01. Premier baiser

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Mardi 3 septembre 2013

Les premiers rayons de la journée tapent sur les carreaux du lycée. Pour la première fois depuis trois ans, c’est seule que j’arpente le couloir vitré qui longe la cour. L’aube reflète le roux soyeux de ma dernière coloration, un rouge flamboyant tirant sur l’orange. Mes jambes ouvrent à chaque enjambée, la fente de ma longue jupe noire, libérant le haut de mes cuisses nues au-dessus de mes bas rayés de rouge et noir. Mon débardeur rouge vif est assez court pour mettre en valeur les bretelles noires de mon soutien-gorge et le bas de mon ventre parfaitement plat.

Mon cou arbore un crâne en étain que Siloë m’a offert pour mes douze ans.

En ce premier jour, il faut faire le plein d’herbe. Durant trois ans, c’est Victor qui s’est tenu à hauteur de l’infirmerie, profitant d’un espace d’échange entre deux portes coupe-feu. Je les pousse, il est là, toujours matinal, mal rasé, le visage amaigri, les yeux d’un gris très clair soutenu par des cernes de fêtard. Un sourire découvre ses dents abimées par le café et le tabac.

— Salut Hélène.

Je lui fais la bise malgré-moi, car je ne supporte pas mon prénom.

— Tu sais très bien que je n’aime pas !

— Ça fait quoi de ne plus avoir Michelle et Siloë avec toi ?

Je hausse les épaules.

— Je n’en sais rien. Ça ne fait que deux jours que nous ne sommes pas vues. T’as de l’aïa ?

— J’ai du hash népalais, carrément meilleur, je suis allé le chercher cet été. Même prix. Et sinon, j’ai un truc nouveau, spécialement pour toi.

Il ouvre une boîte de Smarties à l’intérieur de laquelle il y a deux pilules bleues.

— Non mais ! Tu m’as prise pour une bouffeuse d’ecstasy ?

— Tssk ! De l’estasy ! Je deale de la beuh, je ne vends pas de saloperie chimique. Ça c’est un concentré de bonheur. Si t’as envie de chialer, que t’as le moral dans les chaussettes, paf, une pilule, des heures avec la banane. Aucun effet secondaire, ça inhibe juste tes trucs de chagrin. Que de la plante tibétaine. Perso, je trouve ça carrément mieux en pilule qu’à fumer. Vingt euros les deux.

— Non, je suis venu acheter de l’aïa.

— OK. J’ai que du népalais.

Il glisse sa barrette dans la boîte de smarties.

— C’est cadeau.

— Je n’y toucherai pas.

Je sors de mon soutien-gorge les billets que j’ai gardés pour lui. Il les hume en demandant :

— Ils ont l’odeur de tes seins ?

Je le quitte en sentant la déprime monter. Avec Siloë et Chell, il ne se serait pas permis de faire une allusion. Maintenant que je suis seule, il se sent un peu trop sûr de lui.

Je gagne l’escalier pour monter au premier étage, persuadée de n’y trouver personne si tôt. Me rouler un joint avant d’entamer un cours de math, me permettra de mieux accepter de retrouver le sosie de Gargamel pour une nouvelle année.

Dès la sortie de la cage d’escalier, il y a un renfoncement avec les toilettes filles qui font face aux toilettes des garçons. Les caquètements aigus d’un groupe me suggèrent de changer de cachette. Coup d’œil express dans les toilettes des mecs. Elles sont vides, et sentent encore le détergeant. Je m’empresse de m’enfermer dans une cabine côté fenêtre. J’entrouvre le ventail, puis m’adosse dos au mur. Mes doigts agiles retrouvent leur habitude et entament le collage des feuilles entre elles.

— Ah ! fait la voix sarcastique d’un garçon que je ne connais pas. Quel plaisir de retrouver des longs couloirs, des urinoirs, sûrement une cantine dégueu ! Fort heureusement, par rapport à notre lycée, il y a un avantage !

