Walk of Shame
La porte claque derrière elle. Ariane reste un instant appuyée contre le battant, le cœur encore trop rapide, le souffle un peu court — pas juste à cause du trajet, mais à cause de tout ce qu’elle ramène : l’odeur d’Élias, la moiteur encore vive entre ses cuisses, et la brûlure bien plus bas, là où il avait posé sa bouche, trop longtemps, trop cruellement.
Elle inspire, ferme les yeux, et laisse filer un petit rire nerveux.
Son trench retombe sur la robe prune de la veille. Dans son sac, son tanga gît en boule, humide, presque obscène. Walk of shame, version cartographiée.
Quand elle entre dans le salon, Lucy est déjà là, en tailleur sur le canapé, laptop sur les genoux, mug fumant à la main. Elle lève à peine les yeux, son sourire carnassier déjà en place.
— « Oh putain. La revoilà. Même robe, même air de chatte repue. Je jure que si je farfouille dans ton sac, je trouve ton string encore humide. »
Ariane lève les yeux au ciel, laisse tomber son sac comme un aveu sonore, puis s’affale à côté d’elle.
— « Ta gueule, Lucy. »
Elle se redresse à peine, pince les lèvres et ajoute, faussement vexée :
— « Et pour ton info, c’est pas un string, c’est un tanga. Nuance. »
Lucy éclate de rire, tape sa cuisse.
— « Oh pardon madame la connaisseuse ! Comme si ça changeait quoi que ce soit au fait que tu te balades avec ton cul tout frais, vide, et ton pauvre petit tanga planqué là. »
Ariane grogne, se recroqueville, mais son sourire la trahit déjà. Lucy referme son ordi d’un claquement sec, se cale mieux, rictus gourmand aux lèvres.
— « Oh non non non, pas cette fois. Je ferme tout parce que là, c’est festin. Déjà hier soir, chez Camille et Jonas, c’était à peine croyable. T’avais la jambe grande ouverte sous la table, Élias qui te cartographiait la cuisse pendant qu’on parlait de Maalouf, et Camille qui buvait ça comme du petit lait. »
Ariane lâche un petit rire, secoue la tête, le front contre le dossier.
— « Non mais… c’était dingue. Ses doigts étaient sur moi, tout le temps. Juste là, entre mes cuisses, pendant qu’on parlait structure narrative. J’étais incapable de suivre, je hochais la tête comme une cruche pendant qu’il me frôlait. Et Camille me regardait avec son petit sourire genre “je sais exactement où est sa main”. »
Lucy ricane plus fort.
— « Tu veux la meilleure ? Quand vous êtes partis, Jonas a dit à Camille : “C’est amusant, j’ai eu l’impression de voir un documentaire animalier sur deux grands prédateurs. On aurait dit qu’ils allaient se bouffer vivant entre la salade de poulpe et le pain bio.” »
Ariane éclate d’un rire honteux, cache son visage dans ses mains.
— « Putain… c’est tellement ça. Et c’est pas juste sale ou juste élégant, c’est les deux en même temps. C’est la tête qu’il faisait, son souffle à mon oreille quand il murmurait “passe-moi le vin” en me caressant. J’ai failli jouir, là, à table. »
Lucy ricane, puis pousse le bouchon, la voix plus basse, presque carnivore :
— « Franchement, à un moment, j’ai cru que t’allais juste écarter les jambes sur la nappe, et lui tirer la tête entre tes cuisses, direct. Jonas aurait fait une syncope, et moi j’aurais filmé. »
Ariane lui colle un coup d’oreiller, mais son rire craque, rouge aux joues.
Lucy arque un sourcil, plus attendrie qu’elle ne veut le montrer.
— « Mais c’est pas ça qui te hante, hein ? Je te connais. »
Ariane se tasse un peu, les doigts crispés sur le coussin. Sa voix devient plus grave, presque rauque.
