Birth of desire

9 minutes de lecture

La cloche d’appel rend son dernier écho quand Ariane et Élias gagnent le serpentin de verre. Paris étouffe encore dans la touffeur d’un soir d’août, mais l’air du musée respire déjà béton poli et électricité de projecteurs. Ariane hisse la bretelle de son débardeur écru ; sous la maille, le triangle en tulle Le Petit Trou brodé de coccinelles frémit pour lui seul. Un pas derrière, Élias garde les mains dans ses poches — posture mesurée, incandescence soigneusement tenue.

L’ancienne BPI est devenue territoire d’Adel Abdessemed : céramiques calcinées, dessins au fusain, vidéos sans concession. Devant Practice Zero Tolerance — Clio moulée en terre cuite et déjà craquelée — Élias effleure la portière fendue ; Ariane plaque ses doigts sur les siens. Poudre minérale, granuleuse, qui enrobe leurs peaux. Elle pense : « La morsure avant la morsure ». De l’autre côté de son regard, il pressent : « Ou peut‑être l’empreinte après ». Une saveur de braise partagée, sans qu’un mot ne soit nécessaire.

Ils serpentent entre les rayonnages rescapés. Les étiquettes 900 – Histoire pendent encore, rubans d’un savoir qu’on aurait incendié. À quelques mètres, trois grands fusains du cycle Nature morte (2024) dressent des côtes de mouton calcifiées, une couronne de fruits entrouverts. Chaque visiteur soulève un nuage impalpable de carbone ; les peluches sombres voltigent entre eux.

— Une vanité carnée, souffle Ariane, pensive. Le festin est fini ; les chairs exhalent encore. — Ou un prélude, répond Élias. Tout a été arraché, brûlé ; le prochain repas devra se prendre vivant.

Elle lève deux doigts pour saisir dans le dessin l’arête la plus brillante ; le geste soulève son débardeur. À travers la trame, une coccinelle rouge bat des ailes sur la pointe de son sein. Élias commente, la voix rauque :

— Dans les natures mortes flamandes, l’insecte annonçait la corruption… Ici il proclame l’appétit. — Alors croque vite, avant qu’il ne s’envole, le défie‑t‑elle.

Sa jupe portefeuille terracotta effleure sa cuisse nue, et la poussière de fusain s’y dépose comme un talisman. Chaque détour épaissit le parfum de vétiver qu’Élias sème dans son sillage ; la chaleur qui couve au creux d’Ariane pulse à l’unisson.

Un éclat sonore les happe : Cri projette, en grand écran, un coq entravé qui s’égosille sous lumière clinique. La stridence se répercute sur les montants métalliques. Élias ferme les paupières, savoure la vibration ; Ariane lève la tête, offerte au son, gorge tendue.

— Un gallinacé, dit‑elle, et pourtant j’entends un ténor qui brise son registre. — Même souffle, répond‑il. Chanter, jouir : la cage thoracique cherche l’éclatement. — Reste à savoir qui, du coq ou de nous, finira plumé.

Leurs visages se frôlent, partagent le même battement d’air saturé de cri. Dans le vacarme, le petit trou ovale de la culotte d’Ariane vibre, comme tiré par la gorge de l’animal.

— Et si je te prenais pour chantre ? souffle Élias.

Un frisson incandescent file sous la jupe d’Ariane. Elle esquisse un pas, s’engouffre dans un couloir drapé de médium noir. Un gardien écarte le rideau d’une salle vidéo ; cube d’ombre. Sur l’écran unique tourne Birth of Love : quatre couples filmés frontalement, respirations brutes, absence de montage. Pulsation lumineuse qui déshabille chaque pore. Les mini‑coccinelles cousues battent la mesure contre la peau d’Ariane ; elle sent, entre ses cuisses, la larme découpée de sa culotte palpiter au rythme du souffle amplifié.

Personne. Un rayonnage métallique survit près de l’issue de secours ; la zone d’ombre semble une chambre noire improvisée. Sa main capture celle d’Élias, le tire dos au métal.

— Si l’on cadrait, maintenant ? chuchote‑t‑elle. — Ouverture 1 ,4, répond‑il à peine audible.

Un pas de garde se perd dans le couloir. Ariane retient son souffle ; un point rouge clignote au plafond, témoin d’une caméra toujours active. Le danger la gorge. La patte de sa jupe cède — sans hâte, comme on libère un négatif fragile — et le pan tombe, révélant le tulle noir et la goutte ovale au creux des reins. Elle garde la main sur le tissu, dissimule le mouvement derrière son propre corps, le temps que le pas s’éloigne.

