ÉPISODE 1 –J’AI SIGNÉ POUR ÇA (ATHENA).
J’avais été secouée toute la nuit, en cadence. Mais pas par le train.
Jamais je n’avais ressenti un tel plaisir. J’avais touché le paradis. Mais manifestement, ce ne devait être qu’un passe-temps pour lui. Il était déjà parti.
Je n’allais peut-être pas m’en remettre.
Ce matin-là, tout était différent dans la caserne roulante du Black Train. Le lino était plus froid, mon affreuse couverture kaki plus rêche. J’allais faire connaissance avec mes horribles camarades de caserne : probablement tous plus détraqués les uns que les autres.
Pourquoi j’étais là, au fait ?
Ah oui, ça me revient… Ma mère… ou plutôt, ma mère via mon père.
Vous savez ce qu’il y a de pire qu’un papa Marine ? Eh bien, il y a les mamans Marines. Celles qui tirent des missiles à 400 km de votre pays et rentrent à 16 h 30 pour vous préparer votre goûter. Voilà qui résume très bien ma vie. Discipline, discipline, discipline. Et discipline dans ma culotte. Donc, quand on vous propose de fuir de chez vous — même si c’est pour une obscure mission — vous acceptez.
Ce que j’avais très mal anticipé, c’est l’opération pour me transformer en Araignée (pas l’animal, l’unité de combat devenue obsolète à peu près au moment où j’ai réussi les tests ultra-sélectifs pour y être acceptée)… Tu parles d’une liberté… Trente heures d’opération en tout… Six mois de convalescence… Et bien sûr, mon corps transformé à vie. On m’avait dit : « Tu seras l’élite, tu vas faire des choses exceptionnelles. » On m’avait menti, sans me prévenir que je serais enfermée dans ce maudit train pour un an, avec ces psychopathes que je ne connaissais pas, et que je perdrais ma virginité dans une salle de gym… avec, manifestement, un fantôme.
En sortant de la douche, j’entendis les recrues murmurer : — C’est aujourd’hui…
Et d’un coup, ça me revint : Ils allaient nous présenter les chefs. Et nos binômes. La personne que je devrais supporter matin et soir. Pire qu’un mariage. Un mariage dans un lit superposé.
Je commençais à angoisser. Mais avec le temps, j’avais découvert un nouveau pouvoir : celui de m’en foutre complètement. De toute façon, c’est pareil…
Je me détendais, songeuse, caressant machinalement les nouveaux sillons métalliques et les cicatrices sur ma poitrine, mes bras, mes cuisses. C’est vrai : après tout ce que j’ai enduré, je ne suis plus la même personne.
Et lui… Lui. Son odeur. Sa peau…
Mon petit bonheur du matin fut coupé net par cet affreux gorille. Tout ce que je détestais chez les hommes militaires : froids, arrogants, bruyants, sans finesse. Trop cons, quoi.
Il faut dire que si les douches étaient séparées, les vestiaires, eux, ne l’étaient pas. Et en plus de supporter les odeurs, vous deviez aussi vous taper le défilé de ces animaux sans pudeur, exhibant leurs touffes et leurs aisselles comme dans un zoo.
Il s’approcha de notre groupe. Nous jaugea, puis lâcha : — Eh bah voilà. Encore une bande de nazes. On va encore finir blessés ou crevés au fond des bois… surtout avec le Schtroumpf, là.
Il désignait Mike d’un signe du menton. Un garçon timide, calme, un peu petit, qui sortait de la douche.
Puis son regard glissa vers Julia. Une belle fille pâle, qui avait elle aussi subi une opération — je le voyais à ses bras.
— Eh ho… regardez. Ils ont engagé une serveuse pour nous apporter les rafraîchissements après la mission.
Il s’approcha d’elle, lentement. — J’espère que t’as d’autres compétences, ma jolie.
Mike s’interposa. Fronça les sourcils. Il faisait une tête de moins, mais il ne recula pas. — Tu… tu… Et toi, alors ?
L’autre éclata de rire, et l’imita avec une grimace grotesque : — Tu-tu-tu… TU dois apprendre à parler, le bleu !
Et sans prévenir, il lui arracha la serviette de la taille et le fouetta avec.
Mike, gêné, rattrapa vite sa serviette pour cacher sa pudeur.
— Tu vois ? Qu’est-ce que je disais. On va tous crever.
Julia ne lui accorda pas un regard et referma sèchement son casier. — C’est sûr qu’avec des imbéciles comme lui, on n’arrivera jamais à destination vivants.
Une seule fille, au fond, n’avait pas bronché. Ne s’était même pas retournée.
Froide. Implacable. Elle portait déjà la combinaison réglementaire — celle des Serpents, l’autre variante de biosoldats de la caserne. Son marquage génétique ne trompait pas : des iris miel. Nous, les Araignées, gagnions les cheveux argentés et les iris gris acier.
Elle avait l’air sympa. De dos, en tout cas. (Mais bon, j’ai toujours eu un sens de l’intuition pourri.)
Je m’approchai, curieuse, et lui demandai : — Tu as eu ta dernière opération il y a longtemps ? Et… est-ce que ça fait mal ?
Elle se retourna. Un regard furieux. Méprisant.
— Décidément… C’est la colonie de vacances, ici. Pas une unité de combat d’élite. Ça, c’est certain.
Et elle partit aussitôt.
C’était Alice. Ma première meilleure amie.
Puis j’entendis le sergent crier : — Rassemblement dans dix minutes ! Salle des simulateurs ! Dix minutes !
Je m’écroulai sur le banc. J’en avais déjà marre, rien qu’à entendre sa voix.
Je crois que ma vie n’a jamais été aussi nulle. Je regrette tellement d’être là…
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