32. Crédulité fragile (partie 1)

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Jeudi 10 octobre 2013

Je m’éveille au milieu des draps du château. Dans la pénombre, une fille utilise le WC et l’air glacé entre dans la pièce. J’irai bien pisser aussi, mais je suis mieux au chaud. Je regarde mon portable pour voir l’heure. Le petit-déjeuner va sûrement être servi, mais la pilule va bientôt cesser de faire effet.

Téléphone à la main je me retrouve complètement nue dans ma chambre. Mon short et mon t-shirt enfilés, je fuis ma chambre en tapotant :

Léna : Mission réussie.

Assise sur les WC, je reçois la réponse :

Siloë : Tu lui as fait la prise de la chatte qui pue ?

Léna : Ouais. J’ai bien failli ne pas la passer

Chell : Et la photo du cadavre.

Léna : Je n’avais pas mon téléphone, désolé. Et puis un putain de stress.

Siloë : Ça fait quoi d’avoir tué quelqu’un ?

Léna : Ben, perso, pas grand-chose. Ce n’est pas le premier.

Je tire la chasse d’eau et cherche la trousse à pharmacie pour désinfecter les griffures, en espérant ne pas agir trop tard.

Siloë : C’est quoi la suite du programme ?

Léna : Y retourner pour ne pas paraître suspecte, prier pour ne pas me faire empapaouter, gagner le vote du comté, et aller voir le comté de Cendre.

Chell : Bon courage.

Léna : Kisses !

Je retourne dans ma chambre, me dévêts, puis ouvre ma boîte. Il ne reste que trois pilules. Si je veux tenir le week-end, il faudra aller en acheter demain. Je laisse la pilule fondre sur la langue. Il se met à pleuvoir du champagne. Les gouttes glacées, traversent ma peau, m’électrisent. Les gouttes deviennent plus grosses, plus nombreuses, le niveau de l’eau monte. J’essaie de nager, mais le champagne n’a aucune densité. Je me mets debout sur mon lit, lève le menton jusqu’à être noyée. Je ne peux plus respirer.

Je me réveil brutalement, un peu en sueur.

Pourquoi il y a toujours ces rêves débiles ?

— Quelqu’un allume la lumière ?

Chihiro se lève et appuie sur l’interrupteur.

— Personne n’est venu frapper à la porte ?

— Non.

Je me glisse hors des couvertures, puis ramasse ma robe. J’aurais dû en profiter pour prendre une culotte propre. Mes servantes s’habillent, alors je rappelle :

— N’oubliez pas, nous ne sommes au courant de rien.

Nous sortons dans le couloir. Si les trois filles me font capturer, il me suffira de ne plus prendre de pilule et de retrouver une vie normale. Mes courtisanes seront libérées, je m’inquiète plus du sort de mes autres partisans. Une servante a l’air paniqué, les coudes serrés, les mains jointes devant le menton, se tient au bout du couloir. Je l’apostrophe mine de rien.

— S’il vous plaît. Pour un petit-déjeuner…

— Le baron est mort !

— Pardon ?

Je m’approche d’elle alors qu’elle est catastrophée, et jette un œil par la porte. Des soldats se tiennent auprès du lit du tyran. Une servante en état de choc est assise contre le mur, et les trois héritières aux ailes grises arrivent en courant.

Nous nous éloignons, un peu. Une des descendantes lâche un cri plus vrai que nature, puis sombre en sanglots. Vu le flegme d’hier, celle qui a osé est excellente comédienne. Le cri fait sortir Vivianne de sa suite. Elle me questionne du regard et je lui réponds en toute sincérité :

— Il paraît que le baron est mort. Mais…

D’un geste des mains, je fais signe que je ne suis pas certaine. Thomas, Cendre et ses courtisanes arrivent à leur tour. Vivianne nous fait signe que nous devrions nous faire discrètes, alors nous nous éloignons. Nous rejoignons les remparts, sans oser prononcer un mot. Il n’y a pas un brin de vent, le soleil cajole les glaciers, c’est beau.

— Il se passe quoi ? demande Cendre.

— Une servante m’a juste dit : le baron est mort.

— Mais mort comment ?

— Je n’en sais rien. Il avait l’air dans son lit. Il y avait du monde autour, je n’ai rien vu.

Vivianne se penche entre deux remparts et marmonne :

— S’il est mort, nous avons toutes les deux fait le chemin pour rien.

— Peut-être pas, dis-je. Il reste à convaincre ses filles.

— Elles ne vont pas avoir l’esprit à s’occuper de l’élection de l’Impératrice.

— C’est vrai, soupiré-je.

Nous regardons toutes les trois le vide. Thomas ne bouge pas, et nos onze courtisanes patientent sans un mot.

Trois heures au moins passent. Assises dans le jardin, nous revivons Kitanesbourg en faisant le procès de nos concurrentes. Tisser une sympathie avec la Messienne n’est pas dépourvu d’intérêt.

La faim fait grogner nos ventres, et un soldat vient nous chercher :

— Dame Mathilde Lagoutte vous demande.

Nous nous levons, et nous marchons silencieusement derrière lui, empruntons les escaliers sombres, jusqu’à la grande salle. Les trois filles ont revêtu des robes totalement noires. Aucun serviteur n’est présent, juste les soldats. C’est l’heure de vérité, vont-elles me lyncher ou pas ?

— Damoiselles aspirantes impératrices, nous n’allons pas nous attarder en détail. Le Baron des Falaises Rouges, notre père, est décédé cette nuit, dans son lit. D’après nos anciens, son cœur aurait lâché en fin de soirée. En tant qu’aînée, j’hérite des responsabilités de son domaine. C’était là son vœu, comme il l’avait fait entendre en officialisant nos fiançailles. Vous comprendrez qu’aucune de nous n’avons le cœur à départager les deux candidates d’un concours de beauté.

— Nous l’entendons répond Vivianne.

— Nous l’entendons très bien, dis-je amèrement déçue.

— Néanmoins, notre père était un soldat, un proche du Seigneur Varrok. Et bien que pour défendre l’honneur de notre sœur, il a juré de ne prendre le partie d’aucune autre candidate, il appréciait beaucoup votre côté guerrier, Léna Hamestia.

— Je suis touchée.

— Il souhaitait malgré tout que son compagnon d’arme trouve l’Impératrice qui lui convienne. C’est pourquoi, en son souvenir, et pour vous récompenser du chemin que vous avez fait pour venir jusqu’ici, mes sœurs et moi avons décidé toute trois de vous soutenir. Nous avons confié notre vœu dans l’annonce du décès de notre père. Le compte et la comtesse des Hauts-Glaciers arriveront demain pour les funérailles et nous espérons pouvoir compter sur votre présence à toutes les trois.

— Bien entendu, répondons-nous en chœur.

— Vos courtisanes pourront réclamer un repas aux cuisines et vous le servir à vos chambres. Nous nous verrons à la cérémonie.

Nous nous retirons après une révérence, puis alors que nous arpentons le couloir Vivianne, me dit :

— Tu t’en sors bien.

— J’aurais préféré en d’autres circonstances. J’ignorais que le Baron m’appréciait.

Ma mine grave convainc ma compétitrice qui regagne sa chambre, amère. Aussitôt enfermée dans la mienne, mes bras se lèvent en signe de victoire. Sans chanter pour ne pas troubler le deuil qui suinte sur les murs, je m’octroie une petite danse de la victoire.

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