Brunch
Deux jours plus tard, l’idée flotte encore entre eux lorsqu’ils s’installent au café-librairie, banquette contre vitrine, dans la lumière blonde qui découpe les poussières en constellations vivantes. Ici, pas de sous-sol obscur, pas de vidéo crue projetée sur un mur nu, juste le froissement des pages et l’odeur chaude du lapsang qui monte des tasses.
Ariane esquisse un sourire un peu inquiet — ou peut-être déjà complice — quand elle sort son carnet crème. Leur chat n’existe pas encore, mais les brunchs, eux, commencent là, autour d’une gaufre à la cardamome et d’un bol de chantilly, sous l’œil bienveillant d’Hyperion juché sur son lutrin.
Et pendant qu’Élias l’observe noter quelques mots, une drôle de chaleur l’envahit : la conscience presque gênée que, peut-être, ils sont déjà en train de bâtir cette tendre banalité qu’ils feignaient de craindre. Que ce moment-là — simple, presque sage — est la première pierre du reste.
La librairie-café bruissait d’un silence complice, ponctué seulement des murmures feutrés des lecteurs et des effluves mêlés du café fraîchement moulu et du papier vieilli. Dehors, la rue grouillait de bruits : le passage soudain d’un scooter pétaradant, le cri distant d’un marchand ambulant, et à travers la vitrine, un mendiant assis sur le trottoir fixait d’un regard vide les passants pressés. Sur une banquette illuminée par un rayon de soleil filtré, Ariane et Élias se faisaient face, leurs regards se croisant brièvement mais régulièrement, créant une douce tension entre eux malgré le contraste perturbant avec l'extérieur.
Les gaufres à la cardamome embaumaient l'air d'une chaleur épicée ; Ariane arracha un morceau, le portant à ses lèvres avec une sensualité subtile mais délibérée, captant furtivement le regard d’Élias sur la miette restée au coin de sa bouche.
« J’aimerais… briser un peu notre bulle, murmura-t-il en fixant son lapsang fumé. J’ai envie de mieux te connaître, mais je dois t’avouer que je ne suis pas exactement… banal. »
Son cœur s’accéléra légèrement en rencontrant l’expression attentive d’Ariane.
« J’adore les échanges profonds, poursuivit-il avec assurance, mais les conversations ordinaires m’ennuient rapidement. Je joue avec les mots parce que c’est ainsi que je me sens vu. Mais parfois, c’est épuisant. »
Ariane pencha doucement la tête, intriguée et rassurante.
« Tu as peur d’être incompris ? »
« Plutôt peur de décevoir en devenant trop sérieux, ou trop honnête. »
Elle acquiesça, ses doigts effleurant distraitement sa tasse.
« Moi, je sors d’une longue relation très… cérébrale, dit-elle d’une voix claire. Aujourd’hui, je veux de la simplicité. Sans calculs ni complications. »
Élias esquissa un sourire rassuré. « Simple, mais intense, comme nos derniers moments ? »
Elle sourit, complice, les yeux pétillants : « Exactement ça. »
Un silence chargé s’installa avant qu’Ariane ne le rompe, plus bas, presque dans un souffle :
« Et si on parlait fantasmes ? Pas en mode liste, plutôt… comme des portes entrouvertes. »
Élias sentit une chaleur franche monter en lui, son regard s’affirma : « Très bien, lance-toi alors. »
« Non, toi d'abord, insista-t-elle en avançant subtilement vers lui. Qu’est-ce qui te fait vraiment vibrer ? »
Il prit une inspiration, sa voix légèrement rauque : « Le regard, principalement. Comme l'autre soir chez toi… quand tu as laissé tomber ce coussin en me fixant. Cette impudeur partagée, ça m'a marqué. » Il ajouta d'une voix plus brute, presque maladroite : « Enfin, ça m’a vraiment retourné, en fait. »
Elle rit légèrement, le souvenir éclairant brièvement ses yeux : « J’aime cette idée d’intimité visuelle. »
Élias la fixa, une audace nouvelle éclairant son regard : « Tu aurais aimé qu’on nous surprenne devant Real Time ? »
Elle ouvrit la bouche, choquée mais amusée, avant de rire franchement : « Peut-être… »
Il continua, le regard vif : « Découvrir qu’elle porte un plug. Un secret intime, caché, qui rend le désir palpable. »
Ariane releva les yeux, surprise, son cœur battant plus vite : « Un plug ? Vraiment ? »
Élias sentit son ventre se serrer d’une excitation profonde, une tension électrique parcourir son corps. Il leva lentement les yeux, son regard glissant sans gêne vers la courbe de ses hanches : « Tu as dû remarquer que j’aime beaucoup les fesses des femmes… »
Ariane éclata de rire, détendue, espiègle : « Oui, ta tête quand j’ai quitté ton appartement devait être mémorable. »
Ils rirent ensemble, complices, interrompus par l'arrivée d'un serveur venu récupérer leurs assiettes. Lorsqu'il s'éloigna, Élias reprit doucement, avec une assurance nouvelle : « Ce n’est pas juste une question d’admiration visuelle… J’aime aussi l’idée de les explorer plus… intimement. Lentement, délicatement. »
Elle détourna brièvement les yeux, une tension évidente dans son corps, ses doigts serrant nerveusement sa tasse.