— « Non. C’est pas ça le pire. J’arrive pas à oublier la sensation de sa langue sur… mon trou du cul. Putain Lucy… c’était pas juste bon. C’était… violent. J’ai jamais ressenti ça. Quand il a appuyé là, que sa langue a un peu tremblé, j’ai poussé un petit cri — un son que j’ai jamais fait. J’ai joui pour ça. Et je m’en veux presque d’aimer un truc aussi sale. »
Lucy la fixe, laisse planer un silence, puis éclate d’un rire clair, se penche et tape sa cuisse.
— « Oh putain Ari… toi qui me ressors du Tacite pour commander un verre, et qui bandes comme jamais parce qu’un mec te lèche le cul. C’est officiel, t’es mon animal préféré. »
Puis elle plisse les yeux, moqueuse :
— « Attends… t’avais pas mis ton plug, au moins ? »
Ariane rougit d’un coup, se cache derrière ses mains, un petit rire nerveux s’en échappe.
— « Non ! T’imagines ? Je me vois pas le porter en public. Je réserve ça pour une surprise… intime. Pour lui. »
Lucy éclate d’un rire encore plus grand, la secoue par l’épaule.
— « Ah ben ça promet. Le pauvre cartographe va finir avec un infarctus à force de trouver des gemmes dans tes recoins. »
Ariane se redresse, son regard brille soudain, sa voix fend la gêne, plus fière, plus crue.
— « Mais putain… j’ai adoré, Lucy. J’ai adoré au point de me dire que je pourrais le supplier de recommencer. Là. Maintenant. C’est ça qui me fout la trouille. »
Lucy la fixe, son rire se fane un instant. Elle baisse un peu la voix, plus grave, plus vraie.
— « J’veux juste pas qu’il te bouffe toute crue. Même si je me marre, j’ai pas envie de te voir te faire dévorer sans rien pour toi. »
Ariane cligne des yeux, un sourire triste fend sa bouche. Elle tente de se cacher derrière un masque sentencieux :
— « Nietzsche disait bien que l’amour est un état où l’on voit les choses plus belles qu’elles ne sont. Peut-être que je me fais juste berner. »
Lucy la fixe, un sourire triomphant, presque tendre.
— « Non non non, Nietzsche mon cul ! C’est pas une illusion esthétique. C’est toi, là, qui sens tout pour de vrai. Et ça te terrifie parce que t’as jamais laissé un mec aller si profond. Au propre comme au figuré. »
Ariane reste muette, la bouche entrouverte. Ses épaules s’affaissent, un petit rire honteux sort, presque tremblé.
— « Putain… t’es vraiment la pire. »
— « Non. Je suis la meilleure. Celle qui te regarde droit dans les yeux pendant que tu t’effondres. »
Ariane ferme les yeux, soupire, puis laisse sa tête tomber contre l’épaule de Lucy. Un silence glisse entre elles, juste percé par le petit bruit du thé encore chaud.
Puis, presque pour elle-même, Ariane murmure :
— « J’ai envie de continuer. Même si ça me fout la trouille. Même si ça veut dire… peut-être l’aimer pour de vrai. »
Lucy repose sa tasse, attrape sa main, la serre fort.
— « Voilà. Ça, c’est toi. Sans Nietzsche, sans Tacite, sans tes foutues cartes antiques. Juste toi, flippée et vivante. »
Ariane éclate d’un petit rire nerveux, essuie le coin de son œil.
— « J’suis foutue, hein ? »
Lucy hausse les épaules, un sourire carnassier au coin des lèvres.
— « Complètement. Et c’est pour ça qu’on t’adore. Allez, raconte-moi encore la tête qu’il faisait quand tu criais dans son canapé, sans me balancer une seule citation. Juste toi, sale et magnifique. »
Ariane rit, un rire un peu mouillé, puis se lance, plus crue, plus nue, avec cet éclat battant qu’elle refuse de perdre.
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