48. Retour à la tour (partie 2)

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Un peu fatiguées, Siloë et moi profitons d’un bain dans ma suite avec mes six courtisanes. Je viens d’évoquer l’étrange rite subi à la citadelle.

— Moi ça ne me dérangerait pas, conclut Siloë. Ils n’offrent pas des essais gratuits pour les sœurs d’aspirante ? Je suis trop curieuse, j’aimerais trop ressentir cette vapeur, le vivre de mes propres sens.

— Je peux demander.

— Franchement, demande.

— T’es plus barjot que moi

Siloë ricane. Zélia reverse de l’eau chaude sur ses épaules, se savonne les mains, et Siloë reprend.

— Ahhhhh ! Et ma mère qui voulait que je retourne à Marseille ! Une fois que t’es élue, on aura la vie belle. Et je recruterai des servantes aux cheveux bleus.

— Si je suis élue, je peux me séparer de quelques-unes, j’espère, à ton profit.

— Moi, je veux rester avec toi, me dit Fantou.

— Avec tout ce qu’on a vécu, jamais je ne me séparerai de toi, ma chérie.

On frappe à la porte.

— Je croyais avoir dit de ne pas nous déranger ! hurlé-je.

— C’est Malika.

— Entre !

La porte s’ouvre et une fois le rideau passé, la grande conseillère baisse le regard, comme si me voir nue lui était depuis peu interdit :

— Excusez-moi. Mais Léa l’Exilée est à l’entrée de notre aile. Elle demande à te voir.

— Ah ! Fais-là entrer.

La porte se referme, et nous attendons plus d’une minute. Lorsque la porte s’ouvre à nouveau. Malika s’éclipse sur une formule de politesse, et le sourire de Chell passe le rideau.

— Coucou les poulettes !

Ses quatre courtisanes aux cheveux blancs, la suivent, uniquement vêtues de longs pagnes noirs tenus par une ceinture fermée par la face d’un énorme crâne humain. Elles portent des bracelets d’osselets aux chevilles et aux poignets. L’une est cornu, l’une est Ramienne, l’une est Messienne aux ailes ivoire la dernière est humaine.

— Vous acceptez une troisième personne ?

— Bien entendu.

Chell ouvre les bras pour que deux de ses servantes détachent sa robe noire, tandis qu’Adelheid rapproche son couteau du bassin. Une fois nue, notre meilleure copine se glisse dans l’eau et nous tape la bise.

— Voilà qui rappelle notre dernière soirée, sourit Siloë.

Chell croise mon regard méfiant.

— Je devine que vous voulez des explications ?

— Carrément ! réponds-je.

— Est-ce que tes courtisanes peuvent sortir ?

— Je n’ai aucun secret pour elles.

Chell lève les mains pour signifier que dans ce cas, je n’aurais pas ma réponse. Trop curieuse et n’ayant pas envie de me méfier d’une amitié longue de trois ans, j’ordonne :

— Laissez-nous.

Nous attendons sans un mot que mes courtisanes soient rhabillées. Je note l’emblème de Chell dans le bas du dos de ses courtisanes : trois serpents entrelacés. Une fois la porte fermée, notre copine explique :

— Je ne suis pas là pour épouser Sten Varrok, vraiment pas mon genre. Mais évidemment, je ne veux pas que ça se sache. Je suis ici car j’ai besoin de récupérer un trésor familial détenu entre ces murs. Je suis née dans le Duché Noir, pas en France, ni aucun autre pays de votre monde. Le père de Sten Varrok a condamné mes parents à l'exil après que ma famille l’ait défié. Peu avant notre soirée de sororité, j’ai appris que le fils Varrok cherchait une épouse. C’était la meilleure façon de pouvoir entrer dans le château, et l’influence de ma famille étant forte, j’étais certaine d’être l’élue du Duché Noir.

— Et comment je me suis retrouvée là-dedans ? questionné-je. C’est toi qui fournissait Victor ?

