25. Coup de pute (partie 3)

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Mercredi 2 octobre 2013

La nuit passe, inconfortable sur le sol dur, entre deux fourrures chaudes qui me font regretter d’avoir gardé ma robe.

D’un seul coup, au milieu de l’inconfort, les flammes s’éteignent et les murs de ma chambre remplacent les ombres dansantes.

Je regarde l’heure. 4 heures du matin. Je compte mes pilules. Il en reste trois, une pour chaque village. Il me faut de l’argent pour m’en offrir d’autres. Je m’enveloppe dans mes couvertures fraîches, téléphone à la main.

Léna : L’Empereur est conquis. Les gens ont vu qu’il me regardait plus souvent que les autres, il m’a adressé longuement la parole, a supposé que je gagnerai le Duché Cœur-Empire devant toutes les autres. Franchement, le striptease, c’était une bonne idée. Là, nous sommes en route pour rencontrer le baron des Falaise Rouges, dans le comté des Hauts-Glaciers.

Je m’endors, jusqu’à ce que j’entende mon frère et mes parents se lever, et que les réponses de mes meilleures amies me sifflent.

Siloë : Il a de la gueule, l’étendard !

Chell : Faut trop que tu te fasses une armée avec des crânes et tout, genre armée des Morts.

Léna : Ouais. Ça serait cool.

Siloë : Ça serait trop swag !

Léna : Pour le moment, ce qu’il faut que je trouve c’est du pognon. Je vais être à cour de pilules, et il faut que je r’achète de la colo rouge pour les courtisanes de Cendre. Les gens croiront comme ça que j’ai sept courtisanes.

Chell : Bosse au Mc Do.

Léna : Et je fais comment pour être à la fois au Mc Do et à Varrokia ?

Chell : Ben t’arrête Varrokia, un temps.

Elle m’exaspère à ne pas comprendre que tout est réel. Pourtant, comment lui en vouloir ?

Léna : Je suis à un niveau, où il faudrait que j’y sois en permanence. Je ne peux plus me permettre de disparaître.

Siloë : C’est clair. Mais le fric, ça ne tombe pas du ciel.

Léna : De toute façon, je n’ai pas le choix. Victor me tanne pour que je couche avec lui.

Siloë : Ça va pas !

Chell : Tu ne vas pas coucher avec lui ?!

Siloë : Tu ne seras plus vierge.

Léna : Non mais soit je le suce, soit il m’encule. Je fais genre, je suis OK et qu’en échange de dix pilules de plus, il peut m’enculer. Il va forcément dire oui, et moi je reste vierge.

Siloë : T’es grave !

Chell : Mais c’est deg ! C’est Victor !

Léna : Moi aussi, rien que de penser le sucer, j’ai envie de vomir. Mais si je peux gagner trente ou cinquante pilule, ça vaut le coup ?

Siloë : Ça vaut le cul, MDR.

Chell : Non mais tu vas chopper des maladies avec ce mec !

Léna : Tu connais les capotes ? Et puis je ne vais pas y aller sans préparation, sinon je vais dérouiller.

Siloë : Sérieux, tu veux vraiment te faire enculer ?

Chell : Et puis avec du lubrifiant.

Léna : Je ne veux pas, je n’ai pas le choix.

Siloë : Ne fais pas de connerie ma poulette. J’appelle ma mère, elle va te filer du pognon de ma part. Demain, tu y vas !

Léna : OK, c’est sympa.

Siloë : Tu me fais de la peine ma poulette.

Léna : T’inquiète. C’est le temps de trouver une solution.

Siloë : Mets des vidéos de tes aventures sur YouTube, si tu as des followers, ça rapporte.

Chell : Elle ne peut pas, elle a sûrement signé une non-divulgation.

Léna : T’es bête, des fois, Cell ! C’est une bonne idée.

Siloë : ;) :D

Je me lève sans motivation aucune, baille, puis change de culotte, mais garde ma robe d’aspirante à laquelle je tiens. Une paire de bas rayés rouges et noir pour me tenir chaud, une paire de baskets, puis un petit blouson de cuir noir sur mes épaules. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas sorti. Je rejoins la cuisine. Maman est de bonne humeur.

— Bonjour ma chérie. Les cours commencent tôt aujourd’hui ?

— Ouais.

— C’est assez irréguliers.

— Entre les profs absents, les changements de planning…

— Je sais ce que c’est !

Je souris en me servant mon petit-déjeuner. Puis, je ne me remaquille pas, pour pouvoir arriver à l’heure.

Lorsque je parviens au lycée, je reçois un message privé :

Chell : J’ai téléphoné à mes parents, ils peuvent te prêter de l’argent.

