Voir ses petits yeux de rongeur derrière ses lunettes m'insupporte au plus haut point. Heureusement pour lui qu’il est sur un écran.

J'étais en ligne avec mon ex, Erik Schwarzmann. Et aussi le directeur du labo. Numéro 2 de L.I.F.E. Comment j’ai pu tomber si bas... Ils donnaient les instructions pour le protocole Cockroach 14 : comment détruire les cobayes, comment poursuivre la sélection. J'avais tellement besoin d'écourter la conversation et de ne plus entendre sa voix que j'ai fini par dire :

— C’est quand même moi, le docteur en génétique ici. Je sais comment faire les sélections. Au revoir.

Puis j'ai éteint sa face.

J’allais avoir un problème dans ce train. On est assez à l'étroit, et il est difficile de transporter des caisses discrètement. Il me fallait quelqu’un qu’on ne serait pas surpris de voir traîner partout. Quelqu’un d’invisible. Comme ce petit, qui rôde devant les vitres panoramiques comme un zombie toutes les nuits.

Je devrais le mépriser. Mais il me fait penser à ces enfants dans les orphelinats XAD. Ceux qui regardent les adultes avec cette foi absurde, comme s’ils allaient les sauver. Ça me dégoûte. Et en même temps, je crois que ça m’attendrit.

Je ne comprends pas… Un gars de son âge, certes un peu petit, mais mignon, et avec l’air courageux… Pourquoi n’est-il pas en train de chasser les jeunes recrues ? Ce n’est pas ça qui manque.Arg… ces p'tits bisounours, j’ai envie de les secouer jusqu’à ce qu’ils crèvent ou qu’ils se réveillent enfin ! Qu’est-ce que c’est que cette génération ? Tout droit sortie d’un bassin génétique inférieur.

Tiens. En parlant de ça : j’ai découvert que c’était le petit frère de Gideon. Voyons voir... Ah. Ils ont été pris en charge par cette chère Carole. Première génération XAD. Pas vraiment un hasard que celui-ci soit un dormant.

En tout cas, c’est celui-là que je veux.

Test 1 :

Il a l’air réceptif. Mais Dieu... ce regard de chien battu.

En même temps, je ne cherche pas un combattant. J’ai déjà l’autre pour ça.

Lui, ce sera mon petit intendant. Comme ça, je n’aurai pas à me déplacer partout ni à me justifier.

Pour l’heure, voyons s’il est vraiment réceptif.

Test 2 :

...OK. Plus réceptif que ça, tu le mets en appli sur ton portable.

Je n’aurai aucun mal à en faire un homme de confiance. Voilà une bonne chose de faite.

Et pourtant, parfois, quand il me regarde, j’ai presque envie de lui caresser les cheveux. Juste un peu. Comme s’il était à moi. À moi seule. Pas comme une recrue. Comme un petit chiot qu’on aurait envie d’élever. C’est idiot. Mais je m’imagine parfois le prendre avec moi. Le sortir de là. Une seconde, j’y crois. Puis je me ressaisis. Il m’est utile, c’est tout.

Je dois aller plus loin. Voir si je peux aller en ville avec lui pour le reste.

Test 3 :

Oui. C’est plus que concluant.

Il n’a posé aucune question. Il avait l’air très heureux.

Mais quelque chose me dérange...

Je crois qu’il me prend pour sa mère. Ou quelque chose comme ça.

Il ne me regarde pas avec faim. Pas encore.

Pourquoi n’a-t-il rien tenté, alors qu’il est clairement hétéro ?

Aucun problème mécanique. Je l’ai observé via les caméras de surveillance.

Ce doit être affectif, psychologique... Connaissant Gideon, je dirais que celui-là doit être sacrément abîmé aussi, s’ils ont grandi ensemble... Et la mort de Carole est toujours classée. Ce qui veut dire que c’est un meurtre, pas un accident.

Bon. Je verrai bien ce soir.

Je vais le tester plus frontalement.

Test 4 :

En m’approchant pour l’embrasser, j’ai cru qu’il allait mourir sur place. Il avait du désir. C’était évident. Mais il ne savait pas quoi en faire.

Ce petit imbécile... il a ce regard. Celui qui vous implore sans rien demander. Et le pire ? Je crois que ça me plaît. C’est malsain. C’est parfait. J’ai toujours mieux manipulé les cœurs mous que les esprits brillants.

Je verrai ça dans quelques jours.

Test 5 :

Nous étions, cette fois, dans l’immense morgue du train. Il empilait les sacs lui-même. Certains corps étant adultes, il ne pouvait rien ignorer. Absolument rien.

Et moi ? J’avais mis ce rouge à lèvres-là. Lumineux, irrésistible, qui donne l’impression qu’on pourrait boire à ma bouche.

Je m’approchai sans un bruit. Il ne m’avait pas vue venir.

Je déposai un premier baiser. Léger.

Il ne bougea pas. Mais il avait les yeux fermés. Pas comme un enfant de chœur. Plutôt

Comme un animal prêt à bondir

Alors j’en déposai un autre. Plus bas. Puis un autre encore, sur la commissure. Sa lèvre vibrait.

Je sentais qu’il débordait. Il brûlait sous la peau. Mais il se contenait. Comme s’il avait peur d’exploser.

Alors je posai ma main sur sa nuque. Je serrai. Et cette fois, je l’embrassai. Pour de vrai. Avec ma bouche. Ma langue. Ma volonté.

Son corps réagit d’un bloc. Il me souleva comme un verre d’eau, me fit traverser la pièce… et me plaqua. Brutalement. Contre les caisses du fond.

J’ai adoré cette violence soudaine. Ce réveil. Ce sursaut de bête.

Il m’embrassait partout — dans le cou, sur la bouche. Ses mains tremblaient. Mais il ne reculait pas. Il me voulait. Entièrement.

Puis, d’un seul geste, il fit glisser ma jupe.

Il descendait.

Et au moment exact où il se jeta entre mes jambes, je soufflai :

— T’as intérêt à savoir ce que tu fais...

Là, il s’arrêta. Net. Comme si j’avais tiré sur un fil.

Il se figea. Baissa la tête. Reprit son souffle. Plus rien ne bougeait.

Puis, lentement, il remonta ma jupe. Sans un mot.

Je me penchai à son oreille. Ma voix était calme.

— Reviens me voir quand tu sauras vraiment ce que tu veux.

Je le fixai.Mais il n’osait plus me regarder, ce lâche.

— En attendant, tu m’appartiens. Compris ?

— Oui, madame.