— Ah ? s’étonne un second en riant.

— Les gonzesses ! Y en a plein partout !

— Trop. J’ai aperçu Hélène, une ex que j’ai connue au collège. Elle a bien changé.

Cette voix ! C’est la voix de Geoffrey ! Mon amour de collège enfoui au plus profond de moi pour supporter les années lycées. Ce n’est pas possible qu’il soit là ! J’ouvre silencieusement le loquet et entrouvre la porte. Même après trois ans, je reconnais ses longs dreadlocks, sa carrure, ses pulls à motifs typiques.

— Ah ?

— La rousse ! Mais un super roux assez naturel, presque rouge. Magnifique !

Je suis émue qu’il m’ait remarquée à ce point et que ma couleur l’ait accroché.

— Ah oui, je l’ai vue passer. Celle qu’on croirait que c’est Tim Burton qui choisit ses fringues.

— Au moins, à côté des autres, elle a du style ! Je trouve ça sexy.

— Sexy ? Quand tu dis ça, t’es sûr de parler de son style ou de son ensemble cul-poitrine ?

— C’est un avion de chasse !

Ils rient, tirent la chasse d’eau puis s’en vont. Je suis toute retournée que Geoffrey pense de moi que suis à la fois belle, originale et sexy. J’ouvre mon sachet de tabac, les mains tremblantes d’émotion. Il échappe de mes doigts, chute dans la cuvette, et ma main plonge pour le récupérer… trop tard. La main trempée, j’observe avec dépit le tabac qui s’est répandu. Tant pis, je me préparerai un joint ce soir. Avec ce que je viens d’entendre, pas besoin de beuh pour avoir le moral.

Je quitte la cabine, nerveuse en cherchant avec quels mots reprendre contact avec Geoffrey. Estelle, une fille que j’exècre, écarquille les yeux en me voyant sortir des toilettes des garçons, puis se moque :

— Y en a qui commencent tôt l’année !

Tout en lui présentant mon majeur bien tendu, je longe le couloir pour trouver Geoffrey. Il avait quitté le collège pour un lycée technique. Je n’aurais jamais pu espérer le retrouver un jour dans le même établissement.

Il est devant la porte d’une salle de cours en train de parler avec des garçons que je ne connais pas. Comment avais-je pu oublier à quel point mes muscles se ramollissaient en sa simple présence ? Une boucle d’oreille, les iris claires du garçon dûr de lui, un bouc assumé, des épaules athlétiques. Ses yeux se posent sur moi, d’une intensité que je ne lui avais jamais remarqué. Son regard dessine mes courbes au travers de mes vêtements, glisse sur ma peau et me rend folle. N’ayant rien trouvé d’intelligent et subtile à lui dire, je lâche :

— Geoffrey ! Si je m’attendais à te voir !

— Salut Hélène ! Je t’ai aperçue de loin, je n’ai pas eu le temps de t’attraper, tu avais disparu.

— Ah ? Tu voulais me parler ?

— Juste te dire bonjour.

Me trouvant sans plus de répartie, j’affiche un sourire en coin et fais glisser mes yeux sur lui.

— Dommage, j’avais un truc pour toi.

— Pour moi ?

J’opine du menton, puis m’éloigne. Ses potes le poussent de me suivre, alors tandis que j’approche des escaliers, il me hèle :

— Attends ! Hélène !

Je passe la porte coupe-feu pour nous abriter des regards. Aussitôt qu’il franchit la porte, mes lèvres se jettent sur les siennes. Il me repousse de nouveau la bouche, il cherche ses mots :

— Désolé Hélène. Ne le prends pas mal mais…

— Mais quoi ? Tu me trouves canon, non ?

— Ouais, je ne peux pas le cacher. Personne ne dira le contraire, mais t’es un peu zarbi.

— C’est l’avis de tes potes ou le tien ?

