ÉPISODE 6 – LE SURFEUR DANS SON SALON (ELISABETH)

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Moi, j’étais tombée sous le charme. Quelque chose en elle me rappelait trop Athena : cette force, cette détermination... Et ma grande sœur me manquait trop. Elle avait ce mélange de calme assuré, d’ironie légère et de solitude noble qui me fascinait.

Mais ce n’était pas seulement la femme qui m’impressionnait — c’était le monde qu’elle incarnait. Une avocate, issue d’une grande famille, qui comprenait les rouages de la haute société comme je comprenais les lignes de code, comme je connaissais les étagères de ma mangathèque.

Je savais que je n’étais pas idiote. Mais avec elle, je me sentais… différente. En décalage. Nos mondes divergeaient trop.

Un jour, elle me raconta comment elle avait séduit Natasha, alors encore doctorante en droit. Une histoire d’évidence. Une attirance lente, des regards prolongés, des conversations qui s’étiraient sur le parking de la faculté.

Je l’écoutais en silence, touchée. Quelque chose, en moi, reconnaissait ce geste — cette main douce et ferme qui avait su prendre. Qui voulait encore posséder.

Quant à Rebecca, elle ne s’ennuyait jamais. Très vite, Paula et Natasha, profitant de la souplesse de leurs horaires, avaient proposé de la garder. Elles l’amenaient dans le jardin de la résidence, lui faisaient réciter ses poésies préférées, lui apprenaient des chansons douces.

Je les observais de loin, silencieuse. Pourtant, quand je regardais Paula, quelque chose de profond s’agitait en moi — une peur ancienne, irrationnelle, presque animale. Je n’avais ni mot ni raison pour expliquer cela.

En trois mois, nous étions devenues de bonnes amies. Une routine s’était installée. Inoffensive. Presque domestique. Du thé, des confidences, un peu de lecture, un peu d’école, et beaucoup de silences complices.

Un jour, je trouvai Natasha assise sur le palier, recroquevillée, en larmes.

— Que se passe-t-il ?

Elle détourna le visage, honteuse, presque muette.

Je m’agenouillai instinctivement. Je posai une main sur son épaule, puis l’attirai contre moi. Elle résista une seconde… puis se laissa aller d’un coup. Elle se blottit, s’effondra dans mes bras.

Son corps était chaud. Léger. Fragile. Je sentis ses bras m’enlacer, son souffle dans mon cou, ses larmes couler lentement sur ma poitrine. Un élan protecteur m’envahit.

Je fermai les yeux. Je voulais juste la consoler. Mais malgré moi, une étrange tension traversa mon corps. Son t-shirt était fin, légèrement humide, et laissait deviner la peau brûlante en dessous. Elle ne portait qu’un t-shirt, une culotte et des chaussettes. Et elle était là, vulnérable, comme si de rien n’était.

Je rouvris les yeux. Pourquoi était-elle dans cet état ?

Je me relevai, lui tendis la main, doucement :

— Allez. On va parler un peu…

Je m’arrêtai sur le seuil, fronçai les sourcils :

— Tu… tu n’as pas les clés ?

Je me sentais comme une gamine qui attend sa copine devant la porte.

Sans un mot, Natasha s’essuya les joues du revers de la main, sonna à plusieurs reprises… et entra, me tirant avec elle.

Je découvris la scène. Je m’arrêtai net. Je fermai les yeux. Puis je les rouvris lentement, un doigt écarté pour regarder à travers, comme une gosse devant un film interdit.

Au milieu du salon, Paula était en train de se disputer avec un homme entièrement nu. Il tenait maladroitement son t-shirt devant lui, mais à chaque geste — chaque accusation — il levait la main pour pointer Paula du doigt, dévoilant l’ampleur de ce qu’il tentait de dissimuler.

C’était absurde. Hilarant. Presque chorégraphié.

Il mesurait près d’un mètre quatre-vingt-dix. Un torse sec, des muscles taillés comme ceux d’un athlète de plage. Des yeux verts, francs, rieurs. Une chevelure de surfeur californien, souple et claire, comme tombée de Gold Coast.

Sa voix grave résonnait avec un accent prononcé, faussement indigné, vaguement moqueur. Il tentait de parler avec dignité. Paula, elle, le mitraillait de phrases sèches, calmes et tranchantes.

Je continuais à regarder entre mes doigts, à la fois gênée et amusée. Je ne pus m’empêcher de sourire intérieurement.

Ah… c’est pour ça qu’elle était habillée comme ça.

Natasha revint quelques minutes plus tard, une boule de vêtements dans les bras. Sans dire un mot, elle prit l’homme par le bras, lui fit enfiler un pantalon, puis le conduisit vers la sortie. Il la suivit, pieds nus, le t-shirt toujours à la main.

L’après-midi s’étira. Paula s’était effondrée sur le canapé, le regard vide, la voix lasse. En la voyant dans cet état, je quittai mon amusement.

— Il vient une fois par mois, dit-elle. C’est moi qui l’ai choisi. Pour ses gènes. Et aussi parce qu’il a l’air trop bête pour nous nuire juridiquement. Mais je ne supporte plus sa voix. Je ne supporte plus ses rires. Et un jour, j’en suis sûre… je rentrerai, et il ne restera plus rien. Ni Natasha. Ni bébé. Juste des draps froissés. Comme si tout ça n’avait jamais existé.

Elle marqua une pause. Puis, presque dans un souffle :

— Tu sais… elle était hétéro, avant.

Et elle se tut.

Lorsque Natasha revint, elle se pencha sur Paula et l’embrassa longuement. Je m’éclipsai sans bruit. Il n’y avait rien d’autre à faire.

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