Appart d’Ariane, fin d’après-midi.
Lucy est en tailleur sur le canapé lichen, laptop sur les genoux, en train de trier des factures. Ariane referme la porte un peu trop fort, trench toujours boutonné, son totebag serré contre elle comme un talisman.

Lucy relève la tête, arque un sourcil.
— « Putain Ari, t’as une tête… c’est pas la bouffe asiat’ ni une robe soldée, ça. »

Ariane reste un instant plantée là, la main toujours sur la poignée, comme si elle envisageait de refaire demi-tour. Son ventre pulse, l’émeraude semble déjà peser plus lourd que l’air.

— « Je crois que je viens de faire la chose la plus conne… ou la plus excitante… de ma vie. »

Lucy referme son ordi d’un claquement sec, pivote pour la fixer, un sourire narquois déjà tapi au coin des lèvres.

— « Ne me dis pas que t’as ramené un mec ici en plein après-midi, j’ai pas payé la taxe voyeurisme. »

— « Pire. »

Elle avance, pose le totebag sur la table basse, en sort la boîte satinée. La lumière dorée de la suspension se prend dans l’écrin noir, fait flamboyer le logo argenté.

Lucy plisse les yeux. Son regard se fait plus fixe, presque gourmand.

— « Non… dis-moi pas que c’est un joujou. »

Ariane ouvre la boîte d’un clic sec. L’émeraude les regarde, goguenarde.

Un silence épais descend, le temps d’un battement. Puis Lucy se lève, contourne la table, se plante tout près d’Ariane. Leur souffle se mêle, Lucy pose une main légère sur sa hanche, la fixe avec une intensité douce mais presque intrusive.

— « T’as vraiment fait ça pour lui ? » murmure-t-elle, son pouce dessinant un cercle infime sur le tissu du trench.

Ariane sent la chaleur se répandre sous la caresse. Elle hoche la tête, un peu trop vite, se mord l’intérieur de la joue.

— « Pour voir si je peux marcher dans son fantasme et en ressortir debout. »

Lucy se penche, ses lèvres frôlent l’oreille d’Ariane.
— « Ou couchée, selon le programme. »

Le rire nerveux d’Ariane fend la bulle de tension. Lucy se redresse, tape doucement le dessus de la boîte.

— « C’est magnifique. On dirait un talisman. T’as bien fait. »

Puis, basculant d’un coup dans son rire grinçant :
— « Juste… fais pas la warrior. Mets du lubrifiant.»

Ariane éclate d’un rire secoué, relâche enfin ses épaules, le front appuyé un instant contre celui de son amie.

— « T’es vraiment la pire. »

— « La meilleure, tu veux dire. Allez, va l’essayer, madame la courtisane cartographique. Je range la compta. »

Ariane attrape la boîte, roule des yeux, puis s’éclipse dans le couloir, un soupir mi-anxieux mi-gourmand accroché à ses lèvres.

Dans sa chambre, lumière d’ambre et rideaux tirés.

Ariane s’assoit au bord du lit, la petite boîte ouverte sur ses genoux. L’émeraude pulse doucement sous la lampe, comme si elle respirait.

« Pourquoi j’ai fait ça ?
Pour lui. Juste pour lui.
Moi qui me targue de contrôler mes désirs, de ne rien faire qui ne parte pas d’un élan viscéral… là, c’est pour un fantasme qui n’est même pas le mien.
Mais c’est ça qui me trouble, non ? Que ce soit à lui, et que ça me donne envie d’y plonger quand même.
Est-ce que ça fait de moi une femme libre — ou juste quelqu’un d’atrocement malléable ?
Et si c’était les deux ?
Peut-être que mon pouvoir, c’est justement de choisir jusqu’où je me plie à ses images.
Parce que c’est toujours moi qui décide de dire oui. »

Elle passe un doigt sur la pierre froide. Un petit frisson la traverse.

« Et si, en fin de compte, ça devenait aussi mon fantasme ? »