Léna : Merci, mais j’ai peur de ne jamais pouvoir te le rendre.

Chell : Ils ont du fric, plus que la mère de Siloë, alors tant pis.

Léna : Merci beaucoup.

Chell : Prends soin de toi, ma poulette.

Je pénètre dans les couloirs en souriant. J’ignore de combien je vais être dépannée, mais ce n’est pas demain que Victor m’éclatera la rondelle.

— Léna ! !

Je me tourne vers Pauline qui sort de l’infirmerie.

— T’étais malade ?

Elle parle entre ses dents :

— Non, la pilule n’a pas marché. Ça t’est déjà arrivé ?

— Une fois, ouais. Mais Victor m’en a refilé une.

— Moi aussi, il a été cool. Il faut absolument que j’y aille. Qu’est-ce que l’Empereur a dit ?

— Rien. Il a juste demandé. Et les gens n’ont pas vraiment commenté. Ils pensent que t’es vraiment mal, et que tu restes la favorite de Sten.

— Ouf ! Bon, je file ! Je veux le voir avant qu’il parte.

— Bon courage.

— Et n’oublie pas, on doit faire un selfie.

— Je suis déjà partie de Kitanesbourg.

— Ah… ben on se reverra aux grandes élections, alors.

— J’espère. Bonne chance pour l’élection de ton duché… Je ne me souviens plus le nom.

— Le Duché des Éternels-Brûlants. Et toi, bon courage pour le Duché Cœur-Empire. Si j’ai le temps de voir le Duc et la Duchesse, je leur dirai que tu es la meilleure pour eux, même si j’espère te battre à la fin.

— C’est gentil.

— C’est normal entre Terriennes.

Elle m’embrasse puis s’éclipse. Putain ! J’ai honte de lui avoir fait le coup du laxatif. Si elle l’apprend, elle se sentira vraiment trahie.

La fin des cours arrive à point nommé. Je suis tellement larguée que je galère. Le manque de sommeil ne m’aide en rien. Ma voisine de table est assez sympa car elle prend parfois du temps pour m’expliquer dans un murmure pourquoi on utilise une opération plutôt qu’une autre.

La tête comme une pastèque, je descends à pied jusqu’à un petit immeuble de quatre étage dont la silhouette ravive mes souvenirs de collégienne. Je sonne à l’interphone de la mère de Siloë. Cela me fout vraiment les glandes de venir réclamer de l’argent. Mais entre la sodomie et la contrition, le choix est vite fait. Je ne sais pas ce qui me rebute le plus, Victor lui-même ou m’imaginer enfoncer mes propres doigts pour habituer mon anus. Écœurant !

— Oui ?

— C’est Hélène Hamel.

— Monte.

Elle déverrouille la porte, alors je m’engouffre dans l’ascenseur. Elle habite sous les combles, au dernier étage. Je pousse la porte entrouverte. La mère de Siloë lui ressemble par ses longs cheveux noirs, et ses cernes naturels. Mais Siloë est pâle, tandis que sa génitrice est toujours bronzée, avec un visage plus rond et un air vivant. Elle a dans les yeux les douleurs de son passé : les séparations, les coups durs, et dans le sourire l’amour comme la générosité qu’elle donne à sa fille unique.

Je lui fais la bise, et elle m’appelle par mon surnom pour me faire plaisir :

— Comme ça va, Léna ?

— Ça va.

— Comme ça, tu veux devenir Impératrice ? — Je fronce les sourcils. — C’est Siloë qui m’a dit ça, mais je ne sais pas ce qu’elle sous-entendait.

— Ah ! Ben… Je ne vois pas non-plus à quoi elle fait référence.

— Et sinon, comment ça se passe, les études ?

Je m’assois sur le petit canapé de cuir qu’elle me désigne. Le même depuis lequel, Siloë et moi avons regardé notre premier film érotique ensemble. Une curiosité qui s’est transformée après une demi-heure, par un dessin animé de Miyazaki, vachement plus passionnant.

— Franchement ? Je préfèrerai que Siloë soit là.

— Ah ! L’amitié ! Siloë m’a dit que d’être loin de toi, c’est plus dur que de se faire plaquer par Johnathan.

— Pourtant, je pensais qu’elle était encore amoureuse.

— Les évènements l’ont amené à réviser ses valeurs. Tu sais, elle est partie dans le sud pour y retrouver les sensations laissées par ses souvenirs d’enfance. Mais au final, elle peine à se faire des amis, et elle ne revivra jamais ce qu’elle a vécu avant de venir ici. Vous lui manquez, toi et Michelle.

— Elle ne me l’a pas dit.

— Elle m’a dit que tu chassais un grand mâle viril, et qu’elle préférait ne pas t’embêter avec ses états d’âmes.

