51. Magie Noire

20 minutes de lecture

Jeudi 15 novembre 2013

Après une journée passée en la présence des mes hôtes, après avoir partagé un atelier de peinture sur soie, nous avons quitté le palais, en nous excusant pour la précipitation.

Dans la grotte, mes courtisanes et moi avons troqué nos tenues sexy pour nos armures, puis nous avons regagné le château avant la tombée de la nuit. L’entrée de l’aile de Chell est gardée, ce qui signifie qu’elle est rentrée. Siloë et moi nous y présentons et la sentinelle nous fait signe de passer avant que nous ne demandions quoi que ce soir.

Noir, blanc, jamais une couleur n’égaye le couloir. Les deux femmes qui gardent la porte de la suite nous ouvrent aussitôt que nous arrivons. De grands rideaux blancs pendent dans la pénombre. Chell, dans sa robe de dentelle et d’osselets nous accueille :

— Fermez la porte ! Entrez ! Alors ? Ça s’est bien passé.

— Très bien, réponds-je. Je ne pense pas que nous ayons évincé Pauline, mais nous avons marqué des points. Et toi ?

— Cool ! Moi ? Bof. Je n’ai pas cherché plus que ça.

— Bon. Et donc, ta réponse par rapport au Duché Noir, lui demande Siloë.

— Le Duché Noir c’est à la fois simple et compliqué. Le Duché est dirigé par un couple d’Humains placé là par l’Empereur. Eux, ils ne vont clairement pas voter pour moi. En revanche, ils sont à la tête d’un peuple qui voit en moi celle qui doit être élue. Je suis la fille des Exilés ! C’est eux qu’il faudra convaincre.

— Et ils seront au palais ducal ?

— Il y a un mage noir qui vit en secret au palais. C’est lui qui m’a fait revenir, c’est lui avec qui il faut entrer en contact. Je vais te donner l’accès au passage secret qui mène à ses appartements. Il suffira que Siloë détourne l’attention du duc et de la duchesse pendant que tu rencontres le seigneur Njall.

— On peut performer notre spectacle de danse, sourit Siloë.

— Le seigneur Njall est quelqu’un de paranoïaque, qui ne sort jamais, parce qu’il est recherché par l’Empereur. Si Sten Varrok lui met la main dessus, il sera tué sur le champ. Il est entouré de prêtresses qui lui servent d’intermédiaire avec le peuple.

— D’accord. Donc il faut le convaincre pour que les prêtresses répandent la bonne parole.

— C’est ça. Je vais quand même te donner une protection contre la magie au cas où il te prenne pour une espionne.

— Il est dangeureux ?

— Il est puissant. Après, c’est un homme qui n’est pas insensible aux charmes. Soit séduisante et impérieuse à la fois. Tu vois ? Reine des ténèbre qui en jette.

— Ouais, je vois.

— Tiens. C’est une dragée. Juste avant de prendre le passage secret, tu la mets dans la bouche. Si jamais tu sens que ta vie est en jeu, tu la croques. Tu repousseras toute sorte de magie pendant une bonne demi-heure. Si au bout d’une demi-heure, tu ne l’as pas convaincu et que tu sens sa magie continuer à t’agresser, fais demi-tour.

— T’es vachement rassurante, lui fait remarquer Siloë.

— Non mais c’est juste au cas où.

— Ouais ! Bon ! Reste la robe, ajouté-je.

— Thomas a travaillé dessus, me dit Siloë. Tu veux manger avec nous, ce soir. ?

Chell accepte.

Vendredi 16 novembre 2013

C’est dans une robe noire surchargée de dentelle que je m’apprête ce matin. Cette fois-ci, nul besoin de la cacher aux concurrentes, elle va servir à séduire quelqu’un dont elles ignorent l’existence. Le corset qui enveloppe ma poitrine laisse les hanches nues. Un passant de dentelle, tenu par une broche en ivoire sculpté en forme de crâne à hauteur du nombril, maintient le reste de la robe. Mon chignon austère est noué autour de deux os fins et longs. Chell a peint un masque noir sur mes yeux, délimité net sous mes sourcils et estompé au niveau de mes pomettes.

Lèvres et ongles noirs, me voilà en parfaite représentante des ténèbres. .Ma garde rapprochée a retrouvé ses heaumes impressionnants, et mes courtisanes on gardé leur armures à col de fourrure.

