ÉPISODE 7 — ENFER EN CÉLIBATAIRE (ATHENA)
Dix minutes après l'euphorie du départ avec Spider, j'ai vite déchanté.
J'étais là, déjà morte d'après Cindy...
L'ambiance était horrible, je craignais tellement de finir mutilée.
Tout le monde était couché au sol, en silence, en position d'observation.
J'avais beau essayer de me concentrer. Qui ? Quoi ? Quand ? Je ne voyais rien. Je ne sentais rien. Instinct zéro. On ne connaissait ni l'objectif, ni l'ennemi. Au-delà d'un certain seuil, tout ici n'est qu'improvisation. Moi ? En général, je me débrouille. Enfin… je crois.
Spider était à côté de moi. Tellement calme que j'en oubliais presque sa présence. Presque.
Je ne pouvais pas ignorer que c'était lui, mon binôme. Je n'avais jamais été assemblée, même sur les simulateurs... J'ai hâte. Et en même temps, je suis terrorisée...
Autour de moi : que des Serpents. Chez eux, pas d'os en métal comme nous. Pas de connexions nerveuses. Juste un étrange caoutchouc, la thalassine, qui fusionne avec l'ADN de la chair.
Leurs muscles deviennent de l'élastique. Ils bondissent. Voltigent. S'étirent et ne se cassent jamais rien.
Mais modifier son corps, c'est forcément modifier son esprit. Et je sentais doucement, mais sûrement, des choses profondes se déplacer au fond de moi. Je dois rester attentive. Apparemment, il y a des risques élevés de troubles mentaux et nerveux. Je cherchais donc mon équilibre… à mon petit niveau de bébé Araignée.
Pendant ce temps, le marché militaire avait tranché : les Snakes coûtaient moins cher, vivaient plus longtemps, et il n’y avait aucun assemblage. C'est chacun pour soi.
Ce qui devrait expliquer pourquoi je viens de voir Alice détaler comme une folle. Tous les Snakes étaient déjà partis. Et moi ? Je traînais encore. Ma toute première simulation… et j'étais déjà larguée.
Je tournai la tête. Spider. Toujours là, allongé, calme. Pourquoi ?
Une alerte invisible. Une tension dans l'air.
Spider se redressa d'un coup. Accroupi. Silencieux. En garde.
Ses yeux balayaient l'horizon. Mais lui… il ne bougeait pas.
Des tirs, au loin. Puis plus proches. Des flashs. Un silence. Un mot :
— Bouge.
Il m'attrapa par le col et me jeta dans un vallon juste devant.
Et tout explosa.
Une rafale de 200. L'équivalent de dix tirs de lance-grenades. Spider était mort.
Enfin… il ne restait plus que sa botte. Ou plutôt son pied.
Mon estomac ne fit pas la différence entre le réel et le virtuel. Je vomis mon petit-déj de 6h15.
Et quand je baissai les yeux, je vis mes mains. Enfin… ma main. Il ne restait que l'exosquelette de mon bras.
Je n'ai pensé qu'à une chose : Heureusement, il ne m'a pas vue comme ça.
Et puis j'ai pris conscience de la situation : Il venait de se sacrifier pour sauver… ma simulation.
Le capitaine Cindy passa en trombe à côté de moi.
— Arrête de rêvasser, soldat !
Et tout ce que je trouvai à dire, tandis qu'elle s'éloignait, c'était :
— Mais… mon binôme est mort !
Sauf que personne ne m'écoutait. Tout le monde s'en foutait.
Alors je me suis ressaisie et j'ai couru, comme les autres, en suivant le mouvement.
Anton faisait signe à tout le monde de se regrouper derrière la vallée, près d'une sorte de niche dans la roche rouge.
Et c'est là qu'on le vit.
Héraclès 3300. Modèle désert. Jamais vu ça de notre vie.
Mike commençait à paniquer.
— Mais… c'est quoi ce monstre ?!
Anton, lui, était mort de rire. — C'est le Sandaclaus ! Hahaha !
Il reprit : — Regardez-le, celui-là ! Même pas encore dégainé qu’il se fait déjà dessus !
Pour l'instant, la bête tournait en rond. Elle ne nous voyait pas.
— Normal, lâcha Alice, hilare. Le camouflage, c'est notre spécialité. La base. Si t'as pas ça, rentre chez ta mère.
Elle était totalement excitée.
— C'est fantastique ! Tu te rends compte ? Affronter une telle machine dès notre première sortie...
Je lui répondis sèchement :
— Attends déjà de voir si tu vas survivre, avant d'être fière. Pour l'instant, t'as rien affronté, t'es juste planquée derrière les rochers en train de te tripoter avec ton fusil !
Elle ne m'entendit même pas.
Au même moment, je sentis quelque chose s'enrouler autour de mon épaule. Un bras extensible. Celui d'un crabe. Une unité de soin. Chirurgie mobile.
À l'intérieur, Julia. En scaphandre. Elle me souriait.
— Bouge pas trente secondes, s'il te plaît…
Et la magie opéra.
Son deuxième bras s'ouvrit comme une fleur métallique, hérissée de micro-tentacules luisantes, aux teintes rose, violette, orange et rouge vif — comme des coraux filamenteux bioluminescents.
C'étaient des instruments. Probablement tous les instruments médicaux de la Terre, concentrés dans une seule excroissance articulée, comme un couteau suisse organique.
Une tête, semblable à un goulot de bouteille, projeta un gel vert-bleuté.
En trois minutes, elle avait reconstitué la chair de mon bras — artificiellement, mais presque parfaitement.
Un peu bleu zombie, certes.
Mais toujours mieux que le sèche-linge que j'avais avant.
Puis Alice se retourna vers moi, me regarda droit dans les yeux, furieuse, cinglante :
— T'as plus ton binôme. Alors tu vas faire quoi maintenant, toute seule ? T'es hors-jeu. Remarque, tu peux toujours rester planquée à te toucher derrière les rochers.
Rectification : elle m'avait très bien entendue.
N'empêche… elle avait raison.
Je me posais sincèrement la question :
Qu'est-ce qu'une Araignée est censée faire quand elle n'a plus sa moitié ?
C'est à ce moment-là que Cindy arriva derrière nous.
Elle attrapa mon bras encore gélatineux.
— Déjà explosée ? Ça t'a pas pris longtemps.
J'en profitai pour me pencher vers elle, presque en chuchotant :
— Mais… qu'est-ce que je suis censée faire, cheffe ? Je suis toute seule.
Elle regardait au loin, le visage impassible.
Et elle me répondit avec un calme olympien :
— Te battre pour ton bataillon, et accessoirement pour ta vie.
Puis, après une pause :
— Mais si tu veux en finir tout de suite…
Elle pointa le Mecha, au loin.
— On te trouvera une remplaçante .
Petit électrochoc.
Puis elle me saisit doucement la tête et la colla presque à la sienne.
Et je sentis cette odeur. Instantanément, elle me calma.
Comme si quelque chose en moi reconnaissait ce parfum.
Comme si tout mon corps savait : ça va aller.
Nous étions accroupies, immobiles, le souffle suspendu.
— Écoute, murmura-t-elle, une Araignée est fondamentalement dix fois plus puissante qu'un Serpent. Je te le dis. Grave-le dans ton crâne de bleue.
Et elle me relâcha.
Ses mots faisaient vibrer quelque chose de sourd, enfoui.
À partir de ce moment, je n'ai plus jamais été la même sur le terrain.
*Mecha : abréviation de mechanical / se prononce "méka" : robot de guerre géant, piloté par un humain.
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