— Tu trouves ça normal d’être habillée à moitié en gothique en première année de BTS ?

Je reste clouée, les yeux écarquillés. Enervée, je réplique :

— C’est pas gothique, c’est émo !

— Qu’est-ce que cela change ? T’es pas faite pour un homme, va te trouver un collégien.

Sa maladresse méchante me pétrifie trois secondes. À la quatrième, je lui flanque une gifle monumentale et rétorque les dents serrées :

— Au moins, moi, je m’assume.

Je dévale les escaliers, le cœur brisé. Au rez-de-chaussée, je longe le couloir des casiers des secondaires, la main douloureuse. La gifle a dû s’entendre depuis l’étage.

Il n’avait jamais montré signe d’intérêt quand nous étions au collège, pourquoi ça aurait changé ? Comment j’ai pu y croire ? Ma motivation de la journée est brisée.

Victor qui sort de l’infirmerie a un sourire amusé.

— Des soucis, Hélène ?

— Léna ! Trou du cul ! Léna ! m’énervé-je.

— Toi tu n’as pas essayé mon petit cadeau, tu n’es pas très détendue.

Je lui offre mon plus beau doigt d’honneur, fais demi-tour et m’enferme dans les toilettes, près du bureau de la CPE. Là, personne ne viendra me faire chier. Tous sont entrés en cours, la zone est déserte, silencieuse. Les larmes ruissellent sur mes joues. Je n’ai même pas l’épaule de Siloë ni celle de Chell. Seule, avec le vent de ma vie, et une boîte de Smarties. Je regarde la boîte, l’ouvre. Si ça peut remonter le moral, pourquoi ne pas essayer ? Sans préambule, j’en avale une, puis guette les premiers effets.

Une dizaine de secondes plus tard, je ne me sens pas beaucoup plus détendue. Un coup de chaud me prend le cœur et me fait frissonner jusqu’à la nuque. Mon visage se glace et mon corps bouillonne. J’essaie de me pencher au-dessus des toilettes pour gerber mon petit-déjeuner. Je tombe à genoux, et découvre une lumière au fond de la cuvette. L’eau bouillonne doucement, pétille et inonde brutalement la cabine. Je hurle, prise dans les remous. L’eau monte jusqu’à ma gorge, trop inconsistante pour me porter. Les bulles me chatouillent. J’essaie de sauter. Je crie de toutes mes forces :

— Au secours !

L’eau envahit ma bouche avec un goût de champagne ! Rapidement elle repart ! Je suis aspirée dans la cuvette ! Je fonce à toute vitesse dans un tunnel noir. Soudain, je sens le réel contact de l’eau, froide. Elle essaie d’entrer par mes narines, m’étouffe. Mes talons touchent le fond. Je remonte à la surface et inspire profondément, avant de tousser comme une tabagique.

Si le calme est revenu, le trip n’est pas terminé. Décontenancée, je découvre que les toilettes m’ont projetée à l’extérieur. Le ciel est sombre et orageux, le soleil peine à percer, tandis qu’un vent frais souffle et me refroidit. Avec difficulté, je reprends mes esprits, de l’eau jusqu’à la taille. Suis-je dans un lavoir ? Qu’est-ce que c’est que cette ecstasy ?

— Qu’est-ce que vous faites-là ? s’exclame une femme forte dans une robe moyenâgeuse.

Je balbutie sans pouvoir parler, ni trouver aucune explication. Une porte s’ouvre tandis qu’éclatent des rires d’hommes. La femme aux cheveux frisés s’empresse de déplacer un drap qui longe un fil.

— Restez cachée !