Le Duché Noir porte bien son nom. Le palais se situe au-delà de la forêt, au sein de laquelle se cache le portail. Il faut trois heures de chevauchée entre les arbres morts, sur des sentiers entourés de marécages pour y parvenir.

Le ciel est si gris que le soleil s’y découpe comme une lune, facile à regarder à l’œil nu. On peine à imaginer le beau temps baigner cet endroit maudit. La forteresse de pierres noires se situe en hauteur sur un rocher. Nous traversons des faubourgs lugubres, et les habitants nous observent en silence. À leurs mines sinistres, je n’ai aucune envie de m’arrêter pour une opération séduction. Je garde les épaules droites, et ma horde imite les troupes impériales dans ses postures intimidantes.

De toute façon, chacun ici est sur le qui-vive. J’ai entendu les archères Messiennes partager leur appréhension d’arpenter les terres désolées de ce duché. Les véloces des courtisanes sont regroupés dans une recherche de chaleur rassurante. Siloë confie :

— À chaque décor, je me demande si c’est là qu’est née Chell. Je suis surprise qu’elle ne soit pas plus tarée.

— Elle a grandi sur Terre.

— Ou bien on est aussi givrées qu’elle et on ne s’en rend pas compte.

— C’est peut-être ça, gromèle Sigurd avec humour.

Nous nous arrêtons face à la grille. Sigurd hurle :

— Dame Hamestia ! La pourfendeuse de dragons !

La lourde herse s’ouvre lentement.

— C’était Kalia la première à venir ici ? demandé-je.

— Il me semble, répond Malika.

La gamine a dû être effrayée. Nous passons sous les pieux noirs puis parvenons dans la cour, alors que la herse se referme déjà. Un valet se présente à nous.

— Dame Hamestia, soyez la bienvenue au sein du palais. Le Duc et la Duchesse vous attendent dans la grande salle principale.

Avant que nous mettions pied à terre, Siloë se penche vers moi :

— Ça commence bien, ils ne font même pas l’effort de venir t’accueillir.

Siloë, Malika et mes courtisanes m’emboîtent le pas derrière le valet. Le palais est beaucoup plus clair à l’intérieur. La pierre est clair et lissée, parfois luisante. C’est dans une salle blanche et agréable que nos hôtes nous attendent, vêtus de tenues colorées. L’homme prend la parle.

— Soyez la bienvenue, Dame Hamestia. Vous ne pouvez pas savoir combien nous sommes heureux de recevoir les Aspirantes Impératrices en ce palais.

— J’imagine. Désolée de ne pas apporter une touche de couleur. Je voulais me fondre dans l’ambiance locale, et j’ignorais trouver un palais si gai à l’intérieur.

— Il aide à faire oublier notre lugubre environnement, sourit la femme.

Elle a le visage un peu creusé, l’air fatigué. Être placée ici ne doit pas lui convenir. Je décide de me la mettre dans la poche.

— J’espère que l’Empereur sera inspiré de vous trouver un palais dans un lieu qui convient mieux à des gens de votre goût. Si ce n’est le cas, la voix de la future Impératrice l’y aidera.

— Puisse-t-il vous entendre.

— Ce soir, je vous propose de découvrir en avant-première le spectacle qui sera présenté aux empereurs voisins. J’espère qu’il saura égayer votre soirée.

— Voilà une proposition fort généreuse. J’ignore si nous devons accepeter. Après tout, tant que les empereurs ne l’ont pas jugé.

— Il suffira de ne le dire à personne, sourit Siloë.

Les heures passent, nous partageons un déjeuner, parlons de moi, de mes ambitions politiques, de la place que je donnerai au Duché Noir, ou plutôt à leur couple. Ne voulant pas perdre de temps pour rencontrer le mage, je propose le spectacle comme un second digestif.

— Je vais me retirer pour me reposer, et ainsi, vous pourrez exprimer votre avis sur ce spectacle sans aucune influence.

— Quel dommage, me dit la Duchesse.

— Profitez bien des couleurs.

Je quitte la salle de réception, puis suis les couloirs comme me l’a fait répéter Chell. Je trouve dans un cul sac le grand rack d’armoiries dont elle m’a parlé. J’ouvre mon médaillon, et place la dragée noire sous ma langue. Je ne suis pas très rassurée par les précautions qu’elle me fait prendre. Convaincre un mage noir que je vaux mieux que l’égérie qu’il a lui-même ramené d’un autre monde, ça semble imprudent.

