Une fois le choc passé, Patrick Branston vit du potentiel dans l'aveu de son fils. Le seul point positif que son propre fils soit responsable de cette déchéance, c'était qu'il pouvait maîtriser la suite du scénario. Il pourrait contrôler les conférences de presse, orienter les journalistes et influencer l'opinion publique pour redevenir le sauveur de l'Humanité aux yeux de la population de Némésis. Il se raccrochait à cet état de fait avec désespoir. Banty avait tellement couvert ses traces que même ses détectives avaient été incapables de découvrir son identité. Et sans la connaître, il était resté dans une impasse, anxieux de la prochaine bombe que le lanceur d'alerte allait brandir. Au moins, à présent, il serait en contrôle. Mais le premier rapport de Banty datait de près de deux ans, son fils et la Rat qui lui servait d'assistante l'étonnait. Ils gardaient leurs activités secrètes depuis bien trop longtemps.

* * *

Dès le lendemain, le patriarche se rendit discrètement dans le laboratoire qu'il louait pour son fils. Dire qu'il finançait le lieu où ces gamins causeraient sa chute ! L'ironie lui mordait la langue. Ils les trouva sur place tous les deux dès l'aube, la tête dans des livres ou examinant des schémas complexes de la structure de Némésis.

 — Père ! Que faites-vous là ? s'exclama Logan, paniqué. 

— Je paye cet endroit. Alors autant dire que toutes les données qu'il contient m'appartiennent. 

Son ton fut glacial. Zia fronça les sourcils mais choisit de se taire. 

— Et qu'en ferez-vous ? interrogea le jeune homme. 

— Je vais envoyer mon chef de la R&D récolter les données pour moi. Tu lui donneras accès à tout. Je veux tout savoir. Je dois établir un plan pour réparer tes dégâts. Il sera là dans l'après-midi.

Avant que Logan ne puisse répondre, il tourna les talons et quitta la pièce. Le jeune homme verrouilla la porte derrière lui.  

— Pour qui il se prend ? explosa Zia. 

Son ami se contenta de soupirer.

— Enfin, je sais très bien pour qui il se prend... Mais il croit vraiment pouvoir tourner la situation à son avantage et faire que tout redevienne comme avant ? 

— Mon père donne des ordres. Et ils sont exécutés sans discuter. C'est toujours comme ça. S'il y a bien quelqu'un qui peut imaginer un stratagème pour retrouver les bonnes grâces de la population, c'est lui. 

— Mais si on le laisse faire, qui sait ce qu'il fera de tout ce qu'on a collecté ? On fait ça pour le bien de l'Humanité ! Pour éviter l'extinction de la race humaine ! Tout ce qu'il veut, c'est rétablir sa gloire et sa fortune ! Peu importe le nombre de victimes que ça fera.

— Tu as raison. Il ne nous laisse plus le choix. Laurent Banty va devoir faire sa conférence de presse rapidement. Aujourd'hui.

Le souffle court, Zia hocha la tête. Ils savaient ce qu'il leur restait à faire. Ils avaient imaginé nombre de scénarios possibles et pensé à toutes les éventualités. Ils connaissaient déjà tous les journalistes éminents de Némésis qu'il leur faudrait contacter. Quant à la masse incroyable de données en leur possession, cela fait bien longtemps qu'elle était chiffrée numériquement. Leur accès nécessitait obligatoirement un scan rétinien de l'un des deux compères. Logan payait leur système de stockage sécurisé grâce à un trust à son nom que son père lui avait accordé à sa naissance. Mais depuis ses dix-huit ans, il en demeurait le seul propriétaire. Et étant donné le train de vie peu luxueux de Logan, il possédait un beau pactole à sa disposition. 

Moins d'une heure plus tard, des coups discrets frappèrent la porte du laboratoire. Leur plan était en marche. Le premier rouage s'enclenchait. Zia déverrouilla la porte et laissa entrer Damian Affy. Elle l'aimait bien. Ce fut le premier adulte sympathique qu'elle croisa à son arrivée sur Némésis. Il avait fait passé le premier mot des jumeaux à destination de Zia. Il passait parfois boire un thé le dimanche pour lui raconter des nouvelles des petits Rats s'étant fait adoptés. Ce fut Logan qui lui appris son véritable métier : il était une sorte de facilitateur pour les Classes 1. Peu importe ce que vous vouliez, il se chargeait de l'organiser. 

— Monsieur. Chère Zia, s'inclina t-il. Me voilà, conformément à vos instructions. Que puis-je pour vous ?

— Bonjour Damian. Nous avons besoin de plusieurs choses, demanda Logan en lui tendant une liste écrite sur un papier. La conférence de presse devra se tenir à midi aujourd'hui. Navré, cela vous laisse que peu de temps.

— Ce n'est pas un problème, je vous assure. Que dois-je annoncer comme ordre du jour ? 

