18. Fonds de tiroir

4 minutes de lecture

Mercredi 25 septembre 2013

Un lotissement des années soixante-dix, à une demi-heure du lycée en voiture. Je regrette presque d’avoir choisi des études dans ce bahut. Si j’avais dû prendre un appartement, mes parents auraient sûrement filé une enveloppe pour que je mange, et j’aurais pu alors sauter des repas, me goinfrer dans l’autre monde et garder dix euros plus facilement.

Papa m’a laissé prendre la voiture en apprenant que je ne voulais pas rentrer directement après l’école. Je n’ai pas beaucoup conduit depuis le permis, et j’aurais préféré faire le trajet à dos de véloce.

Vêtue de la robe d’aspirante, je grimpe les marches surplombant l’entrée de garage. Je sonne puis pousse la porte blindée. Ma grand-mère sort de sa cuisine avec des yeux ronds :

— Bonjour Mamie !

Elle m’ouvre ses bras :

— Oh ! Hélène ! Si je m’attendais ! Que fais-tu par ici ?

— J’avais juste envie de te voir !

Dois-je lui dire que racler les fonds de distributeur de boisson du lycée n’a rapporté que dix centimes ? L’étreinte est chaleureuse et son baiser pique un peu. En toute honnêteté, je suis heureuse de venir la voir, et presque gênée qu’il me faille de l’argent pour penser à elle.

— Tu es vraiment très belle dans cette robe. Veux-tu un thé ?

— Si tu t’en fais un, je ne dis pas non.

Elle retourne vers sa cuisine où je la suis. Elle fait chauffer de l’eau et sort ses biscuits ramollis.

— Non merci, juste un thé.

— Même pas un ? Tu es toute maigre.

— Merci.

— Comment va Siloë ?

— Elle pète le feu ! Elle est dans le sud.

— Ça lui fera du bien de prendre le soleil. Ça te ferait du bien aussi, quoi que je ne t’ai jamais vu aussi bonne mine. Ça se passe bien les études de comptable ?

La machine est lancée. Je commence à lui parler de la vie d’étudiante, bien plus inspirée de mes années lycées que de de ces dernières semaines.

Mamie vit un peu dans ses souvenirs. Et au fil de l’heure qui passe, elle revient à mon amitié avec Siloë.

— C’est dommage qu’elle soit partie. Mais une amie comme celle-ci, c’est pour la vie.

— Ce n’est pas ce que dit Maman. Et puis Papa, c’est pareil, lui et son meilleur ami ne se parlent plus.

— Enfin ! Ton père et Pierre se sont connus au lycée. Toi, tu as connu Siloë si tôt. Je me souviens de vos premières vacances ensemble à la maison de vacances, et de tout le sable que vous me rameniez dans la salle de bains !

Je souris à ce souvenir d’enfance. C'est durant ces vacances que nous avons comparé pour la première fois nos seins à peine sortis. Notre amitié a pris une ampleur intime et indéfectible, car c’est également cette année qu’elle a proposé le premier kiss qui scellerait notre amitié.

— Bon, ce n’est pas tout ça, mais j’ai des devoirs.

— Oh ! Le temps passe à une vitesse !

Je me lève de la cuisine. Mamie me précède pour fouiller son sac à main pendu dans l’entrée. Elle sort son portemonnaie, ravie que je sois venue la voir spontanément, sans rien avoir à demander. Elle sort trois billets de vingt euros

— Tiens, mon lapin. Tu pourras t’acheter une autre robe aussi belle.

— Oh ! Il ne fallait pas Mamie !

— Ça me fait plaisir à moi que tu sois élégante.

Je l’embrasse chaleureusement. Mission réussie.

Jeudi 26 septembre 2013

Je parviens tôt au lycée. Victor a un rictus en me voyant foncer vers lui.

— Je pensais te voir plus tôt.

— Pourquoi ? J’ai trouvé un deuxième revendeur. J’ai testé, ça fait le même effet. Il est à neuf euros, donc…

— Donc ça reste dix euros. De toute façon, je n’ai pas de monnaie.

Au sourire de Victor, il a deviné que je bluffais. Je hausse les épaules puis m’en vais.

— C’est toi qui vois.

Le soir tombe, une petite brune quitte au loin l’infirmerie, et Victor lui emboîte le pas. Il quitte le lycée. Je profite d’être habillée comme une lycéenne lambda pour le filer. Je veux connaître son revendeur, savoir combien Victor prend de commission.

Après trois carrefours, je réalise qu’il rentre chez lui, à deux quartiers de chez moi. En effet, il entre dans le hall de son immeuble. Deux minutes plus tard, la fenêtre à son étage s’allume. De toute façon, je doute qu’il fasse affaire à la lumière de jour. Je vais patienter.

Minuit, la lumière de sa chambre s’éteint. Ce ne sera pas pour ce soir. Je viendrai tôt demain.

Vendredi 27 septembre 2013

J’attends la fin des cours avant d’aller voir Victor. Je lui tends les trois billets.

— Tiens, Hélène ?

— OK. Ton concurrent n’est pas au rendez-vous. File-m’en six.

— Il n’y a pas de concurrent… Je les fabrique moi-même.

Il remplit la boîte, puis s’en va. S’il est fort probable qu’il soit le seul revendeur, je suis persuadée qu’il remet le fric à quelqu’un. Peut-être un sorcier venu de l’autre-monde. Une dernière-fois, je suis Victor jusque chez lui, sans rien apprendre de plus, si ce n’est qu’attendre c’est chiant.

Léna : Fait chier ! Victor est encore chez lui. A croire qu’il fabrique ses fichues pilules dans sa chambre.

Siloë : Peut-être qu’il les fait vraiment lui-même.

Léna : Mais comment il pourrait ? Enfin, il saurait ce que ça fait, dans ce cas.

Siloë : Peut-être qu’il sait mais qu’il fait genre qu’il ne sait pas.

Chell : Moi je n’y crois pas. Il n’est pas assez intelligent pour les faire lui-même.

Siloë : +1

Léna : Je me fais trop chier. Je rentre.

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