Prenant une inspiration profonde, je tire sur le cable qui tient la lampe du couloir tout en poussant la hallebarde. Le mur pivote, alors je me glisse dans l’escalier en colimaçon qui descend. Dans un raclement de pierre, la porte se referme doucement, supprimant progressivement le passage de la lumière.

Angoissée, je fais jouer la dragée entre mes dents, prête à l’utiliser, tandis que le mur se verrouille. Il fait presque noir, et le silence est vraiment flippant. Un clapotis lointain parvient jusqu’à mes oreilles. Je replace la dragée sous ma langue et appelle :

— Seigneur Njall ?

Personne ne me répond, mais mon regard s’habitue à l’obscurité. Les mains sur les murs froids, je descends petit à petit les marches. Mais qu’est-ce que je fous là ? Les dernières marches sont discernables. Au pied de l’escalier, un couloir étouffant s’étire et la lumière vacillante de bougies est projetée par l’entrée d’une pièce. Sans faire cesser le roulement de la dragée dans ma bouche, j’avance à pas délicats. Le couloir si étroit que mes épaules touchent presque les parois.

— Seigneur Njall ?

Si je l’appelle par son nom, il va comprendre que je suis une alliée, non ? Parvenant à l’ouverture d’où provient la lumière, je penche la tête par l’ouverture :

— Seigneur Njall ?

Un tableau de film d’horreur s’étale devant moi. Njall est un Ramien, chauve, une ramure à peine plus petite que celle de l’empereur. Il est confortablement vautré dans un bassin carré rempli de sang. Ses trois prêtresses, crâne nu, visage pâle et tatoué, se tiennent derrière lui. Elles portent toute un collier d’esclave autour du cou, leur jupe noire laisse leur poitrine et leur ventre marqué apparent. Une cornue est en train de lui masser les épaules, tandis que côte à côte une Messienne aux ailes attachées et une Humaine attendent sagement. Sans sembler se sentir menacé, il demande calmement :

— Qui êtes-vous ?

Je m’avance, m’incline et force ma voix à se dénouer :

— Je suis Léna Hamestia, aspirante Impératrice. Léa l’Exilée m’envoie vous rencontrer.

— Et bien entrez.

Je m’avance, remarquant avec un haut le cœur le visage d’un enfant égorgé flottant dans le sang. Il lit l’horreur sur mon visage en s’en moque :

— La vue du sang vous effraie-t-elle ?

— Nullement.

Inquiète, ma langue pousse la dragée entre mes dents, et j’avance jusqu’à son bain. Soudain, deux tentacules rouges surgissent de la surface ! Ils enroulent mes jambes et me font brutalement tomber à genoux dans le bassin. Le choc violent envoie loger la dragée dans ma gorge. Je me râcle bruyamment, sans parvenir à la renvoyer. Des tentacules liquides se torsadent autour de mes bras et me suspendent dans les airs. Je m’agite le plus possible. Mon cœur s’emballe, ma respiration devient rauque. Les poignets et les chevilles sont étreintes avec de plus en plus de force. Je râcle ma gorge sans parvenir à décoincer la dragée.

Un autre tentacule de sang émerge, enroulé autour d’un long couteau effilé, et mes propres doigts, comprimés par le ruban d’hémoglobine vient s’en saisir.

— Peut-être devriez-vous écouter ce qu’elle a à dire, suggère la prêtresse cornue.

— Silence !

Il projette de la main une gerbe de sang qui vient bâilloner la femme. Le sang se gèle sur le visage. Il déclare :

— Léa fait bien de nous envoyer ses concurrentes.