— Je devais doubler mes chances d’entrer dans le château. Alors à la soirée, j’ai inventé des questions pour savoir si l’une de vous n’était pas vierge. Et puis le bain de minuit m’a servi d’excuse pour voir si Léna était assez bien foutue pour passer les scribes. Ensuite, j’ai fabriqué des dragées avec les ingrédients du bord pour conduire quiconque en prendrait, la première fois, directement à moins de cent mètres de Sten Varrok, mais qui permette un retour si jamais ça se passait mal. Victor devait t’en vendre à toi, uniquement à toi, mais apparemment, Pauline en a profité.

— Oui. Victor était insistant la première fois. Et si ça se trouve, il n’y a pas eu que Pauline, mais Pauline est la seule qui pouvait passer les scribes.

— Tant mieux pour elle, fait Siloë.

— Mais donc, si tu trouves ton trésor familial, tu abandonnes la course au trône ? interrogé-je.

— Si on trouve le trésor, non seulement, je me retire mais je donne toutes les voix du Duché Noir à Léna. Ce qui, normalement, t’assure d’être élue.

— À double-tranchant, fait remarquer Siloë, car le soutien du Duché Noir n’est peut-être pas bien vu.

— On fera en sorte que ça passe bien, sourit Chell.

— Et si on ne trouve pas le trésor avant ? m’inquiété-je.

— Il faudra ruiner ma réputation, conclut Chell. Je n’ai pas envie de me retrouver dans le lit d’un membre de la famille Varrok. Je ne dis pas que je n’apprécie pas Sten, mais ce n’est pas du tout mon type. Désolée, Léna de t’avoir entraînée là-dedans, mais je pense que j’ai visé juste, Sten est ton type de mec.

— Je ne peux pas t’en vouloir, mais tu m’en aurais parlé…

— Tu m’aurais crue ? Et puis si tu n’avais pas kiffé ta rencontre avec Sten, que ce monde t’avait effrayé, au moins ça serait resté pour toi qu’une hallu super réaliste.

— Y a pas de secret dans une sororité, ajoute Siloë.

— Y en a plus en tout cas, répond Chell en désignant les murs qui nous entourent.

— Ton vrai prénom ? sourit Siloë.

— Léa. Mais je préfère Chell. Vous êtes les seules filles qui m’ont fait me sentir bien sur Terre.

Siloë et moi restons silencieuses, entendant bien dans son timbre de voix la détresse qui pointe, la peur d’être considérée comme une traîtresse.

— Moi je pardonne, déclare Siloë. Je kiffe trop ce monde.

Elle se lève et invite Chell dans ses bras. Elles s’étreignent avant de tourner leurs yeux vers moi. Comment en vouloir à Chell ? C’est la meilleure aventure que je n’ai jamais vécue. En effet, si elle m’avait offert la dragée, je ne l’aurais jamais gobée, quel qu’aurait été notre niveau d’amitié, surtout si elle m’avait fait tout un pataquès sur un monde parallèle. En me mettant à sa place, j’aurais préféré garder le secret, laisser les choses se faire et observer de loin. Mais c’est peut-être mon côté stratège en plein développement qui parle. Si j’avais su que l’une de mes meilleures amies était extraterrestre !

Je les regarde en cherchant comment avoir le dernier mot.

— D’accord. Mais tout de suite, il doit y avoir des rumeurs qui courent que tu es venu sceller un pacte ici. Afin que le courant passe bien le jour où tu cèderas ta place, et afin de justifier le fait qu’on nous voit ensemble tout le temps, je veux que tu annonces officiellement que nous sommes tes sœurs, que nous avons été élevées ensemble dans notre monde.

— Aucun souci !

Je me lève et accepte l’étreinte de l’amitié. Chell couine de joie.

— Je suis trop contente !

Je me rassois dans l’eau et pense à Sten. Le chemin vers lui s’ouvre comme une autoroute. Une concurrente éliminée à l’avance, dès le premier jour. Siloë demande en s’immergeant à nouveau :

— Toi aussi eu as eu le droit à de la vapeur dans la chatte ? — Chell grimace. — Quoi ? Ça a l’air trop cool. Ça n’existe pas genre narguilé portatif, tu t’enfiles ça et tu vois des mecs tous nus ?

— Si, ça existe. C’est interdit, mais je peux t’avoir ça.

— T’es une vraie sœur !

