ÉPISODE 2 : MA GRANDE SOEUR PUNK (ELISABETH) 

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Je n’arrive pas à croire qu’elle ait été sélectionnée. Qu’elle ait vraiment subi l’opération. Aujourd’hui, elle est une bio-soldate qui va aider à régler la crise mondiale que nous traversons... Elle me manque tellement. Ses cheveux longs emmêlés, son odeur de céréales sucrées, sa casquette noire, ses débardeurs sans soutif...

Comment a-t-elle fait ? Comment cette petite sauvage punk grunge s’est-elle métamorphosée en combattante d’élite ? Et que la première chose qu’elle me dise au téléphone, ce soit : « J’ai un mec ! Et il est trop balèze ! Et en fait, c’est mon binôme araignée. »

Eh bien voilà ce qu’il fallait à ma grande sœur adorée : un mariage organisé par l’armée ! Même si je ne sais toujours pas ce qu’est une « Araignée », dans leur jargon.

Comme je suis heureuse. J’avais vraiment eu peur. J’avais passé des nuits à me ronger pour elle, avec papa, lorsqu’elle ne rentrait pas...

Malgré tout l’amour de notre mère — qu’on appelait "Co’mam’do" — elle n’aurait pas parié le fond de sa poche sur elle. Elle disait : « Regarde ta sœur, qui étudie pour devenir ingénieure et qui a un petit ami ingénieur militaire ferroviaire ! Tu ne peux pas en trouver un comme ça, toi ? Non. »

Elle, elle avait Alex. Un gothique avec lequel elle allait fumer des joints, lire dans les cimetières… et parfois... s’exercer au tir dans la forêt. Je n’arrive pas à croire qu’ils ne se soient jamais embrassés.

En même temps, si j’étais le bébé miracle, elle avait été adoptée juste avant ma naissance. Mais pour moi, elle avait toujours été la grande sœur. Un jour, mon père a juste passé le pas de la porte avec cet enfant dans les bras et a interdit à ma mère d’en parler ou de poser la moindre question. Je crois que ce blackout postnatal les a paralysées toutes les deux. Ajoutez à cela quelques pincées d’entêtement militaire... et vous avez un blindage parfait.

Nous avions passé quinze ans à nous faire du souci pour elle, spécialement mes parents ! Et notre père a su absorber et tuer dans l’œuf pas mal de crises, entre ses deux boxeuses professionnelles de la parole. Ces vingt années de vie commune m’ont préparée doucement à quitter le foyer. Après mes études, je n’ai pas attendu longtemps pour faire des enfants. C’est ce que je voulais le plus au monde : partir, construire un foyer au calme, et surtout, loin de l’armée.

J’étais rongée par l’angoisse, encore plus lorsqu’elle a rejoint le Black Train, réputé pour l’espérance de vie très courte de ses bio-soldats. Comment avait-elle pu accepter ça ? Mais maman, pour la première fois de sa vie, a pu faire une démonstration de son amour. Et a pleuré de joie le jour de sa sortie d’opération. Ce qui m’a beaucoup rassurée.

Je suis partie trois ans avant elle. Je me suis mariée, j’ai eu ma première fille, et la vie a commencé à s’installer. Puis, sans crier gare, tout s’est accéléré.

Elle entrait dans l’enfer militaire, pendant que moi, je basculais dans une douceur presque irréelle.

Avec mon Josh, je vivais un rêve éveillé. Je l’aimais comme au premier jour. Je riais pour un rien. Je l’embrassais dans la cuisine en préparant des pancakes.

Il venait de décrocher une promotion inespérée : cinq fois son salaire, une voiture de fonction, et des perspectives d’avenir radieuses. Et cerise sur le cupcake : j’étais enceinte d’un petit garçon. Avec ma fille, Rebecca, le tableau était complet. Tout était parfait. Absolument parfait.