Incapable de résister à la force du sang qui la couvre, ma main plaque le long couteau sur mon ventre, puis tranche le passant de dentelle qui tient ma jupe. Ma respiration se fait difficile ! Je râcle en vain ma gorge. Tout en effilant ma peau, le couteau remonte entre mes seins pour faire tomber mon cache-poitrine. Entièrement nue, affolée, je râcle ma gorge ! L’homme se lève, son sexe droit comme un i. L’oxygène commence à me manquer. Mes narines béent. La dragée est toujours douloureuse. Les tentacules de sang m’écartent les cuisses. Je râcle ma gorge avec fureur en me débattant. D’un mouvement sec, il me tourne dans les airs sur le dos. Je râcle ma gorge. La dragée se décoince. Le mage se place entre mes cuisses. Je croque la dragée. Je sens la magie du sang tout autour de moi, et je reserre les jambes. Njall écarquille des yeux furieux et je sens sa magie se durcir. Je résiste tant bien que mal. Je discerne le pouvoir communiquer par l’estafilade qu’il m’a faite. Je ressens le bain de sang, ainsi que celui qui recouvre sa peau. Alors qu’il se concentre à me faire écarter les jambes, je manipule son propre pouvoir sur ses bras, formant des sangles de sang autour de ses poignets. Je peux gagner ! Je le regarde droit dans les yeux, hurle avec fureur et tire brutalement les sangles de sang vers le bras. Ses poignets se brisent. Il hurle comme un dément. Je prends le contrôle de mes propres entraves et pose mes pieds dans le sang. J’enveloppe Njall de sa propre magie tandis que son esprit est détourné par la douleur. À mon tour je m’empare du contrôle de ses doigts. Je l’oblige à se saisir du couteau et j’engorge son phallus de sang pour le durcir. Le bain de sang le pousse vers le rebord et l’oblige à poser son sexe sur la margelle. Sa magie tente de reprendre en puissance. Je sens une sangle remonter autour de mon cou et m’étrangler. En colère, effrayée à l’idée qu’il reprenne le contrôle, j’oblige ses doigts à positionner le couteau au-dessus. Il hurle de terreur :

— Non ! Non ! Non !

Les prêtresses restent d’une immobilité rassurante. Les nœuds de sang viennent broyer ma gorge, et mes cuisses. Je ferme les poings et agis. Il tranche lui-même sa virilité en criant. Les sangles de sang sur ma peau retombent. Il essaie d’interrompre son hémorragie en utilisant son pouvoir, et je vais contre ça, provoquant un courant qui vient vers moi. Je veux qu’il se déverse jusqu’à en mourir, qu’il vive le même sort que l’enfant qui gît à côté de moi. Je pompe littéralement tout le sang qui compose son corps. Son cœur bat à toute vitesse. En moins de cinq secondes, il cesse de crier, ses yeux s’entreferment. Sa magie cesse de résister et devient d’un seul coup totalement mienne.

Les mains tremblantes, agitée par la peur, je regarde les trois femmes effrayées. Elles me prennent surement pour une sorcière plus douée que leur maître. Mon cœur bat à toute allure, je me sens brûlante, à la limite de la syncope. Il faut que je garde le contrôle jusqu’à être en sécurité. La magie qui perle sur ma peau me parle, me murmure. Goûtant son immense pouvoir, je fais grimper le sang sur ma peau jusqu’à ce qu’il forme une robe de dentelle extrafine, puis je l’oblige à coaguler. J’émerge de l’eau, marche après marche pour calmer ma respiration. Je m’approche de la cornue.

— Veux-tu que je t’enlève ton bâillon ?

Elle opine du menton.

— Tu es prête à me rendre service en échange ?

Elle incline la tête, alors j’utilise la magie pour redonner un aspect liquide au sang, qui ruisselle vers le sol. Les autres prêtresses restent immobiles.

— Léa m’a envoyé parler au seigneur Njall. Mais elle m’a dit aussi que vous étiez la voix du seigneur Njall auprès du peuple, auprès de celui qui veut que la famille des Exilés retrouve une place légitime.

— Nous ne sommes que des vaisseaux pour la magie du seigner Njall, ne nous tuez pas s’il vous plait, nous vous servirons, supplie l’Humaine.

Utilisant la magie, je détache les ailes de la Messienne.

— Si je suis élue Impératrice, je m’arrange pour que Léa devienne l’héritière légitime du Duché. Je ne vous apprends pas qu’elle ne désire pas ce mariage avec l’Empereur. Ce qu’elle veut, c’est récupérer ce qui lui va de droit.

— Pourquoi cette générosité ? demande la Messienne.

— Léa est comme ma demi-sœur. C’est elle qui m’a permis de venir dans ce monde pour accéder au trône. Je lui dois ça et bien plus en retour. Lorsqu’elle annoncera qu’elle se retire de la course à la couronne, je vous demande de penser à moi.

