Ariane remonte le Passage du Désir, foulard flottant derrière elle. Elle se traite mentalement de conne : pourquoi être venue là ? Un simple « marcher un peu » qu’elle s’est inventé comme prétexte minable. La vérité, c’est qu’elle rôde. Autour d’un fantasme qu’elle n’a pas inventé mais qu’elle veut posséder avant qu’il ne la possède.

Son cœur cogne un rien trop vite quand elle pousse la porte du sex shop. À l’intérieur, la lumière est douce, presque conspiratrice ; les étagères noires croulent d’objets élégants qui brillent sous les spots, comme dans une joaillerie clandestine.
Elle inspire, longue bouffée nerveuse. Son pouls s’affole — ridicule, songe-t-elle, pour quelqu’un qui se croit si affranchie. Mais il y a un monde entre se l’imaginer et se pointer là, seule, pour acheter un plug qu’elle compte porter sous ses jupes pour un homme.

Derrière le comptoir, une vendeuse à la coupe bleu nuit et aux bras constellés de tatouages filigranés la regarde approcher. Son demi-sourire n’est pas franchement innocent ; ses yeux brillent d’une lueur amusée, comme si elle devinait déjà ce qu’Ariane était venue chercher.

Ariane fait mine de feuilleter une notice, mais ses doigts tremblent légèrement. Puis elle attrape le petit plug d’acier, base sertie d’une émeraude. Le métal est froid, lourd, presque insolent, et pulse déjà contre sa paume.

Elle relève la tête ; la vendeuse s’est avancée, un coude appuyé nonchalamment sur le comptoir, ses yeux clairs rivés sur elle.

— « Premier bijou ? » souffle-t-elle, voix basse, presque frôlante.

Ariane hoche la tête, relève le menton, adopte son masque d’arrogance.
— « Oui. Mais je compte bien qu’il se fasse remarquer. »

La vendeuse se penche un peu plus, son visage à quelques centimètres seulement. Son regard descend le long des hanches d’Ariane avant de remonter lentement, très lentement, jusqu’à ses yeux.

— « Vous êtes sûre de la taille ? Beaucoup se lancent trop grand, juste… pour impressionner. »
Puis, un pli effronté fend sa bouche :
— « Si vous voulez, je peux vous aider à l’essayer. Voir comment il se place, comment il… tient. »

Ariane sent une chaleur violente grimper de sa poitrine à sa nuque. Son ventre se serre, un mélange de panique et d’excitation brute. Elle laisse filer un petit rire sec, cache son trouble sous un haussement de sourcil.

— « Non merci. Je crois que je préfère expérimenter seule. »

— « C’est souvent plus sage, mais bien moins amusant… » murmure la vendeuse, son souffle presque contre sa joue.

Leur regard se croise, une seconde de trop. Ariane récupère son assurance comme on rattrape un pan de robe, sort sa carte, règle d’un geste vif. La vendeuse emballe le bijou dans un petit sac blanc, puis le lui tend, ses doigts effleurant délibérément les siens.

— « Ce genre de pierre… ça aime être admiré longtemps. »

Ariane s’éclipse, cœur au galop, le Passage du Désir vibrant sous ses semelles comme un avertissement. Le sac pend lourd à son bras, secret froid prêt à devenir brûlant.

« Quand Élias le découvrira, il saura exactement jusqu’où j’ai décidé d’aller. »