Elle s’enfuit en courant tandis qu’entre deux draps, apparaît un colosse à la peau pâle en armure noire. Son crâne chauve arbore deux grandes ramures brunes et taillées en pointe. Il s’avance jusqu’au mur à trois mètres seulement de moi. Il défouraille son pénis et commence à uriner. J’aurais trouvé la situation amusante si j’avais été tapie ici volontairement avec Siloë ou Chell. Comment une pilule peut me faire délirer à ce point ? Est-ce que le type est un prof venu utiliser les toilettes et que j’imagine en Apollon ? Ou bien est-ce que tout n’est qu’imagination ? L’homme à la peau pâle termine sa vidange, range son sexe puis tourne la tête dans ma direction. Il ouvre des yeux étonnés, puis sourit :

— Bonsoir.

— B… bonsoir.

— Sortez donc, vous allez prendre froid.

Je secoue la tête.

— Ça, ça, ça va.

— Je ne veux pas vous effrayer. Comment vous appelez-vous ?

— L… Léna. Et vous ?

Il rit.

— Moi ?

Ne voyant pas ce qu’il y a de drôle, je redresse les épaules, mon mascara dégoulinant, et regarde autour de nous :

— Vous voyez quelqu’un d’autre ?

— Je m’appelle Sten.

Il me tend une main que je ne peux refuser et je me hisse hors de l’eau. Sa poigne ferme m’invite à trébucher pour me blottir contre son armure dure et glacée. Mon regard le torpille, mais ma colère le fait sourire. Il caresse délicatement mes cheveux pour les dégager de mon visage. C’est un peu macho, et en même temps d’une tendresse dont j’ai toujours rêvée. Son regard pénètre le mien. Compassion ? Admiration ? Fascination ? Je ne sais quoi lire dans ses iris sombres, mais cela me fait fondre.

— Je ne pensais pas rencontrer ici, si belle créature.

Il descend la bretelle de mon débardeur. Un peu impressionnée par le personnage, je le laisse dégager mon épaule, qu’il caresse d’un index délicat. J’ignore qui il est pour mon subconscient, ni jusqu’où mon rêve est capable de m’emmener. Le chevalier a un regard pénétrant et séduisant. Je ne ressens aucune perversité, rien qui ne provoque un malaise. Au contraire, sa douceur torride me donne envie de savoir jusqu’où mon imaginaire va m’emmener. Je le laisse baisser la seconde bretelle et découvrir mon soutien-gorge. Il paraît étonné de trouver cette pièce de tissu noir arborant une tête de mort avec des dreadlocks. Je me tourne de côté pour lui laisser entendre que j’ai mes limites sans trop l’offenser. Je réplique :

— Vous pourriez au moins demander.

— J’aime bien ce blason.

Du pouce il suit le bord de mon balconnet. Du doigt, il baisse la bretelle, puis le balconnet. Sa main gauche brûlante et ferme vient envelopper mon sein nu. Autant sa ramure lui donne une allure ténébreuse et inquiétante, autant son assurance chaleureuse m’excite. Je ferme les yeux, essayant de réorganiser mes idées. Cette ecstasy me fait faire un songe si réaliste, si érotique que je suis en train de le laisser prendre le contrôle. Mais si c’est mon rêve, c’est à moi d’en être l’actrice. Je fais face au colosse puis dégage sa main doucement.

— Vous n’avez toujours pas demandé. Mais si cela vous fait plaisir.

Je recule d’un demi-pas, abaisse ma seconde bretelle pour dévoiler ma poitrine entière, blanche et tendue de froid. Un éclat de surprise dans ses yeux apparaît. Pour ne pas qu’il ait le temps de reprendre le dessus, mes lèvres viennent délicatement sur les siennes. Je me dresse sur la pointe des pieds et appuie mes seins contre son armure glacée. Sa bouche s’entrouvre et je joue de la pointe de ma langue avec ses lèvres. Enfin ses papilles effleurent les miennes. Mon cœur bondit de joie. Sten envahit ma bouche et notre baiser s’emporte dans un jeu sauvage et furieux. Nos dents se heurtent tandis que j’essaie d’investir sa bouche au plus profond. Nos gencives s’enduisent du miel de l’un et de l’autre. D’une main sous mes fesses, il me soulève et me plaque dos au mur. Je suis écrasée par son plastron, les pieds au-dessus du sol. C’est douloureux, mais je tiens à montrer que je décide. Mes bras passent sous les siens pour mieux m’agripper, mes genoux étreignent sa taille, tout en laissant notre baiser continuer avec fougue.

