EPISODE 19 : LES ENFANTS DU TRAIN
L’institutrice Ramirez comptait les enfants dans le bus scolaire.
La directrice Parker vint la rejoindre :
— « C’est bon, vous les avez tous ? »
— « Non, il me manque le treize, Sofia, et le cinquante-cinq, Donald. »
— « Il y a aussi Déméter, mais il est absent depuis deux mois. Je ne crois pas qu’on le reverra. »
— « Sinon, les soixante-douze autres sont là ? »
— « Oui. »
— « Bon, bon, on fera avec… De toute façon, c’est trop tard maintenant. »
J’entends leurs voix comme on entend l’écho dans une crypte. Froides. Distantes. Et si humaines.
Soudain, le téléphone sonna. La directrice décrocha…
— « Vous les avez tous ? »
— « Mais qui est-ce ? Je croyais que c’était la mairesse ? »
— « C’est son chef de cabinet, David Kern, vous me remettez ? Alors, vous les avez tous ? »
— « Non, monsieur… soixante-douze sur les soixante-quinze... » dit-elle d’une petite voix.
Un long silence, puis David reprit : — « Passez-moi Ramirez… »
Elle avait déjà les larmes aux yeux. — « Vous avez reçu la vidéo, vous avez vu que votre fils allait bien, non ? Étant la plus proche des élèves, on compte sur vous pour convaincre les derniers, d’accord ? Repassez-moi la directrice. »
L’institutrice courut se cacher derrière le bus pour pleurer.
— « Aidez-la un peu ! Et ramenez les trois enfants manquants à l’hôtel de ville avant vingt-deux heures, compris ? »
— « Et n’allez pas voir les parents en pleurant, d’accord ? »
— « Oui, monsieur », répondit Parker, la gorge serrée.
— « Deux chauffeurs militaires avec une escorte viendront prendre les bus dans trente minutes. »
La directrice tenta de l’interrompre :
— « Mais… mais… »
— « N’essayez pas de discuter, s’il vous plaît, Miss Parker. La situation est assez claire ! »
La directrice s’arrêta de parler. Son menton commença à trembler.
— « Oui, monsieur », dit-elle d’une petite voix.
Après cela, elle rejoignit Ramirez derrière le bus et la serra dans ses bras. Elles sanglotaient, inconsolables. Jamais dans leur vie elles n’avaient connu un tel désarroi.
— « Qu’est-ce qu’on va faire ? » dit la jeune Ramirez en sanglotant.
Parker était une femme forte de cinquante-cinq ans, cheveux blancs, vêtements ternes et désuets. Veuve depuis quinze ans, elle trouvait trop souvent refuge dans un verre. Mais c’était une femme de principes, droite et inébranlable. Une survivante d’un autre siècle : de celles qui soutenaient les usines pendant la guerre, qui défendaient leurs droits, et qui parlent encore quand tout le monde se tait. Pourtant, elle avait commis une erreur : accepter l’aide de David pour rembourser les dettes de son feu mari.
De son côté, Ramirez, jeune et frêle enseignante d’une trentaine d’années, était désespérée et hagarde. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, elle dont l’existence n’avait été qu’amour et dévouement.
— « Comment un tel cauchemar était-il possible ? »
Les pauvres femmes terrorisées n’eurent aucun autre choix que d’obéir.
— « Qui pouvait dire non à un tel monstre ? »
On commença à faire l’appel avant la montée dans le bus scolaire, devenu obligatoire pour tout le monde sur ordre sécuritaire de la mairesse. Peu importait si les trajets duraient une heure quinze, le temps de ramasser tout le monde dans la ville.
Petit à petit, on repéra et compta les élèves de la liste de Cindy : ceux qui avaient des gènes compatibles avec les programmes de transformation. Pour bâtir le rêve de M. De Trafford, il fallait beaucoup de personnel, en plus des soldats. Comment les avait-on repérés ? C’est très simple : nos laboratoires concevaient des maladies et leurs antidotes. Les campagnes de vaccination massives permettaient de repérer les profils génétiques intéressants.
Ramirez s’était remaquillée dix fois, et lorsqu’à dix-sept heures dix elle frappa à la porte des parents de Déméter pour leur annoncer que leur fils manquait une petite fête et une remise de prix à la mairie, que tout le monde l’attendait, sa maman l’envoya en toute confiance pour en profiter. L’enfant monta avec son enseignante et sa directrice, qui étaient spécialement venues le chercher.
— « Le spectacle commencera à vingt et une heures »
Devant l’établissement, deux hommes descendirent et prirent le volant des deux bus dans lesquels attendaient les enfants. On avait l’habitude de voir l’armée partout ces derniers temps, alors personne ne fit vraiment attention…
— « Attention aux détails… »
Au fait qu’il y avait deux armées : celle de mon mari, qui était privée, qui était la sienne ; et celle de l’État, qui, elle, n’intervenait jamais, ni dans les écoles, ni dans les distributions de vaccins.
Alors, comme personne n’avait prêté attention à ces détails, ni ne s’était interrogé, les bus partirent définitivement avec soixante-douze enfants à leur bord. Et après avoir roulé dans un très long et désert tunnel, ils furent embarqués dans le Black Train.
Lorsque Parker monta dans la salle de réunion de la mairie, là où l’attendaient la mairesse, David et Maya, la mairesse attendrie prit en charge les enfants et les emmena sur le toit par le bel ascenseur, afin d’y rejoindre un hélicoptère.
Pendant ce temps, après avoir brutalement assommé Ramirez d’un coup de poing, David étrangla Parker avec une corde de nylon. Maya regardait la scène, fascinée. Puis il lui proposa de s’occuper de Ramirez :
— « Ce sera ton premier, tu veux ? » dit-il avant de l’embrasser, excité.
Maya avait la gorge serrée et ne pouvait plus parler, mais elle était déterminée à ne pas laisser passer cette opportunité.
Puis la mairesse reparut : — « L’hélicoptère arrivera à la station dans treize minutes... David ! C’est bon maintenant, on a fait tout ce qu’ils ont demandé ? On a nos places ? La cinglée ne va pas revenir ? » parlant de Cindy.
David claqua des mains de joie, puis s’approcha du fauteuil roulant par derrière. Il la prit tendrement dans ses bras et, l’embrassant dans le cou, lui répondit :
— « Oui, c’est bon ma belle, on a nos places, on est déjà partis… »
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