— Nous parlerons de vous aux mages.

— Bon ! Et votre copain bizarre. Il paraît que Sten veut sa tête ?

— En effet, c’est un ennemi aux yeux de l’Empire.

— Soit, donc si je ramène sa tête à Varrokia, je marque des points ?

— Il ne fait aucun doute.

— Coupez-lui la tête et faites-moi un paquet à emporter.

La cornue s’agenouille près du corps et récupère le couteau. Je ne veux pas voir ça, je ne veux plus voir le sang, ni la tête de l’enfant qui flotte. Je préfère détourner les yeux et ramasser ma robe. Mes mains ne cessent pas de trembler. Pourtant, tuer je sais ce que c’est. Mais jamais encore je n’ai eu si peur. Il faut que j’occupe mes pensées J’utilise la magie dont la force s’estompe pour assécher ma robe du sang qui la souille. Je sens celle faite d’hémoglobine coagulée se fragiliser avec les minutes. Dommage, c’était classe d’avoir une robe de magicienne.

— J’espère que les partisans de Léa ne m’en voudront pas d’avoir tué leur messager. Est-ce qu’on nous laissera quitter le duché avec sa tête ?

— Sans aucun doute, répond l’Humaine. Le seigneur Njall était craint, on le croit invulnérable parce que ni l’Empereur ni son père ne l’ont jamais capturé. Si on sait que vous l’avez tué, ceux qui le vénéraient vous craindront. Ils n’oseront rien faire contre vous. Si je rejoins rapidement le village, je peux raconter comment vous l’avez tué, en utilisant sa magie contre lui.

— Bien, je ne voudrais pas affronter une révolte. Dîtes-leur bien que je suis la sœur d’adoption de Léa, que c’est elle qui m’a envoyée rencontrer le mage et… un truc du genre qu’il essayait de fomenter à la place d’elle et de sa famille.

— Oui. Je peux tourner mes mots dans ce sens.

— Bien. Léa sera contente.

L’Humaine s’éclipse. Moi, mes tripes me crient de m’enfuir de ce lieu malsain rapidement. Il faut trop de temps pour que la Cornue parvienne à trancher la tête de son ancien maître. Je suis obligée de tourner la tête vers elle pour exiger qu’elle se hâte :

— Où en es-tu ?

Elle pose le couteau soulève la tête par les bois. Je l’emballe dans la robe, puis m’incline avant de faire demi-tour :

— Et lavez cet endroit. Je ne veux plus une goutte de sang.

Tout en grimpant les escaliers, je sens ma nouvelle robe s’effriter, et les larmes monter. Je m’arrête en haut des escaliers, éreintée. Je pose mon front sur le mur et murmure à moi-même :

— Allez ! C’est fini ! Tu t’en es sortie.

Je tatonne à la recherche du mécanisme, puis pousse le mur. Je hate le pas à travers les couloirs du palais, semant le sang de Njall sur ma route, jusqu’à ma suite. Lorsque je m’y enferme, le pouvoir magique me quitte toute entière. À l’abri des regards, la robe tombe en miette. Heureusement, il y a ma première jupe et mon bustier d’armure dans mes malles.

Malgré que je sois sèche, il me semble sentir le sang des corps qui glisse sur ma peau. Il me faut un miroir pour que je réalise que ce n’est que mon imagination.

— Allez ! Putain, bouge-toi, Léna !

Rentrer… Je n’ai qu’une envie, c’est rentrer. Je n’ai qu’une envie, ce sont les bras de Sten.

Ma tenue de guerrière, enfilée, je retrouve la salle où le spectacle touche à sa fin. Finalement mon entretien avec le mage aura été rapide.

— Vous revoilà, sourit la Duchesse.

— Oui, j’ai croisé quelqu’un sur ma route.

Je brandis par la ramure la tête du mage noir et un haut le cœur fait vomir aussitôt la femme.

— Grand Dieu ! s’exclame le Duc. Est-ce votre œuvre ?

— En partie. Vous le connaissez ? Il n’avait pas l’air d’apprécier ma présence en vos murs.

— Non. Mais il ressemble aux portraits du mage Njall.

— On dirait bien que c’est lui, ajoute Malika.

