Chapitre 2 - Sombres souvenirs

4 minutes de lecture

 Après avoir pris le somptueux ascenseur de l’hôtel cinq étoiles, Lynn arpenta le grand hall et s’arrêta à l’accueil. Souriante, elle demanda à l’hôtesse de lui commander un taxi pour Storey Avenue.

 — Il sera là dans trois minutes exactement Madame. Tout s’est bien passé ?

 — Oui, je vous remercie.

 La jeune femme n’eut pas le temps de prendre congé que son interlocutrice, soucieuse de bien faire, lui demanda :

 — Souhaitez-vous que nous fassions votre chambre avant votre retour ?

 — Mon compagnon y dort encore et compte y passer la journée, répondit-elle d’une façon tout à fait naturelle. Il n’était pas très bien ce matin. Est-il possible de remettre le ménage à demain ?

 — Oui, tout à fait. Voulez-vous qu'un docteur vienne le voir ?

 — C’est gentil à vous mais ce n’est qu’une petite indigestion, il se remettra rapidement.

 — D’accord, qu’il n’hésite pas à nous contacter au besoin.

 — Bien entendu. Bonne journée madame et merci pour tout.

 — A bientôt.

 Lynn alla attendre son taxi devant l’hôtel, dans la rue Stockton. A peine arrivée que le véhicule jaune au damier se présenta.

 — C’est bien pour Storey Avenue ? demanda le chauffeur depuis sa fenêtre ouverte.

 — Tout à fait.

 La jeune femme monta alors dans la voiture qui démarra tranquillement. Elle n’échangea guère de mots avec le conducteur qui était absorbé par son émission de radio, la route et son écran de contrôle. Adossée contre la portière, elle regardait le paysage défiler.

Le monde des humains va me manquer

 Cela faisait cinq longues années qu’elle avait quitté le vaste océan et son peuple natal, celui des sirènes. Elle avait appris à aimer les us et coutumes de ce peuple qui lui était étranger. Cependant, sa mission touchait à sa fin. Il allait falloir rentrer chez les siens. Le patron d’une grande firme pétrolière, qui continuait ses projets d’expansion des plateformes dans l’océan, venait de mourir subitement. Elle serait très certainement recherchée dans les jours à venir. Son temps ici était limité.

 Elle comptait dire adieu à son amant, John, un employé d’une célèbre maison de disques. Voilà plus d’un an qu’ils étaient ensemble, depuis qu’il l’avait remarquée un soir alors qu’elle chantait sur une petite scène d’un bar miteux. Un lieu où tous les jeunes bourgeois de la ville se rendaient pour se saouler tout en applaudissant ou conspuant les personnes qui se présentaient pour jouer de la musique, faire de l’humour ou, comme Lynn, s’essayer à la chanson. Il était vrai qu’elle avait une voix magnifique et c’était cette capacité qui l’avait menée jusqu’ici, jusqu’à ce jour. La vengeance, surtout, l’avait guidée. Sa première cible avait été neutralisée. Bien d’autres viendraient… mais ce ne serait jamais assez pour oublier la perte de ses deux parents et de sa sœur qu’elle chérissait tant. Tous trois avaient péri à la suite de l’incendie d’un bateau pétrolier qui causa une énorme marée noire. Appartenant à la race des sirènes, ils n’avaient pu s’échapper à temps et avaient été pris et étouffés dans cette gangue toxique. Elle seule avait survécu, bien que son âme soit morte avec eux ce jour-là. Elle n’avait que cinq ans à l'époque et sa seule raison de vivre était devenue la vengeance. Sa détermination la mena à intégrer, dès l’âge de onze ans, une école de sirènes activistes. Elle y développa sa capacité métamorphoser sa queue d'un vert émeraude pour ressembler à une humaine. Ce fut dur. Extrêmement dur. La douleur dans un exercice de ce type était telle que certaines camarades sirènes finirent par devenir folles ou par abandonner. Afin de tenir trois jours hors de l’eau, avec deux jambes à la peau parfaitement lisse et sans écailles, il lui fallut s’exercer plus de dix ans. En plus de cela, elle développa d’autres compétences comme le combat, l’espionnage, l’anthropologie et le chant. Le but de cette organisation, la Mermaid Squad, était de lutter contre la destruction du milieu sous-marin. La pêche intensive, la destruction des récifs coralliens, le réchauffement des mers, la pollution physique et sonore des eaux, tout cela perturbait leur écosystème. Certaines de leurs colonies océaniques se retrouvaient dépourvues de ressources ou étaient même abandonnées. Sans parler des victimes qui perdaient au passage tous leurs biens ou périssaient dans d’affreuses conditions. Cette lutte était d’abord pacifique et passait par la négociation mais, avec l’homme, espèce aux mœurs peu raisonnables, la violence était employée si nécessaire. Lynn faisait partie de ces sirènes qui étaient capables de tuer sans remord et dont la capacité à l’espionnage et au combat était inouïe pour mener à bien certains objectifs sensibles.

 La sirène métamorphe fut tirée de ses sombres souvenirs lorsque le chauffeur lui adressa la parole :

 — Nous y sommes. Vous souhaitez que je vous dépose à un numéro particulier ?

 — Vous pouvez me déposer ici, je vais marcher un peu.

 Elle récupéra son sac à main, y fouilla quelques instants pour tendre au chauffeur un billet de vingt dollars alors qu’il lui en réclamait moins de quinze.

 — Vous pouvez garder la monnaie.

 Et elle quitta le véhicule.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lisounette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0