La soirée approche. Chell est retournée vers sa suite pour s’apprêter. Siloë nous a fait coudre deux robes identiques qui laissent la gorge bien ouverte et les bras presque nus. Le corsage se divise en deux pour dévoiler le nombril et partir en queue de pie vers l’arrière. Il est cousu de manière à tenir la jupe longue dont la taille à l’avant est si basse qu’elle laisse l’ossature des hanches apparentes. Une ceinture la délimite, fermée par mon emblème. Couleur ivoire pour elle, couleur or pour moi. Je porte le diadème offert par la Duchesse de Cœur-Empire, et ces deux éléments dorés me permettent d’être mise plus en valeur que ma sœur de cœur, tout en lui ressemblant.

Ce projet étant très anticipé, mes six courtisanes portent la même jupe longue et simple avec le ceinturon de nacre. Leur différence avec Siloë, c’est que le corsage recouvre leurs épaules et leur cou. Leur dos et leur ventre reste nu, arborant l’emblème tatoué.

Siloë est riche d’idées que nous partageons. Lorsque nous parvenons à la grande salle, je tombe au milieu d’une foule de visages nouveaux, de costumes et de robes riches en ornements. Si mes cheveux n’étaient pas d’un rouge feu si éclatant, je ferai presque fade à côté de tous ces gens.

Personne pour nous annoncer, cela me fait bizarre. On me salue d’un mouvement de tête aimable, mais on ne m’adresse pas la parole. Et tandis que la foule s’écarte, je comprends pourquoi. Presque toutes mes concurrentes sont déjà à l’autre bout.

Chell porte une robe blanche et sobre. Son corset est fermé par des boucles noires représentant des entrelacements de vipères. Gaëlle Chaudes-Ecume, la grande brune a les épaules dénudées, enveloppées dans un décolleté d’une fourrure épaisse et blanche. Huit plaques d’armure argentée couvrent les abdominaux et la poitrine de son corset de cuir pour lui donner des airs guerriers. Sa longue jupe brune est fendu devant elle. Un diadème d’argent orne son front et des bracelets nombreux couvrent ses bras. Kalia du Creux-Suspendu porte une longue jupe verte, fendue large des deux côtés pour que ses jambes soient visibles à chaque circonstance. Son corsage n’est qu’un entrelacement de cordes dorées, uniquement plein à hauteur de la poitrine, qui laisse la peau de tout son buste visible. Une capucine de fourrure sur ses épaules, et une couronne d’or plongée dans ses cheveux roux, elle attire tous les regards vers elle.

Chell s’avance à notre rencontre, et articule pour être bien entendue.

— Vous êtes très belles, mes sœurs.

Ravie qu’elle tienne promesse, je souris. Les regards se tournent, vers la grande porte. Pauline fait son entrée. Jupe longue et légère bleu ciel, ventre nu hâlé, bijoux argentés et discrets, top à manches bouffantes à moitié transparent, laissant les épaules nues.

— Voilà la princesse Jasmine, me moqué-je.

Chell et Siloë pouffent de rire.

Nous avons beau nous moquer, ses yeux noirs et les saphirs qui attachent ses cheveux ont captivé toute l’assistance. Le silence tait les conversations petit à petit. L’élue de la bourgeoisie de Varrokia, c’est donc elle. J’ignore si la trop jeune Kalia a eu le droit à ce silence. Une chose est certaine, la mystérieuse nymphe du désert a déjà conquis l’Empire.

— Quel silence, sourit Pauline en haussant les épaules.

Ce qui m’agace, c’est qu’elle est d’une douceur et d’une gentillesse à laquelle on ne peut répondre que par la même candeur. Je m’entends répondre avec honnêteté :

— Ta beauté a cloué le bec à tout le monde.

Elle rougit.

— Merci, tu es très belle aussi, Léna.

— Je suis peut-être de trop, réalise Siloë.

— Nous n’avons pas encore eu de consigne, fait remarquer Chell.

Le chambellan s’exclame :

— Gentes dames ! Gentilhommes ! L’Empereur de Varrokia, le seigneur Sten Varrok !

