ÉPISODE 9 — TOUS LES ŒUFS DANS LA MÊME GUEULE (ATHENA)
Cindy s’adressa à tout le groupe :
— Mes bébés soldats apprennent à marcher seuls. Alors n’attendez pas qu’on vous tienne la main.
Elle marqua une pause.
— Regardez le sergent Banane verte ! Il est au top sur cette mission !
Anton tiqua, mais resta droit. Puis elle tapa dans le dos de Mike, raide comme une planche de bois, toujours tétanisé.
— Et toi, là. Le p’tit frère de la légende. Faut se bouger un peu.
Alice se retourna d’un coup, interloquée :
— Comment ça… qui ? Quelle légende ?
Cindy pointa la crête.
— Là-haut.
Un frisson me parcourut la colonne vertébrale. Tous les yeux s’accrochèrent à la silhouette noire qui courait à toute allure sur la ligne de crête — puis il sauta. Il passa au-dessus du crâne du monstre, comme propulsé par un élan irréel. Ses mouvements défiaient la logique. Il descendait comme une pendule, allongeant les bras, balançant son corps de gauche à droite, passant devant, derrière, trop vite pour que le Mecha* puisse réagir.
Alice se redressa, hypnotisée, incapable de cacher son admiration… ni sa jalousie.
— C’est ça… l’allonge d’un Snake ?
Cindy confirma, sèche, presque brutale :
— Notez bien. C’est ça qu’on appelle un Snake. Vous en êtes encore loin.
Il arrachait des pièces à coups de poing, torpillait les circuits vitaux de frappes précises. Chaque impact faisait voler des morceaux de blindage.
Anton, ironique :
— Donc on peut défaire une machine de quinze tonnes, vingt mètres de haut… à mains nues. Intéressant.
Cindy rétorqua :
— Ce n’est pas impossible. C’est pour ça que vous avez tous fait l’opération.
Le Mecha stoppa net, puis tomba à la renverse, comme une vieille armoire. Un grand fracas. L’ombre disparut dans la poussière de sable.
Alice se tourna vers moi, les yeux ronds, l’expression d’un enfant qui vient de voir passer le Père Noël.
— Tu as vu ce qu’il vient de faire ? En moins de soixante secondes. Personne d’autre ne peut faire ça. Personne ! C’est forcément le colonel Gideon.
Oui. Oui, j’aurais voulu me réjouir avec elle. Mais… je ne voyais pas de qui elle parlait.
Mike sauta de son trou avec son fusil.
— On l’achève !
— Non, attends ! cria Alice.
Mais il était déjà parti.
Il arriva le premier sur la carcasse. Le Mecha, pourtant à terre, tira une rafale en plein dans son plastron. Mike s’envola en hurlant.
Anton, sans pitié :
— Mais quel abruti, celui-là.
Julia, qui suivait l’unité de trop près, voulut ramasser Mike dans un de ses cocons de soin. Soucieuse de bien faire, elle s’était exposée.
Anton comprit immédiatement. Il tira une rafale lourde dans les rochers ; les blocs s’écrasèrent sur le dernier canon encore actif du monstre, le réduisant au silence. Puis il arracha Julia en arrière pour la mettre hors de portée. Ensuite, il récupéra Mike, qu’il ramena auprès d’elle.
Julia le regardait. Ils se fixèrent. Elle restait au sol, haletante, les mains griffant la poussière. Ses yeux disaient merci, clairement. Mais avant qu’un mot ne sorte…
Anton dit :
— Essaie de pas mourir tout de suite. Tu peux encore servir.
Elle le regardait encore. Confuse.
Et lui ? Tout feu, tout flamme, il fonçait déjà en tête de ligne pour achever le Mecha.
Tout le groupe était grisé. Alice et moi… on suivit.
La masse de tôle gisait au sol, incapable de bouger. Tout le monde l’avait encerclée et tirait à volonté. J’en arrivais presque à avoir pitié. Sa lumière orange clignotait encore… puis elle s’éteignit.
Pour nous, il était mort. Hors service. Un tas de métal.
Mais pendant qu’on célébrait la victoire, personne ne remarqua qu’une trappe s’ouvrait dans son flanc.
Je voulus crier, mais c’était déjà trop tard. Je sentis une giclée de sang chaud me fouetter le visage.
Une espèce de feuille de fougère géante flottante était sortie très lentement, noire et luisante comme un fouet d’acier, fendant l’air d’un seul coup, horizontal, chirurgical. Dix soldats tombèrent, tranchés net.
La lumière de la carcasse était passée au rouge vif.
Je reconnus Léo, le gars aux bottes qu’il avait lui-même customisées. Et celui qui m’avait filé une barre énergétique au petit déjeuner. Ils étaient là, une seconde. Et la seconde d’après… plus rien.
Le silence tomba d’un coup. Bouches bées, paralysés.
Je me retenais de pleurer. Ma respiration était saccadée. Je sentais mes muscles se raidir. Autour de moi, pas un mot.
Mike était toujours inconscient. Alice pleurait aussi. Mais de rage. Moi, j’avais cette sensation de déconnexion, comme si je regardais tout ça à travers une vitre.
Il nous fallut de longues minutes pour nous ressaisir. Du moins… pour ceux qui avaient pu s’éloigner à temps.
Cette bête-là était d’un autre niveau.
La feuille métallique était restée figée dans l’air, comme un totem satanique à l’affût du moindre mouvement. Elle demeurait là, suspendue dans le temps, même lorsque la nuit tomba.
Cindy s’était volatilisée. Le colonel aussi. Il ne restait que nous.
Après deux heures passées sans bouger, Anton réapparut derrière nous en chuchotant. Il avait contourné la crête sans qu’on le voie.
Julia s’était remise de son choc. Elle avait déjà soigné Mike.
— On peut s’en aller. Le tentacule n’atteindra pas cette zone. Il est là pour protéger la carcasse. Mais…
Il se tut, le regard ailleurs.
— Il y a trois blessés dessous. Si l’un d’eux bouge, ils y passent.
Il nous fallait une balise. Un signal. Du renfort. Et vite.
*Mecha : abréviation de mechanical / se prononce "méka" : robot de guerre géant, piloté par un humain.
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