Le pas s’efface ; le silence retombe. Son bracelet constellations tinte contre l’acier. Élias fend la braguette d’un pincement précis ; sa bouche trouve la clavicule d’Ariane. Quand Élias la pénètre, Ariane croit qu’elle va exploser.
Sa chair s’ouvre d’un coup, avale ce qu’elle attendait, et c’est si large, si dur, si brûlant qu’un instant elle pense qu’elle ne pourra pas tout prendre. Puis ça force, ça écarte, ça conquiert, et son corps cède, ruisselant.

La tête de son sexe glisse au plus tendre, la frotte là où ça la rend folle, où ça brûle presque trop. Ses parois se contractent autour de lui dans un spasme brutal, humide, et elle sent tout : la moiteur qui dégouline, la verge qui palpite en elle, le sang d’Élias qui bat contre ses murs.

Putain, c’est la première fois. Je l’ai laissé entrer si profond, si vite…

Un son rauque s’arrache de sa gorge, plus proche du cri que du gémissement. Ses doigts se plantent dans la nuque d’Élias pour le tenir, l’empêcher de fuir — ou de la posséder trop vite.
Élias pousse un râle, ses hanches cherchent à s’enfoncer plus, son souffle casse contre sa tempe. Ariane sent son ventre se creuser, son clitoris battre à rendre folle.

Pas encore. Pas tant que je n’ai pas fini de te faire implorer.

Elle contracte, volontairement, le serre d’un coup sec. Ses muscles se referment sur lui, l’écrasent dans un étau brûlant. Il gémit son prénom, un son étranglé qui la fait sourire malgré elle.
Puis son propre corps la trahit : une vague violente monte de son bas-ventre, son sexe palpite trop fort, réclame. Elle doit mordre sa lèvre pour ne pas supplier tout de suite.

Et soudain, elle entend des voix.
De l’autre côté du rayonnage, un petit groupe commente la vidéo projetée — des rires étouffés, un chuchotement railleur :
— « T’as vu leurs têtes ? On dirait qu’ils vont exploser… »

Elle sent Élias se raidir tout contre elle, son souffle s’étrangle.
Une panique glacée remonte dans la gorge d’Ariane — et s’ils se penchaient juste un peu ? s’ils la voyaient, nue, le prendre là contre les étagères ? — mais la peur se mêle à un plaisir si tranchant qu’elle serre les cuisses plus fort, presque involontairement.
Sa moiteur s’écoule, inonde la base de la verge d’Élias. Il pousse un gémissement étouffé, tente un petit coup de reins désespéré.

Oui. C’est encore meilleur avec le risque. Que ton corps sache que je peux nous faire découvrir là, maintenant, et que tu jouiras quand même.

Elle le regarde, leurs fronts collés, sa bouche juste assez ouverte pour laisser échapper son souffle haché. Sa main descend, agrippe la nuque d’Élias plus fort, le retient quand il essaie de bouger. Son ventre est un foyer de braises, son clitoris pulse à la limite du supportable.

— « Pas encore… reste là… sens à quel point je te tiens. »

Mais son propre contrôle craque. Une secousse la traverse, la fait trembler contre lui. Elle sent son sexe se gorger encore, presser la verge d’Élias dans une série de petites vagues qui lui arrachent un gémissement brisé.
Il halète son prénom, prêt à éclater, ses mains crispées sur ses hanches.
Alors seulement Ariane cède, son sourire se fissure en quelque chose de plus féroce, presque douloureux.

— « Maintenant. Viens… remplis-moi. »

Il se libère dans un grondement rauque, son corps tout entier se tend, la chaleur afflue en elle — un flot épais, brûlant, qui pulse contre ses parois contractées. Ce choc la renverse : son ventre explose en rafales incontrôlables, son cri s’étrangle, ses hanches se figent, puis se convulsent à nouveau, forçant la jouissance à s’étendre sur plusieurs vagues désordonnées.
Elle le sent encore dur, palpitant, ses propres muscles le traient à l’agonie.

Un rire nerveux la secoue enfin, brise le silence revenu. Elle colle son front au sien, haletante, son cœur cogne comme s’il voulait s’arracher de sa poitrine.

À moi. Totalement.

Puis, de l’autre côté du rayonnage, le groupe s’éloigne enfin ; on entend encore un éclat de voix, un éclat de rire, qui se perd au détour d’un rayon. Le silence du sous-sol revient, lourd, presque solennel.

Ariane sent Élias se détendre à moitié, ses bras qui se relâchent, comme s’il allait la laisser s’échapper. Elle resserre aussitôt ses cuisses, sent son corps encore enfoui en elle, tiède, moite d’eux deux mêlés. Elle se penche à son oreille, souffle, la voix rauque, un fil d’ombre encore suspendu entre eux :

— « Pas encore… laisse-moi garder l’ombre un peu plus longtemps, avant qu’on brûle tout. »

Élias ferme les yeux, ses mains remontent sur son dos, la retiennent encore, docile et vaincu à la fois. Ils restent ainsi un battement, puis deux, liés par ce silence noir comme une chambre close, avant qu’elle ne se détache lentement.