Enfin le mâle alpha pénètre dans la pièce, dans un magnifique costume noir aux brandebourgs brodés de fil d’or. Je passe la langue sur mes lèvres qui se dessèchent, j’essaie d’empêcher mon cœur de partir au galop. Putain ! Qu’est-ce qu’il en impose !

Lorsqu’il arrive à nous, son regard se pose en premier sur Pauline.

— Ravi de vous revoir, ma jolie fleur du désert. Vous savez définitivement bien marier les pierres précieuses et vos tenues toujours si légères.

Ma parole ! Il la drague. Pauline rougit, incapable de lui répondre, alors il se tourne vers la plus jeune.

— Kalia, j’espère que l’épreuve de la citadelle ne vous a pas laissé un mauvais souvenir.

— Nenni, seigneur Varrok. J’ai revécu la nuit de mon élection d’une intensité délicieuse.

J’interroge Chell du regard pour qu’elle m’explique ce que la vapeur fait vraiment. À moins que son élection ait été particulièrement érotique, je trouve la réplique curieuse.

— Un souci Léna ? me demanda l’Empeureur.

— Non. Pas du tout.

— Toujours aussi fusionnelle avec votre sœur jumelle. J’approuve la ressemblance des robes.

— Merci.

— J’allais me retirer, s’excuse Siloë.

— Restez. Double beauté ne peut que flatter mes yeux. Ah ! Gaëlle, même en tenue de soirée, vous restez la guerrière que mérite tout empereur un tant soit peu conquérant.

— Vous me flattez.

— Bonsoir Léa. J’espère que vous ne vous sentez pas trop mal à l’aise loin de votre Duché.

— Nenni, seigneur Varrok. J’ai eu l’agréable surprise de retrouver les deux sœurs avec lesquelles j’ai grandi.

Sten reste interdit plus de cinq secondes. Il finit par ajouter en oubliant son sourire enrôleur.

— Quelle surprise !

— Un hasard dingue, ajoute Siloë mal à l’aise.

L’idée de s’officialiser sœurs n’était peut-être pas une si bonne idée. S’il craint un complot de l’ancienne famille ennemie de son père, Sten le soupçonnera davantage. S’il me pose des questions, devrais-je trahir ma sœur de cœur ou mentir à l’élu de mon âme ? Nous croisons le regard incommodé de notre amie, et elle se rapproche de nous.

— Boulette, murmure-t-elle.

Le chambellan prend la parole :

— Mon seigneur, notables de Varrokia, ce soir, vous avez en votre présence les cinq plus beaux partis de l’Empire, élues par les cinq grand Duchés. Durant leur séjour ici, elles auront à tour de rôle accès à un portail pour rencontrer les représentants des Duchés voisins. Elles participeront également à la grande soirée privée durant laquelle les délégations des deux empires voisins nous rejoindrons. L’Empereur peut à tout moment décider d’interdire à l’une d’elles de concourir. En tant que futur époux, c’est son droit de refuser de partager ses privilèges avec celle qui ne le mériterait pas. Toutefois, tant qu’il demeurera dans ce quintuple dilemme, c’est votre vote à tous qui décidera lequel de ces cinq joyaux trônera pour l’éternité à ses côtés. Mais avant d’ouvrir plus amplement les festivités, je suggère d’entamer la soirée par quelques pas de danse.

Le chambellan est brièvement applaudit, les musiciens entament un morceau et Sten s’incline face à Pauline pour l’inviter à ouvrir le bal. Profitant de la musique, Siloë murmure :

— Elle est en train de tourner la tête à ton boyfriend. Si on veut que tu gagnes, va falloir se serrer les coudes. Chell, faut que tu dises du bien de Léna.

J’écoute à peine et observe la grâce avec laquelle Pauline se laisse porter. Les gens les observent avec le même regard béat que des petits vieux devant un bébé qui dit maman. Le regard de Malika croise le mien. Elle se dit la même chose.

Nous avons toutes dansé avec lui. La soirée se déroule comme les autres, si ce n’est que Siloë, Chell et moi restons inséparables. Les gens viennent vers nous et nous questionnent sur la rumeur de notre affiliation. Chell leur explique qu’elle a grandi avec nous et, tout naturellement, elle leur raconte comment elle s’est sentie bien parmi nous, la relation fusionnelle qui nous a unies et l’admiration qu’elle a toujours eue pour moi. Ramenant souvent les projecteurs sur ma personne, elle m’appelle à raconter mon histoire de dragon. Par habitude, je séduis par ma narration. De leur côté Cendre et Malika font ma promotion.

