ÉPISODE 7 : LE PRIX DES BILLETS (partie 1)

3 minutes de lecture

Point de vue de Paula :

Je revenais du travail lorsque j’aperçus cette étrange nouvelle voisine. Elle détonnait complètement dans le décor. J’avais presque envie de lui donner des biscuits et un ticket de bus pour qu’elle puisse rentrer chez elle. Mais, par Dieu, pourquoi me souriait-elle ?

Elle était accoudée à sa fenêtre, au soleil, et m’annonça que Natasha n’était pas là… C’était exactement ce que je voulais éviter en déménageant ici : les joies du bon voisinage.

Mais au lieu d’une réplique sèche ou d’un haussement d’épaules, je restai là, suspendue, à contempler cette jolie créature. Quelque chose, dans sa voix, dans son sourire, ou peut-être dans l’innocence désarmante de son geste, me cloua sur place. Comment avait-elle pu atterrir ici, celle-là ? Avec ses grands yeux curieux, sa silhouette fine, ses bras nus dans un t-shirt trop large, elle détonnait totalement dans ce monde de vitres froides et de voisinages muets. Et, sans réfléchir, je lui proposai de monter boire un thé.

Ce fut le début d’une série de rencontres.Souvent, elle montait pour prendre le thé chez moi, parfois avec sa fille Rebecca, parfois pour parler de Natasha, de nos essais infructueux pour tomber enceinte. Ce fut le début d’une grande amitié.

Point de vue d’Élisabeth :

Moi, j’étais tombée sous le charme. Quelque chose en elle me rappelait trop Athéna : cette force, cette détermination… Et ma grande sœur me manquait trop. Elle avait ce mélange de calme assuré, d’ironie légère et de solitude noble qui me fascinait.

Mais ce n’était pas seulement la femme qui m’impressionnait — c’était le monde qu’elle incarnait. Une avocate, issue d’une grande famille, qui comprenait les rouages de la haute société comme je comprenais les lignes de code, comme je connaissais les étagères de ma mangathèque.

Je savais que je n’étais pas idiote. Mais avec elle, je me sentais… différente. En décalage. Nos mondes divergeaient trop.

Quant à Rebecca, elle ne s’ennuyait jamais. Très vite, Paula et Natasha, sa compagne, profitant de la souplesse de leurs horaires, avaient proposé de la garder. Elles l’amenaient dans le jardin de la résidence, lui faisaient réciter ses poésies préférées, lui apprenaient des chansons douces.

Je les observais de loin, silencieuse. Pourtant, quand je regardais Paula, quelque chose de profond s’agitait en moi — une peur ancienne, irrationnelle, presque animale. Je n’avais ni mot ni raison pour expliquer cela.

En quelques mois, nous étions devenues de bonnes amies. Une routine s’était installée : du thé, des confidences, un peu de lecture, un peu d’école, et beaucoup de silences complices.

Un jour, je trouvai Natasha assise sur le palier, recroquevillée, en larmes.

— Que se passe-t-il ?

Elle détourna le visage, honteuse, presque muette.

Je m’agenouillai instinctivement. Je posai une main sur son épaule, puis l’attirai contre moi. Elle résista une seconde… puis se laissa aller d’un coup. Elle se blottit, s’effondra dans mes bras.

Je me relevai, lui tendis la main, doucement :
— Allez. On va parler un peu…

Sans un mot, Natasha s’essuya les joues du revers de la main, sonna à plusieurs reprises… et entra, me tirant avec elle.

Je découvris la scène. Je m’arrêtai net. Je fermai les yeux. Puis je les rouvris lentement, un doigt écarté pour regarder à travers, comme une gosse devant un film interdit.

Au milieu du salon, Paula se disputait avec un homme entièrement nu. Il tenait maladroitement son t-shirt devant lui, mais à chaque geste — chaque accusation — il levait la main pour pointer Paula du doigt, dévoilant ce qu’il tentait de dissimuler.

C’était absurde. Hilarant. Presque chorégraphié.

Un mètre quatre-vingt-dix, un torse sec, des muscles taillés comme ceux d’un athlète de plage. Des yeux verts, francs, rieurs. Une chevelure de surfeur californien, souple et claire.

Paula, elle, le mitraillait de phrases sèches, calmes et tranchantes.

Natasha revint quelques minutes plus tard, une boule de vêtements dans les bras. Sans dire un mot, elle prit l’homme par le bras, lui fit enfiler un pantalon, puis le conduisit vers la sortie.

Paula s’effondra sur le canapé, le regard vide, la voix lasse. En la voyant dans cet état, je quittai mon amusement.

— Il vient une fois par mois, dit-elle. C’est moi qui l’ai choisi. Pour ses gènes. Et aussi parce qu’il a l’air trop bête pour nous nuire juridiquement. Mais je ne supporte plus sa voix. Je ne supporte plus ses rires. Et un jour, j’en suis sûre… je rentrerai, et il ne restera plus rien. Ni Natasha. Ni bébé. Juste des draps froissés. Comme si tout ça n’avait jamais existé.

Elle marqua une pause. Puis, presque dans un souffle :
— Par-dessus tout, je rêve d’avoir un enfant maintenant… On a tout essayé...

Lorsque Natasha revint, elle se pencha sur Paula et l’embrassa longuement. Je m’éclipsai sans bruit. Il n’y avait rien d’autre à faire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Emma00B ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0