— Dites leur que c'est une déclaration officielle de Laurent Banty. 

— Je vois. 

— Dites Damian... Vous n'avez pas l'air si étonné que ça ? questionna Zia.

— J'avais mes soupçons. Bien sûr, j'avais lu le message d'Ado avant de vous l'apporter. Alors quand le rapport Banty est sorti... Bref. Vous avez tout mon soutien pour la suite. 

Il parcourra la liste avant de reprendre :

— J'en conclus que votre père n'a pas réagi au mieux... Ne vous inquiétez pas, je me charge de tout. 

* * *

Damian Affy fut plus qu'efficace. A peine trois heures plus tard, aux alentours de onze heures, il leur confirma que tout avait été préparé selon leurs indications.  Il leur communiqua le lieu précis de la conférence de presse, une salle conçue à cet effet dans la tour des médias. Il les informa également avoir engagé une équipe de sécurité ; principalement à cause de la Fraternité du Sanctuaire Céleste. En effet, ces derniers ne portaient pas Patrick Branston dans leur cœur. A leurs yeux, il personnifiait Branston Constructions, responsable des blessures de leur divinité. Alors comment allaient-ils réagir en se rendant compte que son fils présiderait la conférence de presse ? Car il ne faisait aucun doute qu'ils en entendraient parler malgré la liste très serrée des journalistes invités. Il en allait de même pour Eco Résurgence. 

A midi, Logan et Zia avaient mis leurs affaires en ordre. Leur laboratoire avait été vidé ; les livres déménagés et les papiers restants détruits. Son père et son chef de la R&D allaient s'arracher les cheveux. Pour l'heure, ils étaient nerveux derrière le rideau les séparant des journalistes. Ils se murmurèrent des encouragements tandis qu'ils entendirent Damian annoncer l'arrivée de Laurent Banty. Un silence pesant s'abattit sur la salle à leur entrée. 

— Bonjour à tous, merci de vous être déplacés en si peu de temps, commença Logan. Comme vous pouvez le constater, Laurent Banty n'existe pas. Il s'agit d'un pseudonyme que j'ai utilisé avec mon associée. Je me nomme Logan Branston et voici Zia. Nous nous adressons à travers vous à tous les citoyens de Némésis. Nous allons parler sans détours. La vérité doit être dite, même si elle est difficile à entendre. La station salvatrice de l'Humanité n'est pas conçue pour nous accueillir durablement. Némésis possède des défauts structurels importants qui ne feront que s'aggraver. Il est temps d'affronter la situation et de penser à l'avenir. Ce sera difficile mais il n'y a qu'une seule solution : revenir sur Terre. 

Un brouhaha s'éleva dans la salle à cette annonce. Déjà les journalistes lançaient leurs questions tous en même temps. Damian se chargea de les calmer et fit signe au premier :

— Est-ce que votre père était au courant de tout ceci ? 

— Je peux vous assurer que mon père n'est pas à l'origine des choix qui nous ont amené à la situation actuelle. C'est plutôt une accumulation de facteurs ; les délais très serrés, le coût des matériaux et de la main d'œuvre, la pression sociale...

— Que pense Mr Branston de tout ceci ? Craignez-vous pour la sécurité de votre famille ? demanda un second. 

— Mon père n'était pas ravi d'apprendre mon implication. Ma famille est suffisamment protégée.

— Pourquoi maintenant ? Qu'avez-vous à gagner ?

— Moi personnellement, rien. Une fois les informations découvertes, je ne pouvais les taire en mon âme et conscience. Nous avons estimé que c'était d'intérêt public d'en faire part. Nous avons tout vérifié à de multiples reprises, grâce à des sources sur le terrain. 

— Vous dites souvent « nous » ? Qui est votre associée exactement ? interrogea un journaliste en levant un sourcil. 

— Navrée, je n'ai pas de nom de famille grandiloquent à brandir, se chargea de répondre la jeune fille. Je suis une Classe 5 ayant réussi à la sélection pour l'embarquement. 

La nouvelle souffla les journalistes un instant. Ces gens n'avaient jamais croisé de Rat dans leur vie sur Terre. Et la terrible sélection s'était chargée de faucher cette strate de la population gênante. Les quelques élus furent de jeunes enfants, qui passaient aujourd'hui inaperçus dans la station.

— Quelles conséquences concrètes vos révélations auront-elles sur les citoyens ordinaires ? reprit un autre. 

— Nous concevons que les révélations ont été sources d'anxiété pour la population cependant nous croyons qu'une solution pourra rétablir la vie à la surface. 

— Et quelle est-elle ?

— Le temps. La planète est capable de se nettoyer seule avec suffisamment de temps. La technologie a fait d'incroyables progrès pendant la construction de Némésis. Alors il nous faut miser sur la cryogénie et retourner sur Terre.