44. Retour sur Terre (partie 1)

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Lundi 5 novembre 2013

J’ai pris les appartements impériaux. J’ai reçu la visite de nombreuses délégations. On m’a offert bijoux et étoffes. Thomas a recruté des artisans pour préparer des robes de bal. Sigurd est en train de recruter des femmes pour me créer une garde rapprochée. Ça se bouscule plus que je ne l’aurais cru, et il est en pleine sélection.

Sten ne me sort pas de la tête. Il est mon unique objectif.

Siloë et moi sommes face à face dans la baignoire circulaire de la suite. J’ai congédié mes servantes pour que nous soyons un peu tranquilles, seule Chihiro reste, à genou derrière-moi pour me délacer les épaules. Je soupire :

— Que ça fait du bien de se faire masser !

— Par Chihiro ou par moi ?

Un peu gênée qu’elle aborde notre soirée, je dis :

— Les deux. Mais par Chihiro, c’est moins dérangeant.

— Ça ne t’a pas plu ?

— Si. Ça m’a surpris. Ça ne t’a pas… paru dégueu.

— La première seconde, quand j’ai mis le doigt en plein dedans. Mais en fait, j’ai trouvé ça marrant. J’ai fait comme si t’étais moi et je me demandais juste si j’arriverais à te faire jouir.

— Sten t’avait bien avancé le travail. Dans tous les cas, c’est à inscrire dans notre palmarès de Best.

Fantou entre et nous dit :

— Malika demande si elle peut entrer.

— Adieu tranquillité entre sœurs. Qu’elle entre.

Malika pénètre dans la pièce. Elle porte une longue robe or plus décente qu’au soir de l’élection qui suit ses formes. Elle est fendue devant la jambe gauche pour ouvrir les pas. Une ceinture de boucles d’or enlace ses hanches. Une fourrure rousse repose sur ses épaules, refermée par une broche représentant un crane avec des dreadlocks et un joint. Elle tient un papyrus entre des doigts.

— Je suis venu faire un rapport.

— Un rapport ? Nous t’écoutons.

— La liste des aspirantes est maintenant complète. Et la concurrence va être je pense très forte. Le Duché Fort-Littoral a élu Gaëlle Chaudes-Ecumes, qui s’inspire largement du style guerrier. On lui prête la légende d’avoir chevauché un dragon de mer. Elle porte le sceau de dame Irène, vous l’y avez sûrement croisée.

— Elle a quel âge ?

— Elle a vingt-et-un ans. C’est la plus âgée.

— Les autres sont plus jeunes ? s’inquiète Siloë.

— Pauline a été élue ? questionné-je.

— Oui. Pauline du Désert est l’élue du Duché des Eternels-Brûlants. Elle a quinze ans. Elle, elle est dangereuse. Elle a la réputation d’être la favorite de l’Empereur.

— Les réputations sont vite faites, constaté-je. Et la fille du Duché Noir ?

— Léa l’Exilée a dix-huit ans. Je l’ai déjà vue, ce n’est pas elle votre pire rivale. Elle a la peau encore plus blanche que vous. Elle a une petite poitrine et une réputation de sorcière. Seuls des gens du Duché Noir voteront pour elle.

— Reste l’élue du duché des Hauts-Ligneux.

— Kalia du Creux-Suspendu. Elle a treize ans. Elle est habile en tout, très soutenue. Elle a douze courtisanes, et bientôt treize.

— Je peine à croire que l’Empereur soit prêt à épouser une fillette. À ce que j’ai vu le soir dernier, il préférait les cambrures de tes reins que ceux d’une gamine.

Malika pince les lèvres. Siloë suppose :

— Peut-être a-t-il la patience d’attendre qu’elle mûrisse.

— Kalia est très belle, plus belle que n’importe laquelle d’entre nous. Elle n’a ni la silhouette ni le comportement d’une enfant. Vous serez surprise.

— Soit.

