Introduction

4 minutes de lecture

Lucy est vautrée dans le canapé, pieds nus, laptop sur les genoux, une clope électronique coincée entre ses lèvres. Ariane, en tailleur crème, rentre tout juste, balance ses clés sur la console. Elle a encore ce pli crispé entre les sourcils, celui qu’elle ramène du bureau depuis… un an, facile.

— « T’as pas fini de froncer comme ça ? On dirait un tableau flamand mal restauré. »

Ariane lève les yeux au ciel, détache ses boucles d’oreilles, soupire en se laissant tomber à côté d’elle.

— « J’sais pas… ça s’arrange pas vraiment. Nouveau projet, nouvelle merde, même vieille fatigue. »

Lucy ferme son ordi, la fixe par-dessus ses lunettes.

— « Ari… c’est bon, ça fait un an que t’es sortie de ton grand machin cérébral. Il est temps de changer de référentiel. »

— « C’est ça ta métaphore délicate pour “va te faire sauter par quelqu’un d’autre” ? »

— « Pas quelqu’un. Quelques-uns. Ou une. Je m’en fous. Mais sors-toi de ton train-train. »

Elle attrape son téléphone, le glisse dans la paume d’Ariane, l’air de rien.

— « Installe Adopte. Tu l’as déjà fait pour rigoler l’an dernier, pour stalker des profils débiles. Maintenant fais-le pour toi. »

Ariane roule des yeux, ricane, mais son pouce pianote déjà.

— « Tu sais que j’ai pas besoin qu’on me pousse tant que ça, hein ? »

Lucy éclate de rire, un son clair, presque triomphant.

— « Oh ça, je sais. T’as juste besoin d’une excuse. Et je suis excellente pour ça. »

Ariane hausse les épaules, sourit, puis fixe l’écran lumineux. Ses hanches bougent à peine contre le canapé, comme si son corps avait déjà pris la décision avant elle.

— « Allez, va pour l’excuse. »

Lucy claque sa main contre la sienne.

— « Parfait. Je fais le popcorn. T’auras besoin de forces pour swiper. »

Quelques mois plus tard,...

Le bar sent le houblon, le cuir fatigué et la cire chaude des vieilles tables. Dans un coin, un vinyle crépite sur un pick-up, distille une basse paresseuse qui se mêle aux éclats de rire. Au mur, des cadres bancals affichent des photos noir et blanc de skateurs et de nanas seins nus, pseudo transgressifs. Un néon rose dessine le mot « Boum » au-dessus des bouteilles.

Lucy est derrière le comptoir, t-shirt noir roulé sur les épaules, essuie un verre en discutant avec un habitué. Elle repère Ariane du coin de l’œil, lui adresse un petit signe de tête.

Ariane traverse la salle, son trench ouvert sur une robe courte qui s’accroche à ses hanches pleines. Elle s’assoit à l’angle du bar, croise les jambes, sort son téléphone. Ses ongles tapotent distraitement l’écran.

Lucy s’approche, un sourire carnassier aux lèvres.

— « Soirée morose, madame la philosophe des reins ? »

Ariane soupire, laisse retomber son portable sur le zinc.

— « J’crois que j’ai atteint un nouveau stade de lassitude. Même le scrolling me fatigue. »

Lucy arque un sourcil, rit doucement.

— « Sérieux ? Pourtant y’a du choix. Les petits torses rasés, les barbus à bonnet, les cadres qui se croient DJ le week-end… »

Ariane pousse un rire sec.

— « C’est bien ça le problème. C’est quoi le principe d’une sous-culture qui se prétend subversive mais qui est aussi prévisible qu’un calendrier de l’Avent ? »

Lucy s’accoude, curieuse.

— « Vas-y, lâche ton couplet. »

Ariane prend son verre, fait tourner la glace, son regard accroché à un groupe de mecs en jeans slim près de la porte.

— « Regarde-les. Les hipsters avec leurs totebags vegan. Les cadres dynamiques en chemise blanche qui se disent “open”, prêts à expérimenter deux soirs pour pouvoir s’en vanter le lundi. Les torses nus dans leur salle de bain sur l’appli, qui confondent liberté sexuelle et copier-coller Instagram. »

Elle souffle, son rire est amer.

— « Même la baise est devenue un putain de produit standardisé. Positions recommandées, playlist Spotify, dirty talk appris sur TikTok… c’est censé être sauvage, mais c’est juste une autre mise en scène convenue. »

Lucy rit, mais son regard est perçant.

— « Et toi, madame la lucide, t’espérais quoi ? Un hussard du XVIIIᵉ qui te déboutonne en alexandrins ? »

— « Non. Juste… un truc qui sorte du script. Qui me bouscule un peu, putain. Là, même les libertins sont réglés comme une putain de cérémonie. Tu choisis ton rôle, tu paies ton entrée, tu suis les flèches. »

Lucy claque sa langue contre son palais, secoue la tête.

— « Ari… c’est pas le terrain qui est en faute. C’est la joueuse. Si tu veux que ça brûle, c’est toi qui devras foutre l’étincelle au bon endroit. »

Ariane relève la tête, un éclat moqueur dans les yeux.

— « T’es adorable quand tu fais la coach de vie. »

— « Je fais surtout la barmaid pragmatique : c’est toi qui tiens ton verre, ton téléphone, ton cul. Donc c’est toi qui fixes le jeu. »

Ariane ricane, mais ses hanches roulent imperceptiblement sur le tabouret, comme si son corps, malgré la fatigue, se rappelait qu’il a encore faim. Son regard glisse à nouveau sur la foule. Puis elle attrape son portable, le rallume.

— « Facile à dire. Mais je vais pas crever sèche pour tes beaux discours. »

Lucy lui adresse un clin d’œil complice, tapote deux doigts sur le comptoir.

— « Parfait. Rentre chez toi, fais ton petit rituel d’insomniaque… et swipe. Peut-être que ce soir, c’est ton tour. »

Ariane hausse un sourcil, rit malgré elle, puis finit son verre d’une traite.
Elle embrasse Lucy sur la joue, lâche un « sale garce » tendre, et disparaît dans la nuit parisienne.

Annotations

Vous aimez lire Muxu ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0