Les yeux rouges
- Par la pensée
Il regarda l'infirmière comme si elle était devenue folle. Cette-dernière déporta son regard vers Ju, comme si elle lui demandait de faire une démonstration.
« Bonjour monsieur », retentit alors dans sa tête
Morg sursauta. Comment ?
« N'ayez pas peur, s'il-vous-plaît », reprit la voix
- C'est un don, expliqua l'infirmière, plusieurs élèves dans ce complexe sont capables d'exploits surnaturels. Ju, qui ne parle pas, peut donc communiquer par le biais de la pensée.
Morg s'assit, encore sous le choc, le temps de faire passer la surprise. Les deux adultes reportèrent leur attention sur la jeune fille, qui sembla soudainement vouloir disparaître.
Courir, elle devait courir. Arriver le plus vite possible. Elle ne devait pas craquer, pas maintenant ! Ju continua de courir le plus vite qu'elle pouvait jusqu'à sa chambre. Elle attrapa sa clé au fond de sa poche gauche et referma la porte derrière elle, avant de s'effondrer au sol. Sa tête brûlait, semblait sur le point d'exploser. La douleur lui tira des larmes amères, qu'elle s'empressa d'essuyer. Elle devait montrer qu'elle était forte, ou elle prendrait le contrôle encore une fois.
Soudain, une souffrance, si violente qu'elle l'aveugla pendant un moment, transperça son crâne.
- Alors, on me renie, dit une voix dans sa tête
- Vas-t'en ! Cria-t-elle intérieurement, laisse moi tranquille !
- Je suis une part de toi je te rappelle, je ne peux pas te laisser seule tout de même !
Une image s'imposa dans son esprit. Son double tentait de reprendre le pouvoir. Et ses yeux rouge sang l'irradiaient de l'intérieur. Elle secoua la tête, raffermissant sa prise sur son crâne, comme si cela pouvait atténuer la douleur.
Elle se leva, sortit et, par réflexe, referma la porte à clé. Elle ne savait pas vraiment où elle allait. Elle cherchait quelqu'un qui l'aiderait, n'importe qui, peu importait étant donné l'état dans lequel elle était. Elle savait qu'elle ne tiendrait pas longtemps en ayant la main sur les commandes. La douleur lui transperçait les tympans, lui vrillait les tempes. Elle se dirigea vers un couloir sur lequel débouchait l'artère principale.
- N'essaie pas de t'en aller, reprit la voix, le visage souriant dans sa tête
- Je t'ai dit de me laisser !
- Tu n'espères tout de même pas que je vais céder à cet espèce de supplication tout de même ?
La douleur s'intensifia, comme si quelque chose perçait sa tête. Ce n'était pas bon signe, pas bon du tout ! Les larmes se remirent à couler sur ses joues. Elle s'avança jusqu'au milieu du couloir. Puis elle eut l'impression qu'on lui broyait la cervelle petit à petit, avec une violence sans nom. Elle s'effondra à terre, combattant pour ne pas s'égarer dans les méandres de la souffrance. Elle suffoquait, gémissait, pleurant à chaudes larmes. Elle devait continuer de se battre ! Elle ne pouvait abandonner, ou se serait la fin pour elle.
- Laisse moi aux commande, susurra la voix, je sais que tu en meurs d'envie. Laisse moi et la douleur s'évanouira, et tu seras libre !
- Vas-t'en, réussit-elle à penser clairement
Puis elle vit son professeur s'approcher d'elle, de plus en plus. Elle le dévisagea. Elle avait peur. Pendant un instant, elle laissa aller son esprit. Et l'autre utilisa cet interstice pour entrer plus profond et prendre les rênes. Ju se sentit partir, comme si elle était prisonnière de son propre corps. Elle arriva dans une étrange salle blanche. Elle la connaissait bien, pour y être déjà entré plusieurs fois. Mais c'était la première fois qu'elle se retrouvait derrière les barreaux. Elle vit l'autre devant le panneau, en train de diriger le corps. Son corps.
Avec un effort surhumain, elle se glissa entre les barreaux, heureusement un peu trop écartés les uns des autres, et sauta sur son alter-ego aux yeux rouges, brisant le lien qu'elle avait avec le corps. Elle sentit celui-ci se mettre en pilote automatique et suivre docilement monsieur Griner là où il la menait, elle espéra vers l'infirmerie. Puis son double lui sauta à la gorge, enfonçant ses ongles dans la peau tendre de sa jumelle aux yeux bleus. Ju se débattit, asséna un coup ravageur dans le ventre de l'autre fille, avant de se dégager en vitesse. La folle attrapa sa jambe et la fit s'étaler de tout son long, avant de s'asseoir sur elle, et de recommencer à l'étouffer.
À bout de souffle, Ju pensa à renoncer. Puis se rappelant ce qui lui arriverait, à elle et à son corps si elle abandonnait, elle se débattit plus que jamais et finit par se libérer légèrement de l'emprise de son agresseuse, assez pour respirer vaguement du moins. De ses mains, encore libres, elle frappa le point faible de son adversaire de longue date : elle atteint sa nuque, la paralysant momentanément. Elle s'enfuit à l'autre bout de la pièce, à quelques mètres de l'autre. Elle sentit les yeux rouges la fusiller du regard quand l'autre fille se releva. Puis elle courut plus vite qu'elle ne l'avait jamais fait et, plaçant ses mains sur le torse de son ennemie, la repoussa violemment. La fille au yeux de sang se retrouva expulsée contre le mur, qui était à plusieurs mètres d'elle la seconde précédente.
La cellule, qui avait disparut quand elle l'avait quittée, réapparut dans le mur, à l'endroit où se trouvait l'autre jeune fille. Celle-ci fut aspirée vers le haut, avant que des barreaux n'apparaissent, emprisonnant l'alter-ego aux pulsions meurtrières, qui était encore sûrement collée au plafond par le souffle divin qui venait du sol de la présente prison. Ju, se sentant finalement en sécurité, se retourna vers le panneau de bord. Des bruits lui parvinrent comme si la folle aux yeux rouge sang se battait avec les murs qui l'entouraient tout en lui criant :
- Tu n'es pas assez forte ! Tu le sais aussi bien que moi ! Tu ne tiendras pas longtemps, laisse moi prendre le contrôle ! Nous savons toutes les deux que tu n'y arriveras pas ! Il vont te découvrir si c'est toi qui reste aux manettes ! Laisse moi sortir et je t'aiderais ! Tu n'es pas à même de...
Elle fut coupée par le mur insonorisé. Oui, elle le savait, elle n'avait jamais été assez forte. Pourtant, elle avait tenu quinze ans sans que son secret soit révélé à qui que ce soit. Elle pouvait bien tenir encore assez pour s'échapper définitivement de cet endroit et être assez grande pour vivre dehors.
- Ju, réveille-toi, s'il-te-plaît, dit une voix qu'elle connaissait plutôt bien
Elle posa sa main dans le cercle lumineux sur la droite du panneau de commandes et revint enfin à la réalité.
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