Lorsque nos bouches se décollent et qu’un filet de salive retombe sur mon menton, ses yeux brillent, un sourire discret sur son visage. Ses mains caressent le haut de mes cuisses découvertes par mes bas en coton. Moite de désir, je n’ai envie que d’une chose, que mon fantasme se concrétise et qu’il me prenne sauvagement. Néanmoins, la sensation est si réelle, que je me demande s’il n’est pas un homme en train de me tripoter dans les toilettes. Je tords violemment son index avant qu’il aille trop loin. Les dents serrées pour ne pas montrer qu’il souffre, il me laisse remettre pied à terre. Je précise :

— C’est moi qui décide jusqu’où tu peux aller.

— À votre guise.

Je lâche son doigt, il se redresse, imposant, caresse mon visage avec un air satisfait,

— Tu as le caractère et la beauté pour devenir impératrice. Fais-moi plaisir, entre dans la compétition.

Il tourne le dos puis regagne la maison de pierre. À mon tour je souris, satisfaite. Je remonte mon soutien-gorge et mon débardeur. Il passe la porte en bois, vers les éclats de voix masculines. La bonne femme de tout à l’heure sort de l’ombre.

— Je l’ai vu ! Il vous a embrassée !

— Et ?

— Et c’est l’Empereur !

— L’Empereur de quoi ?

— Mais… Ma Demoiselle. L’Empereur ! L’Empereur de l’Empire ! Venez ! Vous devez avoir froid.

Je la suis à l’intérieur de sa bâtisse de pierre par une petite porte annexe à celle par laquelle a disparu Sten. Nous entrons dans la cuisine d’une taverne. La vaisselle est en faïence blanche, un peu émaillée par le temps. Un poêle à charbon diffuse une chaleur agréable dans toute la pièce, baignée d’odeurs de sauces et de fromages. Je préfère ne pas parler, ne pas passer davantage pour une ingénue. Après tout, c’est mon délire, à moi de le découvrir au fur et à mesure.

— Ma Demoiselle, mettez-vous près du feu. Avez-vous besoin de quoi que ce soit ? Une couverture ? Des vêtements chauds ? Je redoute de ne pouvoir vous proposer quelques vêtements qui soient aussi colorés que ce que vous portez.

— Merci, ça ira.

La chaleur des braises près desquelles je me suis approchée commence déjà à me réchauffer.

— Voulez-vous une tisane ?

— Non plus.

— Sachez que vous pouvez compter sur mon soutien.

— Votre soutien, pourquoi ?

— Vous êtes une aspirante impératrice ?

— Une quoi ?

— Ma Demoiselle ! De tout l’empire, les jeunes filles se précipitent pour devenir la future Impératrice. L’Empereur parcourt les duchés pour annoncer qu’il cherche une épouse. Dans deux mois, chaque duché va procéder à l’élection de sa candidate. Vous, il vous a embrassée, tenue dans ses bras, vous avez toutes vos chances !

— Vous pensez ? Il doit y avoir de nombreuses candidates qui me valent.

— Vous avez toutes les qualités pour être désignée par les scribes, il ne vous reste qu’à fédérer le plus de gens possible.

— D’où je viens, je ne fédère pas grand monde.

— Mais vous pouvez fédérer beaucoup ! Si déjà on sait que l’Empereur vous a trouvée à son goût, les gens vous suivront.

— Et il faut s’inscrire quelque part ?

— À la citadelle des scribes, à la capitale. Toutes les vierges s’y rendent.