Ils se réajustent à toute vitesse : jupe nouée d’un geste sûr, tulle lissé, fente légèrement plus haute qu’à l’arrivée — indice volontaire. Le fragment de poussière reste, tatouage provisoire. Ariane cale ses cheveux, Élias remet un bouton. Elle attend la seconde d’après‑choc :

— Je veux l’épreuve contact de cet instant, murmure‑t‑il. — Promets‑moi un studio, lumière crue, déclencheur souple… et je signe tout.

En quittant la salle, Habibi — turbine d’avion suspendue — pulse un grondement sourd. Paumes jointes sur l’acier tiède, leurs empreintes se superposent. L’escalator les aspire vers la verrière ; Paris rougeoie au‑delà. Ariane trace une ligne invisible sur la vitre ; Élias superpose la sienne. Nous sommes déjà l’image latente ; il suffit d’un bain de lumière pour nous révéler. Il n’y a plus que le négatif à consumer pour n’en garder que la lumière. Leur reflet se fond, tandis que la nuit promet sa chambre noire.

Quand ils sortent du musée, l’air du soir est encore lourd, chargé d’ozone et de poussière. Ariane prend une grande respiration, comme pour s’arracher aux images crues des vidéos, à la tension qui colle encore entre ses cuisses.

Ils marchent sans trop savoir où, leurs bras s’effleurant à chaque pas. À un moment, Élias cale carrément sa main dans la sienne. Un geste simple, un peu gauche. Pas du tout la prise assurée qu’elle attendait de lui.

Ça la trouble.

Ils vont ainsi plusieurs rues, jusqu’à longer un square où l’odeur d’herbe chaude monte avec la nuit. Puis Élias s’arrête, tire légèrement Ariane par la main pour qu’elle fasse face. Il la regarde, le front un peu plissé, comme s’il hésitait à prononcer quelque chose qui pourrait tout décaler.

— « Tu sais… je croyais vraiment que ça serait juste du corps. Un terrain de jeu. Et c’était déjà beaucoup. Mais là… »

Sa voix se perd un instant. Il se gratte la nuque, le regard ailleurs.

— « Là, ça commence à ressembler à plus que ça. Et c’est un peu terrifiant. »

Ariane sent son ventre se serrer — exactement à l’endroit où la chaleur l’a habitée tout l’après-midi. Son premier réflexe est presque la fuite : elle retire légèrement sa main, puis la reprend aussitôt, comme si son corps refusait ce que son cerveau essaye de faire.

— « Terrifiant ? » répète-t-elle, mi-ironique, mi-sincère, pour masquer la panique douce qui pulse dans sa poitrine.

Élias la fixe alors, droit, sans la moindre malice.

— « Oui. Parce que ça compte. Et que quand ça compte, tu risques vraiment quelque chose. »

Ariane inspire, se mord la lèvre, son regard oscille un instant. Puis elle rit, un peu nerveuse, la tête penchée.

— « Ok… on risque. Ensemble, du coup ? »

Élias hoche la tête, l’ombre d’un sourire s’accroche à sa bouche.

— « Marché conclu. Même si ça veut dire qu’un jour on sera ces vieux cons à bruncher en parlant de notre chat obèse. »

Ariane éclate d’un rire plus franc, se penche pour poser son front contre sa clavicule, juste un instant, histoire de calmer le tourbillon à l’intérieur. Quand elle se redresse, ses yeux brillent d’une lueur nouvelle — mi-inquiète, mi-amusée.

— « T’as conscience que c’est exactement ce genre de moment qui me fait flipper, mais qui me donne envie de te suivre quand même ? »

Il lui effleure la joue du revers des doigts, presque comme on tournerait une page fragile.

— « Oui. Moi aussi. »

Ils repartent lentement, leurs doigts enlacés, plus serrés qu’avant. Comme s’ils tenaient déjà quelque chose d’un peu précieux — et qu’ils avaient peur, tout bas, de le laisser tombe.

Ils s’étaient quittés sur une plaisanterie à demi sérieuse, le genre de boutade qui, sous ses airs d’armure légère, dissimule déjà une faille prête à s’emplir d’avenir. « On finira peut-être à bruncher, vieux couple attendri, à parler de notre chat obèse qui volera nos tartines… »
Ils avaient ri, trop fort, comme pour masquer le petit vertige né au creux de leurs ventres — ce soupçon de futur qu’aucun d’eux n’osait vraiment effleurer.

Annotations

Vous aimez lire Muxu ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0