La soirée se termine. Cendre est partie la première, trop fatiguée. Malika, Chell, Siloë et moi longeons les couloirs, suivies par nos quatorze servantes.

— Putain, j’en peux plus de ces soirées, bâille Siloë. Je trouvais ça marrant à Kitanesbourg, mais là, Pauline accapare tout le monde, c’est un truc de fou !

— Kalia aussi à son succès, fait remarquer Malika. C’est la petite damoiselle fragile, la merveille à la voix cristalline.

— D’ailleurs, m’interpelle Chell, je n’ai pas compris ton regard quand Sten lui a parlé.

— Ben elle disait que les vapeurs lui avait fait revivre son élection. Il ne se l’est pas tapée le soir de son élection, sinon elle ne serait pas là.

— Ah ! Ça non ! Il ne s’est pas tapé Kalia. Il a fait une orgie avec les onze autres finalistes. Ça a duré toute la nuit.

La colère me monte au nez et je frappe du pied le rack d’arme. La douleur violente qui en résulte à l’orteil me fait hurler.

— Ça ne va pas ? s’étonne Chell.

— Elle pête un câble chaque fois qu’elle apprend que Sten a couché avec une fille, réponde Siloë.

— Ben là, onze ! grogné-je.

— Il paraît que les autres filles ont attaché Kalia et l’ont obligée à regarder, ajoute Malika. Ça a duré toute la nuit.

— Tu m’étonnes, répond Chell. Tatiana était la favorite, et ils ont choisi Kalia parce que c’était la plus jeune. Elle n’a pas kiffé que sa cousine gagne. Mais bon, y a pire comme vengeance, elle ne l’a pas fait disqualifier.

— Je pense que son peuple n’aurait pas apprécié que l’une d’elles ne respecte pas la décision du vote, réfléchit Malika.

Je repose le pied par terre, sans que ma colère ne redescende. Ne voulant pas vraiment prêter ma crédulité à ces rumeurs, je fais remarquer :

— Et genre, il a tenu toute la nuit, avec onze filles.

— On peut tout faire quand on a la moitié des alchimistes de l’Empire à sa botte, répond Chell.

— Et vous tenez vos informations d’où ?

— Des courtisanes des autres prétendantes, sourit Chell. Elles ont retrouvé leurs maîtresses au matin avec l’Empereur.

— Je ne veux pas savoir, râlé-je.

— Et dans les autres Duchés ? demande Siloë.

— Mais tais-toi ! m’énervé-je en accélérant le pas.

J’entends Chell répondre à Siloë qu’on ne sait pas. Moi, je connais déjà l’histoire de Cœur-Empire, je ne peux qu’extrapoler les élections des autres Duchés. J’attends les filles à l’embranchement des cinq couloirs. Chell nous fait la bise puis passe sous son emblème.

— Moi je pense que c’est faux, me dit Malika. Tatiana était tellement jalouse qu’elle a forcément colporté cette rumeur. Quelle courtisane irait raconter ça sans déshonorer sa maîtresse ?

— Onze point pour Malika, sourit Siloë.

Il m’est trop désagréable d’imaginer Sten en pleine orgie avec onze filles, alors je préfère croire à l’hypothèse de Malika. Sa réflexion est sensée. Mais dans ce cas, pourquoi Kalia y aurait-elle fait allusion ?

— Bonne nuit, nous salue la conseillère.

Je passe entre mes deux sentinelles puis mes servantes ferment la porte.

— Je déteste ce monde archaïque et machiste. Je vais renforcer mon image d’Impératrice guerrière.

— Ce n’est pas ce qui te fera élire, me fait remarquer Siloë. Il faut peut-être attendre d’être couronnée. Là, il faut battre Pauline sur son propre terrain. Il faut te rendre encore plus sexy qu’elle.