Depuis la salle, des voix d’hommes l’appellent. Elle se précipite hors de la cuisine. Les vierges ? Je m’approche de la porte d’où je distingue l’Empereur et ses congénères à ramures. Ils sont tous vêtus d’armures noires, mais à la lueur des flammes je distingue des fioritures dorées sur le plastron impérial, qui le distinguent. Au-delà de ça, il a une carrure magnifique qui le révèle parmi les autres. J’imagine sans mal ses muscles dessinés sur sa peau blanche. Il en faut pour porter une telle masse d’acier. Ceci est mon songe fantasmagorique. C’est donc à moi de gagner les faveurs impériales. Je suis certaine de gagner et de pouvoir ressentir à nouveau cette sensation délicieuse de sa main sur ma poitrine, ou cette bestialité torride lors d’un prochain baiser.

Les hommes en noir se lèvent et sortent. La tavernière fait mille courbettes jusqu’à ce que la porte soit close. Elle saute de joie. Je franchis la porte et elle me dit :

— L’Empereur a dit qu’il repasserait juste pour le plaisir de revoir ma servante !

— Quelle servante ?

— Il parlait de vous !

— Ah ? C’est flatteur !

— Regardez les règles pour participer !

Elle me montre une affiche au mur. Je lis à voix haute :

— L’Empereur Sten Varrok recherche une épouse, bla, bla, bla… Toute jeune femme quel que soit son rang, peut prétendre au titre d’aspirante, sous réserve de répondre à ces différents critères. Être âgée de treize ans ou plus, être vierge… Ben voyons ! Présenter beauté, sveltesse, poitrine et fessier ferme, avoir une peau dépourvue de pilosité, sans aucune malformation ou tare mentale. Pilosité ?

— Oui. Le seigneur Varrok est né d’une mère Messienne, donc il a gardé d’elle cette absence de cheveux et de poils qui caractérise les Messiens. Il paraît qu’il en fait une obsession.

— C’est quoi un Messien ?

— C’est un être ailé.

— Et lui, n’a pas d’aile ?

— On dit qu’il est né avec des ailes atrophiées, et donc qu’il les a fait couper. Mais il est interdit d’aborder le sujet.

Je poursuis ma lecture :

— Le titre d’aspirante est décerné par les scribes si la candidate répond à tous ces critères. Elle aura alors le droit de faire valoir son statut auprès de villages, de commerçants, pour récolter leur soutien, mais également auprès d’écoles qui leur enseigneront les us qui seront nécessaires pour séduire et plaire à l’Empereur.

— Je crois que je peux être candidate, déclaré-je.

Je cligne des yeux et me retrouve soudainement devant un néon lumineux. Je gis dans les toilettes du lycée, trempée de sueur des pieds à la tête.

J’inspire profondément, regrettant d’avoir quitté mon rêve avant même d’avoir revu le bel empereur. Je soupire pour moi-même :

— Putain ! Le délire de ouf !

Je sors mon téléphone de mon sac et remarque que l’heure du cours de math est bientôt terminée, qu’il est temps de rejoindre ma classe. Je sors de la cabine, avec la désagréable sensation des vêtements humides. Cette saloperie m’a donné des suées fiévreuses vraiment importantes. Je comprends que j’ai cru être dans un lavoir. Tant pis pour ce que les gens en diront, je ne peux pas manquer deux cours de suite.

Je m’assois juste avant que le professeur n’arrive. Hélàs, mon esprit n’est pas à l’apprentissage. Je repense sans cesse à cet homme et à sa ramure majestueuse, comme si je l’avais vraiment rencontré. Mon rêve demeure aussi présent dans mon esprit que du vécu. Mes narines semblent encore pleines du parfum du charbon de bois mêlé à celui de la charcuterie. Mes oreilles bourdonnent encore de la voix de l’aubergiste, hystérique de m’avoir vue rouler un patin à son souverain. Je dois admettre que la pilule a un effet hallucinogène extrêmement puissant. Dois-je m’en inquiéter ?

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