Premier Date

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Une tiédeur dorée persiste sur la rue Saint‑Honoré ; assez pour brouiller la vitrine du Café Verlet et étirer la dernière lueur d’août sur les banquettes velours. Dans ce halo, l’odeur vive du Volcan salvadorien se déploie — un simple accord sensoriel qui, déjà, fait vibrer la scène. Sous la note torréfiée affleure un soupçon de cuir chaud venu de la banquette.

Ariane pousse la porte ; le bas de sa robe étoilée de mica frôle un tote‑bag crème. Élias l’attend : veste bleu nuit, cheveux châtains légèrement indociles qui effleurent son front, regard gris orageux clair pour la pénombre, et l’exemplaire lourd de L’Individu au Moyen Âge posé comme une promesse. Sa voix grave, rythmée, glisse déjà comme une ligne de basse.

« Alors, tu existes vraiment. »
« Je confirme : ni bot ni serial‑ghoster. »
Il pose ses paumes ouvertes sur la table, épaules relâchées : tout, chez lui, respire une confiance tranquille.

« Je t’imaginais au scriptorium, pas chez les torréfacteurs. »
« Je cartographie surtout les intérieurs humains ; pour te rencontrer, il fallait quitter la bibliothèque. »

Ils choisissent le Volcan. Quand les cuillères tintent, leurs doigts se frôlent ; l’électricité jaillit, nette. Une chaleur basse pulse entre ses hanches, mélange brûlant de café et d’adrénaline.

« Préviens‑moi si la tension sature », souffle Ariane.
« Une seule règle : une blague pour une confession corporelle. »

Elle acquiesce ; la partie d’échecs verbal ne comptera qu’un échange.
Elle savoure l’idée de se perdre sans se tromper de page.

« Si l’on fusionne nos bibliothèques, on obtiendra le plan d’une galaxie ou le mode d’emploi d’un lit Ikea ; dans les deux cas, il faudra une clé Allen pour serrer l’ensemble.

Elle remarque alors, glissée comme un marque‑page, une réelle clé Allen anthracite : la métaphore vient de prendre corps. Il l’avait donc amenée exprès : préméditation délicieuse. Un frisson tiède lui traverse l’échine et serre sa gorge d’un désir acide.

Le rire qui fuse soulève les paillettes de sa robe.

« Je vérifierai la charpente. Il me faut un mot de passe. »
« “Byzantium”. » Le serveur dépose l’addition ; un grésillement du TPE retarde le verdict d’une poignée de secondes. Ariane sent son cœur tambouriner, puis hoche imperceptiblement la tête : feu vert. Élias se penche ; une effluve d’espresso s’intercale une seconde entre eux, puis

— Premier baiser. Le grain infime de la barbe d’Élias effleure sa lèvre supérieure, rugosité de parchemin. Goût de café et de promesse métallique ; les lampes se brouillent. La cartographie est encore théorique, mais déjà la pulpe de ses doigts explore la tranche du livre – première page signée.

Sa culotte bat encore au rythme assourdissant du TPE.

Premier rendez‑vous ? Règles envolées. Un instant, la question fuse : et si elle regrettait ? Puis la chaleur répond : impossible — pas avec lui.

Ils se lèvent. Élias glisse l’ouvrage dans le tote‑bag ; Ariane fait tourner la clé Allen entre ses doigts avant de la glisser dans la poche secrète de sa robe. Dehors, la nuit pulse. Un scooter racle la chaussée, cloche de vélo en contrepoint ; le monde reprend son volume.

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Je la vois lisser le plissé de sa robe midi bleu nuit constellée de micropaillettes — la coupe épouse la courbe ferme de ses fesses, exact territoire que mes paumes rêvent déjà de cartographier. Elle ondule subtilement, pressant sa hanche contre moi, comme pour réclamer davantage. Ses épaules nues captent la lueur des réverbères, révélant une peau ivoire mouchetée de quelques grains de rousseur.

Nos souffles s’entrecroisent ; nos lèvres se retrouvent, baiser plus obstiné que celui du Café. Une nuance fleur d’oranger court sur sa bouche ; je m’y accroche.

Ariane expire dans ma commissure ; ses cils vibrent. Lorsque nous reprenons haleine, — « Toujours la clause “stop à tout moment”. » souffle-t‑elle. — « Premier item du contrat. » acquiescé‑je. je suspends la paume un souffle au creux de son dos, puis descend, suivant la frontière secrète du tanga. La soie palpite sous mon pouce, comme si elle respirait. Un battement de conscience mutuelle : son regard claque dans le mien, un minuscule hochement – continue. J’obéis.

« Monsieur l’explorateur, vous cartographiez déjà ? »

Le rire qui suit carillonne sous l’auvent. La cartographie quitte la conversation pour devenir tracé tactile ; la clé Allen, alourdie d’implications, semble tourner à l’intérieur même de ma paume.

Un taxi ralentit ; son phare balaie nos ombres – rappel que le monde existe encore. Elle mord sa lèvre, prête au cri que nous étouffons encore. Nous reculons d’un demi‑pas, accord tacite : se séparer avant l’embrasement total.

Elle récupère le tote‑bag.

Leurs pas s’éloignent en cadence, battant la mesure d’une nuit encore à écrire. Dans la poche de sa robe, la clé cliquette contre la cuisse d’Ariane, chaque choc rappelant la paume brûlante d’Élias.

Premier date, pas de lit. Je dois prendre mon temps, se martèle‑t‑elle, même si une fièvre diffuse pulse déjà entre ses cuisses. Elle ajuste le tote‑bag sur son épaule, feignant d’ignorer l’épaisseur inaccoutumée qu’elle sent à peine — l’oubli du livre ne percute pas encore sa conscience. Pour l’instant, chaque pas résonne comme une promesse, et la nuit, dense, l’accompagne

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