ÉPISODE 11 - PRÉLIMINAIRES MEURTRIERS (ATHENA)
La nuit était tombée. Nous marchions dans le désert glacé depuis des heures. Je sortis le kit de campement : un dôme électromagnétique.
L’intérieur s’illumina d’une chaleur douce, presque parfumée. Mais surtout : invisible de l’extérieur.
Une bande transparente courait tout autour, à hauteur des yeux, et le sommet, translucide, laissait filtrer les reflets des étoiles.
On voyait dehors. Mais dehors ne nous voyait pas.
Le repos du soldat... Dans une capsule de la taille d’un thermos.
De loin, ma création préférée du Laboratoire L.I.F.E. Ni sable. Ni insectes. Et extensible à l’infini.
Si les autres n’étaient pas là, j’y resterais des heures, à m’y prélasser. En pyjama. Ou sans.
On s’y installa, chacun à sa manière.
Mike et Julia étaient affalés sur le sol. Mike, les yeux dans le vide, murmurait : — Qu’est-ce que je fous là, moi…
Plusieurs fois, Alice insista pour savoir qui était ce frère légendaire que Cindy avait mentionné. Mais Mike, excédé, finit par exploser : — Mais putain ! Laisse-moi tranquille !
Julia aussi semblait au bord de la rupture. — On est loin d’avoir tenu vingt-quatre heures, et je suis déjà épuisée… Peut-être que c’est pas fait pour moi. Je vais retourner opérer dans le civil...
Alice ricana, arrogante : — C’est ça, une vraie mission. Vous feriez mieux de vous endurcir un peu… Remarque, y en a beaucoup qui vont dégager. La sélection naturelle, quoi.
Anton leva les yeux au ciel : — Mais c’est même pas une vraie mission. On est dans un simulateur, là !
— De quoi tu te plains ? Après-demain, tu te réveilleras dans ton lit…
Mike le foudroya du regard : — Ouais, mais la souffrance, elle, elle est bien réelle. Mais j’imagine qu’un gorille comme toi peut pas comprendre.
Il baissa la tête. Des larmes coulaient sur ses joues. Julia se précipita, l’entoura de ses bras. Elle lui murmura quelque chose à l’oreille. Il tremblait.
Anton les observait avec une moue de dégoût. Il murmura : — Quelle faiblesse… mon Dieu.
Et moi ? Je me sentais... plutôt bien. Prête à continuer. Mais je ne voulais pas le montrer.
Dans l’horizon bleu du petit matin, j’avais repéré une lumière jaune, clignotante, là-bas au loin. La balise.
On y était presque. La nouvelle redonna des forces au groupe.
Alice, elle, n’avait pas arrêté de me saouler : — Ce Snake incroyable… comment il a fait tomber le Mecha… blabla, il est trop fort, blabla… Moi je veux être formée que par lui !
On aurait dit mon petit cousin quand il me parlait de son catcheur préféré. C’était insupportable.
Mais je dois avouer que... c’est grâce à son enthousiasme stupide — mais sincère — que j’ai tenu.
Le sable crissait sous mes pas. J’avais mal partout. Mais je marchais droite. Je ne tomberais pas la première.
On commença à ramper à cinquante mètres de la balise. Alice ralentit, puis s’arrêta net. Elle était clairement sur ses gardes.
— Ça peut pas être aussi simple... — Y a un piège.
Et elle avait raison.
Soudain, Anton bondit, hurla comme un gosse à un match de foot : — Youhou ! On l’a ! On est sauvés !
Mike et Julia lui emboîtèrent le pas, tête baissée.
Alice convulsait, hors d’elle, leur fit signe de rester couchés, traça dans l’air un geste d’alerte — mais trop tard.
À trente mètres de la balise, une coupole surgit du sable, armée de canons en couronne.
Ils furent déchiquetés dans un flash silencieux en une fraction de seconde.
Game over.
On resta figées. Le souffle coupé. Le bruit des morceaux de chair tombant au sol résonnait encore dans nos oreilles...
Alice souffla : — Putain, putain, putain... T’as vu comment ils se sont fait atomiser ? J’ai à peine vu une lumière blanche...
Une larme glissa sur sa joue. — On est les dernières ? Les dernières survivantes ?
Je hochai la tête.
Simulation ou pas, les voir se faire hacher comme ça me retourna les tripes.
L’espace d’un instant, j’eus un vertige. Une envie folle de retourner d’où je venais. Dans le ventre de ma mère.
Mon genou bougea tout seul. Mon cœur tambourinait.
Alice me lança un regard rouge, humide — mais toujours furieux.
— Qu’est-ce que tu fous ! Tu veux qu’on se fasse flasher comme eux ?! Arrête de bouger, connasse !
Elle m’asséna un énorme coup de poing reptilien à l’épaule.
Je dois dire que ça m’a remis les idées en place.
Tant qu’on ne neutralisait pas ce Gyro MR, on ne pourrait pas avancer.
Maintenant qu’il s’était dévoilé, il nous traquait. Et attendait.
Une ombre traversa le périmètre.
Visiblement un Snake, peut-être le même que celui qui avait abattu le Mecha pour nous. Je me dis alors : Cindy a raison, nous sommes des bébés, on n’a absolument rien fait sur cette mission et tout le monde est presque mort...
Il sauta de la même façon qu’au-dessus de la tête du Mecha et lança une grenade. Deux canons de la couronne explosèrent. Il n’en restait que six.
Je n’y croyais pas.
Alice tressaillit. — C’est lui ! Le Snake de tout à l’heure !
Elle se trémoussa. Je lui dis, mi-sérieuse : — Calme-toi. Tu vas mouiller ton uniforme…
Je sentis un courant d’air derrière moi.
L’homme s’était glissé à mes côtés, en silence.
Pas d’odeur. Pas de bruit.
Une présence plus troublante encore que Spider.
Je sentis le souffle chaud d’Alice sur ma joue, suspendue à ses lèvres. Elle, qui d’habitude, ne supporte pas les contacts rapprochés !
— Il n’y a que vous ? demanda-t-il.
— Oui, répondis-je.
Elle hochait frénétiquement la tête, comme une groupie.
— OK. On va faire la manœuvre à trois, alors. Vos noms, soldats ?
En quelques phrases, il nous exposa une stratégie. Impressionnante.
À première vue, irréalisable.
Mais il parlait avec une telle certitude… qu’on finit par croire que ça pourrait marcher.
On reprit la progression, en rampant.
Alice me saisit le bras et devint menaçante :
— Toi, t’es une Araignée. T’as rien à faire de lui. Donc tu me le laisses. C’est lui qui doit me former. Lui. Personne d’autre. T’as compris ?
Je répondis, avec mépris : — Oui, mais à condition que lui veuille de toi.
Elle haussa les sourcils, puis continua jusqu’à son poste.
Alice devait engager le canon n°7 avec un leurre. Elle s’en acquitta parfaitement.
Mais au lieu de me laisser l’abattre... elle dérapa.
Elle crut qu’elle pouvait faire mieux. Qu’elle était assez rapide...
Bref, elle voulait briller. Impressionner le héros.
Elle avança.
Le dôme protégeant le canon était bien plus résistant qu’elle ne l’avait anticipé.
Le Snake avait pu en détruire deux d’un coup. Mais elle s’était surestimée et manquait cruellement de puissance de feu. Avant même d’avoir pu terminer son deuxième mouvement, elle fut soufflée comme une bougie.
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