Je hausse les épaules, en regrettant que Siloë se soit davantage confiée à sa mère qu’à moi. Ça ne serait pas arrivé autrefois. À cause de mon isolement à Varrokia, sa mère est devenu la plus disponible de nous deux. Vais-je perdre ma meilleure amie pour un potentiel époux ? Dois-je arrêter ? Non, pas où j’en suis. Trop de gens comptent sur moi.

— Tiens, elle te prête ça pour t’acheter de la couleur.

Elle me tend une enveloppe.

— Merci beaucoup.

— Ça vient de son compte, c’est elle qui faut remercier.

— Je le ferai, ne vous inquiétez pas.

— Allez, bon vent, et bonne drague.

— Merci. À bientôt !

Je sors de l’appartement, puis compte les billets dans l’enveloppe. Quatre-vingt euros ! Si ça ce n’est pas de l’amitié.

Léna : Merci ma poulette ! T’es trop géniale !

Siloë : Fais-en bon usage. Mais dépêche-toi de gagner.

Léna : T’inquiète ! ;)

Je prends la direction de chez-moi, car il me faut la voiture pour aller jusque chez les parents de Cell. Mon téléphone vibre.

Maman : Je vais en courses, as-tu besoin de quelque chose ?

Léna : Je n’ai plus de couleur pour mes cheveux. Tu peux reprendre la même ?

Maman : Rien d’autre ?

Léna : Non.

Maman : As-tu des préservatifs ?

Léna : Oui !

Si elle savait ! Je doute pouvoir obliger Sten à enfiler une capuche de latex. Pourvu qu’il n’y ait aucune maladie douteuse dans son monde.

Lorsque mon père entre, je lui emprunte directement la voiture. La belle maison des parents de Chell se trouve en périphérie de la ville, dans les quartiers bourgeois. Son père, un intellectuel sportif avec des petites lunettes rondes, m’ouvre la porte.

— Bonjour Hélène.

— Bonjour Monsieur Levavasseur.

— Entre, entre.

Je gagne le salon celui-là même où nous avons commencé la bataille d’oreiller en tenues d’Ève. Je souris à ce souvenir génial en regardant les coussins des canapés.

— Alors, comment se passe les études ?

— Pas trop mal.

— Michelle me disait que tu avais du mal à joindre les deux bouts.

— Ben… C’est… Des dépenses imprévues.

— Tu sais que je suis médecin, tout ce que tu diras ne sortira pas d’ici. Ma femme n’est pas encore rentrée.

— Vous dire quoi ?

— Tu vis toujours chez tes parents, non ?

— Tout à fait.

— Donc, je sais très bien quel genre de dépenses peut motiver une jeune fille qui vient de perdre ses deux meilleures amies, et qui passe dans l’univers compliqué des études. Alcool, drogue…

— De la drogue ?

— Les études de comptabilité peuvent être dures, je connais des étudiants prêts à tout pour tenir le coup.

— Ce n’est pas du tout ça.

— Michelle tient à toi, elle n’a rien voulu me dire. Sa mère et moi vous sommes redevable à toi et Siloë. Sans vous, je ne pense pas que Michelle serait restée dans le droit chemin. Au collège, elle faisait les quatre cent coups.

S’il savait le nombre de joints qu’elle a fumé à la place où il est lui-même assis. Il me donne l’enveloppe qui est posé sur la table puis me dit :

— J’espère que ce n’est pas du tout ça, comme tu dis. En tout cas, saches que je suis là si tu as besoin de te confier à quelqu’un d’autre qu’à tes amies. Même si des amies aussi fidèles que Michelle et Siloë, il n’y a rien de plus efficace.

— Merci, Monsieur Levavasseur.

Il cligne des yeux, puis me laisse repartir. Je m’assois dans la voiture en soupirant. J’ai cru qu’il allait me faire rester chez lui pour me faire la morale. J’ouvre l’enveloppe contenant quatre billets cinquante euros. Deux cents euros ? ! Non, quatre fois cinquante, ça ne fait pas ça… si ! Deux cent euros !

Léna : Merci beaucoup ma poulette. Ton père m’a donné l’enveloppe.

Chell : Il t’a donné combien ?

Léna : 200.

Chell : C’est tout ? C’est trop un radin !

Léna : Arrête, c’est vingt pilules, c’est largement généreux. Victor, il n’est pas près de le voir, mon cul.

Chell : C’est l’essentiel ;) Dès que t’as besoin, tu demandes

Je souris. Cell n’a jamais eu les mêmes notions de valeur que moi et Siloë. On n’a toujours kiffé le pognon de ses parents, la piscine de sa maison. Aujourd’hui plus que jamais, ça me rend service.

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