Cela me fait rager d’être en concurrence avec une préadolescente. Je doute que cette Kalia ait les atouts pour chauffer Sten comme j’en suis capable. Je me méfie plus de Pauline et de ses grands yeux noirs, et de cette Gaëlle qui m’imite.

— Je poursuis mon rapport ?

— Oui, il est instructif.

— Cet après-midi, les comtes et barons de tout le Duché viennent présenter leurs filles pour vous offrir votre sixième courtisane.

— Est-ce utile ?

— C’est très politique. Surtout que vous avez déjà fait la faveur de prendre Marianne. Même Adelheid est fille de chef.

— Je dois faire un choix précis ?

— Je pense que vous devez laisser parler votre instinct. Mais je vous conseille la fille de la baronnie de la Cicatrice des Sables. C’est une baronnie qui règne sur un canyon au nord de mon comté, et c’est aussi ma cousine. Malgré que je sois à vos côtés, les citoyens des Planes-Plaines ne digèrent pas une défaite à seulement cent-douze voix d’écart. Mon oncle ne m’a jamais confié sa fille comme courtisane car il la réservait pour la future impératrice. Il me disait que je l’aurais si je le méritais. Et l’avoir à ses côtés et quelque chose à mettre en valeur.

— Pourquoi ? C’est un baron influent ?

— Ma tante est une Cornue. Zélia a hérité de ses cornes. Les Cornus n’ont pas de terre, ne se regroupent pas comme les Messiens ou les Ramiens. C’est pour ça qu’ils sont sous-représentés.

— Parfait. Si elle me plaît, je la prendrai.

— Sinon, Sigurd a terminé cette nuit sa mise à l’épreuve, et il a retenu les quatre candidates qui formeront la garde d’élite et dont j’aurais, selon lui, la responsabilité… Si ça vous convient.

— Parfait. Je n’y vois aucun inconvénient. Je veux que tout se déroule comme sur du papier à musique.

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est… Une partition, immuable, précise et sans surprise.

— D’accord. Pour terminer, demain matin, nous nous mettrons en route pour rejoindre Varrokia. Toutes les aspirantes sont attendues à la citadelle des scribes avant de pouvoir gagner le château.

— Jamais deux sans trois, grincé-je. Et une fois au château ? Comment ça se passe ?

— Je l’ignore. Les règles seront présentées après la citadelle. Je sais juste que des dignitaires d’empires voisins se sont mis en route et que leurs voix compteront.

— Merci pour ce rapport. As-tu vu Cendre ?

— Elle aide Thomas.

— Question con, marmonné-je. Merci beaucoup.

Malika me salue puis se retire. Sentant toujours Chihiro s’appliquer, je lui dis :

— Tu peux rejoindre les autres.

Ma courtisane enfile sa jupe asymétrique, son top en cuir et dentelle puis se faufile sans un bruit vers la sortie. Siloë me dit :

— Malika n’a pas l’air de croire la victoire facile.

— La première victoire s’est jouée à cent-douze voies. La seconde sera terrible. Mais, si on peut faire avaler la pilule noire à Victor, on éliminera Pauline du même coup. La sorcière du Duché Noir n’a pas l’air d’être un problème. Restera ma pâle copie de Fort-Littoral, et la pucelle des Hauts-Ligneux.

— Tu es pucelle, toi aussi, se moque gentiment Siloë.

— Je me comprends.

Midi est arrivé. Si ça se trouve, Sten est en train de visiter les couches de toutes les aspirantes déchues. Peu probable selon Malika, car il reçoit les premiers dignitaires étrangers à Varrokia. Information confirmée par le Duc, et assez rassurante.