J’ai déménagé dans un complexe luxueux, déjà meublé, au cœur du quartier le plus riche de la ville. Pour moi, qui avais grandi en banlieue et n’avais jamais connu que les logements modestes, c’était une ascension fulgurante. Le parquet ciré, les baies vitrées, les plantes vertes entretenues par le syndic… Tout paraissait sorti d’un magazine. Je me pinçais chaque matin pour y croire.

J’avais déménagé en une après-midi, dès le versement de la première paie de Josh. J’ai encore les yeux pleins d’étoiles.

Dans les rues encore calmes de la ville haute, je fermai les volets de mon nouvel appartement. J’étais déjà enceinte de six mois. Dans la pièce voisine, ma fille, Rebecca, six ans, jouait sur sa tablette.

Josh est rentré du dépôt ferroviaire. Il a déposé ses clés, m’a embrassée, a regardé mon ventre avec un sourire discret. — Ce soir, on fait la fête. — Ah bon ? Encore ? Ça fait trois semaines qu’on fait la fête. — Oui, mais là, c’est différent : j’ai eu des billets pour le Scolo ! Ils ne les donnent qu’aux ingénieurs-chefs ! — Des billets ? Pour quoi faire ? — Comment ça, « pour quoi faire » ? Tu vis dans une grotte ou quoi ?

Il est vrai qu’avec le déménagement, la grossesse, l’inscription de Rebecca dans sa nouvelle école, j’avais un peu perdu le fil. Mon seul moment de détente, je le trouvais dans la programmation de mes petits jeux kawaii et dans mes livres.

Josh s’est assis à côté de moi et m’a prise dans ses bras, sentant ma confusion. — Je sais qu’on vient d’emménager… mais en réalité, on risque de déménager encore. — C’est pour ça que tu as pris un logement déjà meublé ? — Oui. Et aussi parce que c’est beau.

À peine eut-il dit cela que je lui pinçai fort le ventre. Ce grand nigaud a ri malgré la douleur. — Quoi ? Tu n’aimes plus ma déco maintenant ?

Puis il reprit, plus sérieux : — Non, écoute. Le risque est réel, même pour une ville comme celle-ci. Si un jour l’alarme sonne pour annoncer l’explosion du noyau de la ville, nous devrons monter dans le train. Pour vivre ailleurs. Pour survivre. Tu comprends ?

Je ne réagis pas vraiment. Tout ce que je voyais, c’était mon ventre… et ce nouvel appartement.

Josh sortit l’étui premium noir de sa poche. Il observa les billets, songeur. Depuis que le gouvernement avait investi dans le Scolopendre, la profession d’ingénieur ferroviaire était devenue prestigieuse. Josh avait obtenu trois chances de survivre à bord du Black Train. Trois billets noirs. Anonymes. Codés. Intraçables.

Le train, entièrement automatisé, s’arrêtait dans chaque grande ville pour une durée de 48 heures. Pas une seconde de plus. La consigne était simple : se présenter à l’heure.

Depuis que Rebecca allait à l’école, je ne voyais plus personne. Le matin, je descendais les escaliers seule, je croisais parfois un livreur ou une silhouette pressée. Dans ce quartier-là, tout le monde travaillait dur. Moi, je restais là. J’arrosais les plantes du balcon, je vérifiais le frigo, je programmais des jeux, je lisais un peu. Le silence était propre. L’ennui, poli.

J’avais aperçu une jeune fille fine, aux beaux cheveux bruns, qui montait souvent les marches deux à deux. Je l’avais saluée une ou deux fois, sans vraiment savoir qui elle était.

Et puis un jour, une autre femme apparut.

Elle n’avait rien d’ordinaire. Un port altier, une allure presque militaire. Ses cheveux blonds tirés en arrière laissaient voir un visage anguleux, précis, marqué, mais encore magnifique. Elle portait un tailleur strict, droit, sombre. Et surtout, il y avait ses yeux clairs de panthère.

En la voyant monter les marches, je lui lançai avec un grand sourire, sans réfléchir : — Elle n’est pas là.

Elle se retourna, surprise.

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