— Lui-même, souris-je fièrement.

— Comment est-il entré en ces murs ? s’étonne le Duc.

— Je crois qu’il n’est jamais sorti de ces murs… jusqu’à aujourd’hui. Est-ce que vous avez une petite malle ? Je vais l’emmener à l’Empereur dès ce soir.

— Et tu l’as buté ? s’étonne Siloë.

— Il ne m’a pas trop laissé le choix. Il a déchiré ma robe, m’a coupée de là à là avec son couteau, et je vous laisse imaginer ce qu’il voulait faire de moi.

— Grand Dieu ! s’exclame à nouveau le Duc. Valet ! Une malle pour Dame Hamestia !

— Non, il faut le brandir au bout d’une pique ! lance Malika.

— Il m’avait coincé dans le fond d’un corridor. Il reste des traces.

— Je vais faire nettoyer le château. Où se trouve le corps ?

— Je l’ai balancé par les remparts, mens-je. Dans notre culture, il faut mieux séparer le corps et la tête des mages noirs pour s’assurer qu’ils restent morts. Malika, peux-tu préparer le départ. Magdeleine, ramène les danseuses.

La Messienne à genoux près la Duchesse se lève. Cette dernière retrouvabt ses esprits, lève les yeux vers moi.

— Vous ne désirez pas vous reposer ?

— J’aimerais ramener mon trophée tant qu’il est frais. Aviez-vous des sujets particuliers à aborder avec moi avant que je devienne impératrice ?

— Non, Dame Hamestia, m’assure le duc. Vous ferez une redoutable Impératrice… La danse était de très bon goût.

— Désolée de vous avoir gâché la fin d’après-midi.

— Je vous raccompagne.

Je quitte d’un pas hâtif le palais, sans lâcher la ramure de Njall, puis je lance à mes troupes réunies dans la cour :

— Nous repartons. Nous avons une tête à ramener à l’Empereur. Le mage noir Njall. Un pic pour l’y brandir !

Lorsque je brandis la ramure, tous se précipitent pour trouver une arme d’hast. Sigurd y accroche la tête avec un rire satisfait.

— L’Empereur va être plus que satisfait !

Mes courtisanes m’amènent Anaëlle. Je l’enfourche. Sigurd me donne le mat puis le câle sur la selle. Je garde le manche appuyé sur mon épaule pour que le trophée me revienne. Mon chef montagnard hurle :

— En route ! Direction Varrokia !

Nous nous dirigeons vers les faubourgs sinistres, les gens sortent au loin, et se regroupent pour nous attendre. Partisans ? Ennemis ? Vont-ils nous attaquer ?

— Serrez les rangs autour de Léna, ordonne Sigurd. Tâchons de paraître indestructible.

Je passe mon doigt dans la boucle de mon yoyo. La herse se referme derrière nous et nous avançons dans les rues désertes. Lorsque nous approchons de la pèble amassée, hommes et femmes se mettent à scander :

— Hamestia ! Hamestia ! Hamestia !

— C’est amical ? questionne Siloë.

Aucune idée. Je ne réponds pas. Ils brandisent le poing mais ne tiennent aucune arme. La foule s’écarte et nos véloces nerveux se fraient un chemin. Ma garde rapprochée m’encercle. Petite à petit nous nous éloignons des maisons sans aucun incident, et gagnons les marais.

Nous parvenons au portail où se tient l’alchimiste poilu. Sigurd lui ordonne :

— Un passage vers Cœur-Empire pour Léna Hamestia, pourfendeuse de dragons et de mages noirs.

— Une heure, articule le passeur en levant un doigt.

— Un heure ! aboie-t-il à notre attention. Pied à terre ! Léna va raconter comment elle a tué le seigneur Njall !

L’idée d’attendre une heure sans bouger ne m’enchante pas du tout. Toutefois, si je ne veux pas craquer, il faut que je me concentre sur la narration de mon histoire, que je mette mon masque d’intrépide impératrice.

Je fais avancer Anaëlle au milieu de mes modestes troupes, redresse les épaules, puis inspire à fond. Ne pas pleurer !