J’ai renfilé ma jupe fendue noire avec mon emblème brodé d’or, et mon corset de cuir assorti, pour redonner un peu de décence et de stature à ma personne. J’ai laissé les cheveux attachés pour me décerner un peu d’autorité. On me présente les Barons du Duché. Pour beaucoup, on devine les anciens soldats qu’ont été ces hommes. L’âge et l’expérience les marquent pour nombreux, et aucun ne semble avoir amené sa fille. L’oncle et le père de Malika sont faciles à reconnaître, ce sont les seuls noirs. Le père reste aussi taciturne qu’aux autres soirées. Alors que sa fille se tient à côté de moi, son frère m’adresse la parole :

— Je suis ravi de voir ma nièce avec un pareil sourire. Je pensais que l’amertume serait plus visible que chez mon frère.

— Père prend trop à cœur cette élection. Léna est une aspirante de très bon choix et qui m’offre la possibilité de rejoindre le château malgré tout. J’apprécie énormément la confiance qu’elle m’a remise. Je la seconde. Zélia n’est pas venue ?

— Zélia est avec les autres.

Elle hausse les sourcils au moment où la duchesse clape des mains.

— Brave gens ! Nous allons faire entrer les aspirantes-courtisanes. Afin de ne pas influencer le choix de Dame Hamestia, nous avons revêtu les demoiselles de la même façon.

Malika avait vu juste, seules trois baronnies sont représentées par des filles encore en âge de devenir courtisanes. Elles entrent de la plus petite à la plus grande. Les longs cheveux détachés ont été teints de roux. Leur cou est lacé par un collier de dentelle qui s’élargit en tournant autour de leur buste. La première boucle passe devant leurs mamelons, la seconde plus large masque leur bassin, pour finir une troisième-fois devant leurs tibias. J’observe avec curiosité l’ingénieuse torsade de crânes et de feuillages. J’aurais aimé la porter si cela ne dévoilait pas autant les fesses.

— Thomas m’épate à chaque fois, dis-je à Siloë.

— C’étaient des essais de la première robe. Je ne sais pas comment il a fait pour les ajuster aussi vite.

Les filles s’alignent sagement devant-moi et leurs pères.

— Quel choix épineux, mens-je. Avec le nombre de voix obtenues, n’ai-je le droit qu’à une seule ?

— C’est celle de l’élection ducale. Elle est unique, elle occupera une place privilégiée parmi vos courtisanes, indique une baronne.

Je n’ose lui répliquer que mes servantes sont sur un même pied d’égalité. Je ne donnerai pas l’avantage à une fille à papa, certainement pas. J’ai toujours la désagréable impression d’être une consommatrice sur un marché aux esclaves. L’ironie, c’est que je suis dans la même position qu’elles face à l’Empereur. Sage, un peu plus soumise, embellie pour être choisie. La plus petite me paraît trop jeune et je l’élimine d’emblée. La seconde a une toute petite ramure qui perce à peine, et elle a un visage très joli. La plus grande a une peau ambrée de métisse, des yeux bleus très clairs, et de jolies cornes courbes d’un gris très clair. Elle paraît grande, car toute effilée, mais elle ne dépassera Fantou que d’un front. Après tout, je suis obligée d’en prendre une.

Je la pointe du doigt, et elle sourit. L’oncle de Malika exhale de soulagement.

— Oh ! Vous ne savez pas combien vous me faites plaisir !

Il serre ma main au creux des siennes. Les autres filles ne laissent paraître aucune déception. Le scribe 44 cligne des yeux.

— Je vais procéder au marquage.

— Par ici, suggère Siloë. Il faut également que nous nous hâtions à concevoir sa tenue. C’est qu’elle est grande. Comment tu t’appelles ?

Elles s’éloignent et les femmes de barons entrent à leur tour.

— Mamour ! C’est notre Zélia qui a été choisie !

— C’est merveilleux ! s’exclame une grande blonde aux cornes claires et à la peau blanche.

C’est reparti pour quelques heures de mondanités et de léchages de bottes. Siloë a bien fait de s’éclipser. Malika converse à l’aise, baignant dans ce monde depuis toute petite, comme si elle était toujours dans son rôle d’aspirante. Ses phrases ramènent souvent à moi, pour me porter sur un piédestal.

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