11) Réflexions
Malgré leur intense échange d'idées, Logan et Zia n'avaient abouti à rien de concluant. Ils s'étaient mis d'accord avec Jensen pour ne rien divulguer tant que la communauté scientifique n'aurait pas répondu officiellement au rapport Banty. Cela mettait le majordome dans une position délicate vis-à-vis de son employeur mais il choisit de faire confiance à ce jeune Classe 1 si atypique.
Les deux jeunes gens faisaient de leur mieux pour éviter les parents et la sœur de Logan. Les trois Branston erraient dans leurs appartements ou profitaient de leurs divertissements privés, ils n'étaient plus accepté au sein de la haute société de Némésis. Les deux comparses profitaient toujours de leur laboratoire privé, loué dans un bâtiment de recherches des Classes 2. Au cas où le père de Logan s'en inquiéterait ou enverrait quelqu'un les voir, ils avaient préparé un leurre : une vaste étude comparative sur les centaines de milliers d'espèces de papillons, hologrammes d'illustrations à l'appui. L'ampleur des données à consulter découragerait sûrement les éventuels visiteurs. En réalité, ils passaient en revue deux siècles d'archives spatiales pour comprendre et imaginer une solution au brûlant problème de Némésis.
Heureusement pour eux, l'histoire de la vie de Logan semblait se poursuivre : sa famille semblait avoir oublié son existence. Ou Logan leur semblait tel un extraterrestre, tellement loin de leurs propres préoccupations qu'ils ne savaient plus comment reconnecter avec lui. Autrefois, le jeune homme s'en serait formalisé mais à présent, la solitude lui pesait beaucoup moins grâce à son amitié avec Zia. Jensen également, dans une moindre mesure. Depuis qu'il connaissait leur secret, ils demandaient parfois son avis au majordome. Il ne les avait jamais rencontré en personne mais il échangeait régulièrement par écrit avec les jeunes connaissances de Zia chez les Tardigrades, Dyn et Ado.
Une nouvelle routine s'installa dans l'espace ; les ouvriers en charge de réparer la station étaient respectés comme jamais auparavant. Les Classes 2 faisaient tout leur possible pour inventer des nouveaux matériaux composites pour renforcer Némésis. Mais dans les classes les plus basses, un sentiment d'anxieux montait chez ceux qui ne pouvaient rien faire pour contribuer directement à l'amélioration de la station. Un sentiment d'impuissance enflait tel un voyageur sachant que le bateau coule mais n'ayant outil pour écoper ou réparer.
Pour essayer de supporter la situation, deux idéologies principales émergèrent. D'un côté, ceux qui se mirent à mêler la structure même de la station à la religion. Némésis devint alors une divinité cruelle qu'il fallait apaiser et chérir afin qu'elle accepte de continuer à transporter l'Humanité en son sein. Pour cette fraction de la population, les Tardigrades devinrent les membres éminents de leur clergé. D'un autre côté, un mouvement de retour vers la Terre essayait également de recruter des adeptes. Ils avançaient que les Hommes n'auraient jamais dû quitter leur planète d'origine. Ecologistes radicaux, ils promettaient d'instaurer une société stricte afin de pouvoir vivre de nouveau à surface. Au milieu des deux, la majorité de la population ne savait pas de quel côté se tourner. Depuis que le rapport Banty ait été largement diffusé, beaucoup attendait que le scientifique de génie ayant tout découvert propose un plan tout aussi génial pour tout arranger.
* * *
Alors qu'ils faisaient une pause dans leurs études, Logan lança soudainement à son amie :
— Dis Zia, tu penses quoi de la religion ?
Elle le regarda, circonspecte.
— Me dis pas que tu adhères au baratin des fanatiques religieux qui vénèrent une structure de métal en orbite comme une déesse ?
— Quoi ? Eux ? Non, surtout pas ! Némésis n'a rien d'une divinité. C'est un vaisseau spatial élaboré certes. Mais ils s'emparent du discours religieux pour essayer de recruter alors je me posais la question.
— J'en pense pas grand chose, tu sais. Si un ou plusieurs dieux existaient, je me dis qu'ils n'auraient pas laissé l'Humanité saccager la planète sans réagir.
— Ah tu es une adepte de la théodicée. Intéressant.
— La quoi ?
— C'est une vision philosophique inventée au XVIIe siècle. Ça suppose que si une divinité fondamentalement bienveillante existait, elle ne permettrait pas l'existence du Mal. J'ai lu un livre là-dessus.
Zia le fixa quelques instants.
— Oui, bon, j'ai lu beaucoup de livres pour m'occuper. Et je peux te dire que les philosophes du XVIIe siècle en ont écrit un paquet !
— J'en conclus que tu ne crois pas en Dieu non plus ? sourit la jeune fille.
— Non pas vraiment, je crois qu'Il ou Elle se serait montré pour nous prouver son existence. Mais je peux comprendre que l'idée d'un pouvoir supérieur puisse être réconfortant pour les gens. Ça voudrait dire qu'on est pas tous seuls dans ce merdier.
La jeune fille fit la moue.
— Je crois que c'est précisément pour ça que la secte ces barjots peut être dangereuse. J'ai entendu des bruits de couloir comme quoi ils se faisaient appeler la Fraternité du Sanctuaire Céleste.
— Flippant comme nom, grogna Logan. Tu crois qu'on va devoir les garder à l'œil ?
— Rajoute ça à la liste, soupira Zia.
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