol.
— Ainsi naquit l'unité. Ainsi naquit l'Empire. Mais cette unité est fragile, car elle repose sur le sacrifice constant de ceux qui, comme vous, refusent que le monde retombe dans le chaos originel.
— Le premier territoire : l'Empire. Il est tenu par les 4 dynasties. Les Cerpestiens, notre dynastie impériale régnante, les maîtres de la politique, des armées et de la foi officielle. Les Borgiaen, famille religieuse déchue mais puissante, gardienne des églises impériales et des dogmes archaïques. Les Al'Seraphid, souverains du désert, détenteurs de l'eau bénie et des sources de lai, possédant la majorité de la distribution. Et enfin, les Oppenvarn, dynastie minière, maîtres des métaux, des gemmes et des outils qui nourrissent nos Hexapsyches.
Des chuchotements s'élevèrent dans l'immense salle. Des échos faibles, mais perceptibles, parvinrent aux oreilles des supérieurs présents. Le Hiérarque, droit et ferme, les mains toujours posées sur la chaire rustique des voix.
D'un simple grincement de ses doigts sur le bois, les murmures s'abaissèrent immédiatement.
— 4 colonnes pour un seul toit. Et pourtant, ce toit tremble. Et vous êtes ceux qui, par vos prières, vos armes, vos silences, maintenez sa stabilité.
— L'autre territoire, vous le connaissez de nom, mais peu d'entre vous l'ont vu : le Saint-Périgée, la Cité Sanctuaire, là où siège le Grand Pontarque, là où repose le Livre de l'Origine, seul écrit sacré issu de la Prophétie. Ce lieu ne connaît ni guerre ni doute, mais il juge le monde depuis sa lumière.
Alban murmure à voix basse.
— Là où tous les dogmes de foi, l'usage du Lai et de l'Hexapsyche sont validés en sein de ce lieu saint... précisa Alban, le visage sobre.
Caleb tourne son regard vers Alban.
— Tes compétences remarquables font que tu fais partie de cette minorité qui a l'autorisation d'utiliser ces armes. Nous sommes fiers de toi, Monsieur Ward, s'écria-t-il.
Le Hiérarque rétorqua:
— Là-bas se trouvent les 4 autres dynasties. Guptara, gardiens des écrits anciens, créateurs du Tableau de Loi Originel. Medirion, bâtisseurs et mécènes, à l'origine de nos cathédrales et de la beauté même de notre foi. Rothvasen, qui détiennent les dettes du monde entier, maîtres du commerce et de l'équilibre économique. Et Habsruhn, famille nouvelle mais puissante, liée par le sang aux sept autres.
— Ces 8 dynasties sont les colonnes du monde. Mais ce que vous devez comprendre, c'est que vous, ici, êtes les flammes qui éclairent leurs pas. Vous êtes ceux qui marchent quand eux ordonnent, ceux qui saignent pour qu'eux puissent parler. Et certains, parmi vous, iront plus loin encore.
Il lève la main et désigne l'escalier d'une palissade de pierre. Une silhouette y attend, immobile.
— En ce jour, j'ai l'honneur de vous présenter un homme qui a marché là où vous marchez, qui a combattu avec les mêmes doutes que vous, les mêmes armes, la même foi. Et pourtant, il est allé plus loin. Il a purifié plus que nul autre. Il a convaincu les 8 dynasties. Il a gagné le respect du Grand Pontarque lui-même.
— C'est avec fierté et solennité que je vous présente l'un des membres des Gardiens du Verbe, protecteurs du siège sacré, ceux qui veillent sur le Livre d'Origine, à la Cité Sanctuaire du Saint-Périgée.
Le silence s'épaissit. L'homme monte sur l'estrade lentement, sa silhouette devenant de plus en plus éclaircies par la lumière, refléter par un immense vitro au dessus de leurs têtes. C'est pas créer une résonance lourde.
Vêtu d'une cape d'argent qui bruissait comme un chuchotement sacré, le Livre scellé serré contre son cœur battent aussi fort que le grincement de la mort.
Son visage, calme portait les traces d'un homme qui avait vu trop de vérités pour en parler à la légère. Ses yeux sombres scrutaient la foule sans dureté, mais avec une clarté qui dénudait les âmes.
Et lorsqu'il parle, sa voix n'impose rien. Elle invite tout le monde, comme une main tendue dans le silence du monde.
Hiérarque Rétorque, sa voix porteur d'un nouveau souffle.
— SON NOM...
— HAKAR ARK EL VAAR !
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