— Par quoi commencer ? Vous dire que je me suis égarée ? Pas vraiment. J’ai juste voulu prendre un autre chemin pour gagner ma suite, visiter un peu le château. Et il y avait cet escalier ouvert qui semblait n’attendre que moi…

Les yeux des tous pétillent. Les femmes m’admirent, les hommes me vénèrent. Peut-être par habitude, je parviens à masquer l’épouvante que j’ai vécue derrière une narration théâtrale et captivante. Pourtant, je ne cache rien de l’humiliation que j’ai failli subir. Je maintiens mes troupes en haleine, et décris ce pouvoir que j’ai ressentis, sans pour autant mentionner la dragée une seule fois.

Lorsque je finis pour histoire, j’ai le drois à des puissants « hourras pour Léna ! »

Il a fallu attendre plus d’une heure qu’un passage puisse s’ouvrir au portail. La nuit est tombée sur Varrokia lorsque nous parvenons la cité impériale. Un des Montagnards est parti en avance au galop pour annoncer ma venue.

Chaque habitation est éclairée. Chaque habitant est dans la rue sinon à sa fenêtre. On n’entend plus les ergots des véloces sur le pavé tant on siffle, tant on m’acclame ! Comment ne pas garder un sourire triomphant ? C’est au pas, victorieuse que je parcours les étroites rues de la capitale impériale, Je brandis mon trophée devant mes étendards. Est-ce une image barbare que j’envoie à mes futurs sujets, ou bien celle d’une impératrice véritable ?

Lorsque je pénètre dans la cour de la forteresse, Sten est présent en haut des marches de l’accès à son château, entouré de sa garde, comme s’il craignait l’arrivée d’une armée. Toujours pour frimer devant mes séides, je saute d’Anaëlle, empoigne l’arme d’hast, puis la place devant lui.

— J’ai croisé quelqu’un de malfaisant. J'ai cru savoir que vous seriez heureux de voir sa tête au bout d’une pique.

D’un ton froid, il répond :

— J’aurais aimé lui trancher la tête moi-même.

J’entends bien sa jalousie. Lui qui court depuis des années après Njall, je lui ai volé une gloire. Moi, simple femme, aspirante au trône qu’on voit comme une poupée, j’ai réussi là où il a échoué. Il va falloir que je tempère la conversation.

— Un grand hasard. Il se méfie moins des femmes que de vous.

— Comment l’avez-vous trouvé ?

— Mon truc, c’est de susciter les rencontres. Il se terrait dans le palais ducal, à la barbe de ses occupants. Il baignait dans le sang d’enfants lorsque je l’ai trouvé et il s’est montré très hostile.

— Et c’est vous qui l’avez tué ?

— Je l’ai émasculé et vidé de son sang. La tête je l’ai fait décapiter par ses prêtresses.

— Et vous l’avez fait vous-même ?

— J’étais seule.

Sten reste froid, ses yeux essayant de lire en moi. Il va être temps de conclure la conversation, tant il rumine cette gloire perdue. Il reconnaît malgré-lui :

— Votre regard dur ne ment pas, Léna Hamestia.

— Je ne vous cache pas que ça m’a épuisée. Je vais me reposer.

Je pousse le manche au creux de sa main, et je tourne les talons en direction de mon aile. Le couloir presque familier m’accueille avec une sensation de chaleur est de calme. Je longe le tapis noir marqué de mon blason vers mes appartements. Plus mes pas m’en rapprochent, plus je sens la tension quitter mes épaules. La fierté, la vivacité que j’ai consolidé devant tout le monde s’éboule. Lorsque je passe la porte, que je me retrouve seule. La terreur que j’ai ressentie face au mage émerge. La peur de ne pas recracher la pilule, l’angoisse d’être violée puis égorgée… Pire qu’être égorgée, être disqualifiée pour un vulgaire hymen.

Je fonds en larme.

— Ça va s’inquiète Fantou ?

Je renifle et Siloë se jette contre mon dos, m’oblige à me retourner et me berce. Elle murmure.

— Hey, poulette ! Ne pleure pas, c’est une victoire. C’est une grande victoire.

Je voulais les bras de Sten. Mais il est quelqu’un devant qui je ne peux pas encore montrer de faiblesse, quitte à l’effrayer. L’odeur des cheveux de Siloë emmêle mes larmes aux souvenirs partagés. Elle me rappelle la douceur sucrée de nos étreintes lors des chagrins puérils de nos histoires de cœurs passées. C’est la sœur qui a toujours été là pour moi.

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