ÉPISODE 3 - LA NONNE (ATHENA)
Résumé : Suite à une crise énergétique mondiale, un programme de sauvetage a été lancé : le Black Train, aussi appelé le Scolopendre Noir — un train colossal sillonnant les grandes villes pour embarquer une élite sélectionnée. Mais les places y sont rares. Athena, la grande sœur d’Elisabeth, s’est engagée dans l’armée à bord du Black Train. Après avoir subi une opération radicale, elle devient une Araignée : un soldat bionique conçu pour fonctionner en binôme — un homme et une femme ne formant plus qu’un seul corps de combat. Mais cette technologie, trop coûteuse, a poussé l’armée à créer une seconde caste de biosoldats : les Snakes (ou Serpents) — des combattants solitaires, rapides, discrets, redoutables. Pendant qu’Athena découvre la vie en caserne et sa nouvelle instructrice, l’énigmatique Cindy, surnommée la Nonne, Elisabeth, elle, tente de bâtir une vie paisible avec Josh et leur fille Rebecca, dans un appartement cossu de la ville haute.
ÉPISODE 3 — LA NONNE (ATHENA)
La souffrance vraie allait commencer.
On était postés juste devant la salle des Matrices, tous terrorisés. Ces simulateurs de combat vous envoient partout — jungle, désert, océan… Et surtout : ils sont connectés à votre système nerveux. Résultat : que vous perdiez un bras ou un nez… vous sentez tout. Sans jamais saigner.
Chaque année, le niveau de difficulté augmentait. Et comme nous allions y entrer dans cinq minutes, la tension était insupportable.
Tout le monde attendait de savoir quel officier allait nous prendre en charge, comme à la rentrée des classes. Pourvu que ce ne soit pas une peau de vache… Quoique, avec le temps, je m’étais habituée à la dureté des commandements. Je comprenais leur fonction, leur nécessité. J’aurais préféré un homme.
Ce fut une femme.
Par-dessus le brouhaha, un pas lent mais régulier — et précis comme un métronome — se faisait entendre.
Une petite silhouette entra au tréfonds de la salle.
Elle portait un simple chemisier noir, parfaitement repassé, rentré dans une jupe droite assortie. Une cravate fine, tenue par une pince d’acier.
D’étranges gants blancs — probablement une de ces bizarreries technologiques militaires, classées. Aucun ornement. Aucune arme visible. Et pourtant, tout en elle imposait le respect : sa silhouette de rousse majestueuse, sa posture droite, son pas sec, l’angle rigide de ses épaules. Ses cheveux étaient relevés en chignon, avec la précision clinique d’un protocole. Son visage, fermé, n’était ni sévère ni froid — simplement inaccessible.
Elle avançait dans nos rangs comme un serpent d’eau, fluide et silencieux. D’abord, personne ne la remarqua. Mais à mesure qu’elle progressait depuis l’arrière, frôlant nos bras, nos flancs, nos ventres, le silence s’installa de lui-même. Un à un, les regards tombaient, fascinés, sur le galon qui glissait devant leurs yeux.
Cette présence… ce parfum enivrant… quelque chose de chaud, de doux, de vivant. Un mélange de peau propre et de linge ancien. Une note légère de vanille. Et ce fond imperceptible de talc et de sueur humaine. Un parfum maternel. Primitif. Quelque chose qui, d’un seul coup, nous rassura. Nous ensorcela.
Ses doigts, écartés comme des feuilles, caressaient les silhouettes comme on passe la main dans un champ de blé. Par moments, elle fermait les yeux. Souriait légèrement. Extatique. Comme si elle goûtait ce moment avec la lenteur d’un rituel. Comme si elle aspirait notre peur.
Puis elle parla, doucement : — Vous êtes mes petites fleurs. Mes anges. Mes petits corps morts, déchirés dans les arbres. Éparpillés au sol. Brûlés ou hachés… je vous aimerai toujours.