« Je… j’ai tenté ça quand j’étais jeune, avoua-t-elle, le regard ailleurs. Ça s'est plutôt mal passé. »
Élias posa doucement sa main sur la sienne, son regard ferme mais doux : « Tout le monde n’est pas cartographe. »
Ariane écarquilla les yeux, amusée et intriguée par l'audace de la remarque, avant de rire à nouveau, d’un rire sincère et libérateur. Elle secoua doucement la tête, ses yeux brillants de curiosité.
« Et toi ? enchaîna-t-il, affirmant la dynamique. Quels fantasmes te tentent vraiment ? »
Elle adopta un air joueur, ses doigts effleurant à nouveau sa tasse avec assurance.
« J’aime être vue. Sentir les regards qui me caressent, voir l’effet que je provoque. Et puis… » Elle inspira profondément, une tension palpable dans sa voix : « J’aimerais explorer des clubs libertins. Sentir plusieurs corps autour de moi, dans une liberté assumée. »
Élias se raidit imperceptiblement, une tension visible dans ses épaules.
« Tu n’aimes pas l’idée ? » demanda-t-elle franchement.
« Ce n’est pas une question de jalousie, dit-il avec honnêteté. Je ne ressens pas vraiment ça. Mais ces endroits peuvent vite me saturer. Trop de bruits, trop de lumières, trop de sensations… » Il serra légèrement la mâchoire, ressentant déjà un écho sensoriel envahir ses nerfs.
Elle inclina légèrement la tête, réprimant un sourire malicieux : « Manifestement, même les explorateurs chevronnés craignent certaines terra incognita. »
Élias sourit franchement, détendu, retrouvant sa légèreté : « Disons que certaines contrées demandent juste un peu plus de préparation. »
Un silence dense et chargé d’émotions enveloppa leur échange. Ariane sortit lentement un petit carnet crème, griffonnant quelques mots d'un stylo turquoise sous le regard vif d’Élias :
Regarder l’autre se donner du plaisir – Edging : dominer l’orgasme – Plug intime (à discuter…) – Clubs libertins : pluralité (attention à la surcharge sensorielle) – Explorer la sodomie (peut-être, lentement)
Elle referma lentement le carnet, glissant son stylo dans son sac, relevant les yeux avec intensité.
« Les portes sont ouvertes. On les franchira ensemble, quand on sera prêts. »
Il acquiesça, une lueur troublante dans les yeux : « Simple, mais toujours intense. »
Ils finirent leurs boissons en silence, la tension presque palpable entre eux. En se levant, Ariane laissa glisser son pull un peu plus bas sur son épaule, captant instantanément le regard d’Élias, qui se perdit quelques secondes sur sa chute de reins. Il se remémora avec une clarté troublante cette sortie mémorable après leur séance de retro gaming, l'image d'elle quittant la pièce gravée dans sa mémoire, faisant monter en lui un frisson d'anticipation. Ses yeux à elle lancèrent une dernière promesse silencieuse, troublante et délicieusement ambiguë.
« À très vite, Élias. »
« À très vite, Ariane. »
Lorsqu’elle fut partie, Élias resta immobile quelques instants, traversé par l’excitation troublante d’un désir à la fois concret et indéfinissable
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