— J’ai le nombril à l’air, les épaules à l’air, qu’est-ce que tu veux de mieux ? Ce sont ses putains d’yeux noirs et sa gentillesse qui séduisent tout le monde.

— Les gens veulent-ils d’une impératrice trop gentille ?

— Oui ! Ils ont déjà un empereur guerrier. Je n’ai pas raison ?

Les courtisanes que je prends à partie haussent les épaules. Je suis en train de devenir folle, de sentir mon destin glisser sous mes pieds. Je passe mes mains sur mon visage fatigué. Siloë prend une voix douce :

— On va dormir, ça nous portera conseil.

— C’est invivable ! Je ne peux pas supporter de le voir danser avec Pauline ! Je ne peux pas supporter d’entendre ces rumeurs d’orgie ! Je voudrais qu’il soit lui et en même temps qu’il soit un saint. Je veux qu’il ne soit ce qu’on dit de lui qu’avec moi !

— T’es amoureuse.

— Tu te rends compte que mes plus sérieuses concurrentes ont treize et quinze ans ? J’ai dix-huit ans, merde ! Je me sens périmée ! Comment un homme comme lui peut-il accorder de l’importance à une fille qui a treize ans !

— Elle a des hanches, des nichons, et c’est un homme.

— Mais même ! Il n’y a pas que ça dans la vie ! Je le revois en train de lui demander tout mielleux si la citadelle s’est bien passée ! Il ne l’a pas demandé à nous ! C’est bien la preuve qu’il la considère plus fragile ! Plus innocente !

— Je n’en sais rien.

— Ah ! Et revoir comment il plonge ses yeux dans ceux de Pauline ! Raaah ! Putain ! Ça m’énerve !

— Léna, calme-toi. Prends un bain, un massage, je n’en sais rien. Vois le bon côté des choses. L’une des quatre est Chell, et elle est déjà hors course. On va réfléchir, on va trouver un plan, une robe, une attitude à avoir. N’oublie pas tout ce qui s’est passé avec Sten. Il y a quelque chose qui matche entre vous deux. Ne lui montre pas cette jalousie enragée, sinon il va te disqualifier. À Kitanesbourg, tu as toujours eu cette sensation d’être sa favorite. Et là, ben il y a des plus jeunes dont il prend soin. Mais quand tu as dansé avec lui…

— Ce n’était pas pareil. Je ne me suis pas sentie dans ce cocon, comme si j’étais la seule à ses yeux.

— Parce que tu pensais qu’aux autres. Il faut que tu retrouves les idées froides, que tu pimentes le jeu entre vous deux.

Je m’assois sur le lit et reconnais amèrement :

— Ici, c’est lui qui mène le jeu… ou Pauline.

— Alors il faut que tu matches avec les Empereurs voisins et les Ducs. Il faut que les gens aient l’impression de parler à l’Impératrice elle-même, pas à une aspirante. Après tout, c’est eux qu’il faut séduire pour gagner.

Je m’allonge sur le dos. Mes courtisanes restent toujours silencieuses, mais Fantou ose s’approcher pour me tenir la main.

— Ce n’est pas grave si tu perds, murmure-t-elle.

Siloë s’assoit à côté de moi.

— Allez, ne te laisse pas abattre. La journée a été longue, il faut juste reprendre du poil de la bête.

— Quand tu étais love de Johnathan, tu l’as déjà détesté ?

— Pas vraiment.

— J’aime tellement Sten que je le déteste. Je le déteste d’avoir organisé ce concours. Et pourtant, sans ce concours, je ne l’aurais pas connu. J’ai envie d’en vouloir à Chell de me l’avoir fait connaître. En même temps je serais toujours mordue de Geoffrey et ce serait pathétique. Je ne sais plus quoi penser. Mon cœur et ma tête ne sont pas d’accord.

Siloë se couche à côté de moi et m’embrasse sur la joue.

— Décidément, depuis le collège, rien n’a changé. On parle toujours de la même chose. Je t’aime ma poulette, ne te prends pas trop la tête. Laisse le cœur parler, il est plus puissant que le cerveau.

— Tu dis des choses pas cons, tu sais ?

— Une autre chose pas con, tu ne veux pas dormir sous les draps ?

Elle a encore raison.

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