Un frisson traversa les rangs. Le silence était devenu matière.
Elle avait provoqué un vertige collectif, une sorte de stupeur méditative. Puis elle monta sur l’estrade et nous détailla un à un. Nous étions tous en garde à vous, subjugués.
Julia me donna un léger coup d’épaule, à voix basse : — Regarde cet idiot de gorille. Il n’arrive même plus à refermer la bouche…
Mike, lui, avait les yeux mouillés d’émotion.
Elle nous jaugea longuement : — Prouvez-moi que vous êtes autre chose que des âmes perdues.
Un bref silence. Puis elle reprit : — Je suis l’officier Cindy Moore. Celle qui vous portera au bout de votre formation… ou au bout de votre vie.
Anton ne put se retenir. Il chuchota à Alice : — Tu parles d’une nonne !
— Qu’est-ce que tu racontes encore ? lança-t-elle, exaspérée.
— Il paraît qu’on la surnomme comme ça… la Nonne.C’est plutôt excitant, non ?
— Ça a à voir avec la discipline et la dévotion, répliqua Alice, sèche. Un truc qu’il te faudrait quatre mille ans à comprendre… après ton évolution de primate à homme des cavernes.
Mike pouffa de rire derrière.
Anton, qui n’avait rien compris — ou pas écouté — reprit, songeur : — En tout cas, je lui ferais bien ma confession…
Cindy stoppa son discours net. Elle tourna lentement la tête vers lui, sans cligner des yeux. Elle le fixa longuement.
Quelque chose s’éteignit dans le regard d’Anton. Il ne comprenait pas comment… mais elle avait compris.
Julia, en me jetant un coup d’œil, souffla en ricanant : — Regarde ce gros bêta…
Je répondis : — Ah… l’air niais de l’amour…
Cindy arriva à sa hauteur. Et dans un geste d’une lenteur déconcertante, elle lui pinça la joue droite et la secoua doucement, comme on taquine un enfant. Puis elle fit une moue adorable, prit une voix douce, presque chantée : — Désolé, bébé gorille… mais ta banane est encore trop verte pour maman.
Anton resta figé. Décomposé. Julia eut pitié de lui. Mike éclata de rire, suivi par tout le bataillon.
En quelques secondes, elle avait inversé l’atmosphère. Elle remonta sur l’estrade, tranquillement, les mains croisées derrière le dos.
Et dit d’un ton ferme : — Les cadavres ne rient pas.
Et les rires s’arrêtèrent. D’un seul coup.
— N’oubliez pas : vous êtes déjà morts. N’est-ce pas ? Il n’y a vraiment pas de quoi rire.
Un silence pesant retomba. Plus froid, plus dense qu’avant.
— C’est la discipline qui vous a menés jusqu’ici. C’est la discipline qui vous en sortira.
À présent, vous partez pour vingt-quatre heures de Matrice. Tous ceux qui sortiront avec un score inférieur à vingt mille quitteront le train. Et ce test à froid sera pris en compte pour la sélection de l’équipe Kuro. Donc, beaucoup d’entre vous nous quitteront au prochain arrêt.
Alice redressa la tête, les yeux brillants d’adrénaline. — Personne ne peut me battre sur ces simulateurs. C’est comme si j’étais née dedans. Je vais lui montrer qu’il y en a ici qui ne rient jamais.
Elle n’attendit pas d’approbation. Déjà, elle se dirigeait vers la porte.
Mike, en courant pour la suivre, lança à Anton avec un clin d’œil : — Allez, j’te vois à l’intérieur… banane verte !
Julia éclata de rire, et Anton, vexé, se figea. Il la regarda d’un air furieux, mais ne trouva rien à répondre. Il était encore sous le choc.
Un dernier regard de Cindy, impassible : — J’espère que c’est clair.
Puis elle frappa dans ses mains, sèchement : — Allez, allez. On y va.
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