60. Promotions (partie 1)

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Samedi 24 novembre 2013

Siloë a eu raison. Ça m’a fait du bien de traîner un peu avec mes gens et de ne pas rester enfermée avec mes courtisanes. J’essaie d’apaiser les rumeurs sur ce qui s’est passé dans la tour. Une chose est sûre, il ne me reste que deux rivales.

Les rumeurs sont difficiles à entendre, car on sait que la soirée avec Pauline a été d’une sensualité extraordinaire. Les courtisanes de la souris du désert racontent que les caresses ont davantage parlé que les mots. Les soldats paillards supposent qu’elle lui a fait une fellation. Et comme dans ce monde, ça n’a rien de dégradant, les courtisanes ne démentent pas ni ne confirment.

Assise à la table de bois des écuries, je partage le déjeuner de mes partisans. Siloë me dit :

— Non, mais même si elle l’a fait, ça ne change rien au vote.

— Je sais… C’est juste que de l’imaginer, ça me…

— T’es juste jalouse. Et puis tu sais qu’il ne faut pas écouter les rumeurs. C’est eux qui disent ça. Les courtisanes, elles ont juste…

— Ouais, c’est bon ! Arrêtez de parler de ça !

Jeannine glousse.

— Ah ! L’amour !

Des piaillements attirent mon regard vers la cour. Les sept déchues rouquines des Hauts-Ligneux quittent mon aile pour rejoindre celle abandonnée par Gaëlle. Il va falloir que je garde un œil sur elles pour intervenir si ça dérape.

Matthias s’approche de nous :

— Dame Hamestia. L’Empereur demande à ce que vous vous présentiez à la revue de vos armées.

— Maintenant ?

— Les effectifs qui ne sont pas de garde sont réunis.

— Et faut que je fasse quoi ?

— Inspection de leur équipement et puis un petit discours pour vous présenter.

— Le bâtard. Il a vraiment fait de moi son chef des armées. Les gens vont supposer qu’il ne me pense pas digne d’être son épouse.

— Au contraire, me corrige Malika. Il te confie son propre rôle. Qu’a-t-il confié aux autres aspirantes ? Rien. Ça veut dire qu’il veut te garder près de lui.

— Ou que j’aille mourir au combat.

— Tu ne vois que le côté noir, lâche Siloë.

— J’essaie d’imaginer ce que les gens vont penser. Qu’on aille chercher mon plastron, je veux être présentable.

Cinq de mes courtisanes partent en courant. Reste Fantou qui continue à grignoter. Lorsqu’elles reviennent, elles m’équipent, puis me suivent avec Malika et Siloë, sur les pas de Matthias. Nous accédons à la cour arrière du château. En découvrant deux cent hommes et femmes alignés, je me fige en haut des marches. Deux cent armures noires, classées par fonctions. Archers, hallebardiers, épéistes… Ils restent aussi silencieux que moi et c’est un officier qui nous réveille en hurlant :

— Soldats ! Votre nouveau chef des armées : Léna Hamestia, la pourfendeuse de dragons et tueuse de mages noirs. En son honneur, son cri de guerre !

Un « Banzaï ! » collectif me fout des frissons. Je me rappelle l’avoir crié avant de sauter de la falaise. Hurlé par deux cent personnes, cela fait moins comique qu’on ne pourrait l’imaginer. Le vieux soldat s’incline :

— Dame Hamestia, c’est un honneur, ils sont à votre écoute.

Et merde, encore de l’improvisation, toujours de l’improvisation.

— Soldats, soldates, je suis fière d’avoir été nommée par l’Empereur pour le soutenir dans la tâche de vous conduire au combat. Nous n’avons pas évoqué encore tous les détails de… de comment vous fonctionnez et tout… Juste pour vous dire que… L’Empereur m’a nommée car il voulait quelqu’un de courageux en cas d’une attaque de mages. Je pense qu’il redoute une attaque d’une ampleur qui n’aura jamais lieu. Toutefois, je suis là et… fière qu’il ait choisi une femme. En attendant, en l’absence de bataille glorieuse à mener, faites comme d’habitude.

Siloë cache son sourire derrière ses cheveux en pouffant. Le vieux soldat me dit :

— Ne vous inquiétez pas, je suis là pour vous présenter nos différents corps. Suivez-moi.

Le vieux briscard me présente chaque corps en commençant par les officiers qui la compose. Les femmes sont une unité d’élite à part appelée les Martres Enragées. Je suis heureuse qu’elles représentent les meilleurs des meilleurs. Elles sont en concurrence avec les Putois Fous, l’élite masculine de l’armée impériale. Et si les femmes ont de la tenue et de la classe, les Putois Fous portent bien leur nom car ils sont dépareillés, parfois mal coiffé ou mal rasés.

Plus les explications s’éternisent, plus les heures passent, plus je réalise que cette revue tombe à pic pour me tenir éloignée de son entrevue avec les rouquines. Le vieux cherchant à faire durer le temps, je l’interromps :

— Merci beaucoup, je crois que j’ai compris, je repasserai vous voir dans l’après-midi ou la soirée. J’ai une vessie de fille, je dois aller la vider.

— Bien.

Je file à grandes enjambées, traverse le château, rejoins la cour des aspirantes, puis fonce à travers le couloir de Gaëlle. Les deux gardes de Sten n’osent pas m’arrêter lorsque je pousse la grande porte. Il est affalé nu sur une fourrure blanche, au milieu des coussins, avec sept Ève blotties autour de lui, dans une atmosphère puant la sueur froide. Je crie malgré moi.

— J’hallucine !

Les filles cherchent à partir mais les bras de Sten retiennent deux d’entre elles, dont Tatiana qui se cache derrière ses cheveux. Elle garde sa cuisse enroulée sur la jambe de mon homme. J’ai envie d’hurler mille insultes à Sten, mais rien de sort tellement j’ai peur de ce que ça pourrait déclencher. Me voyant muette et figée de colère, il chantonne :

— Merci pour ce cadeau, Léna. Je n’aime pas laisser les rumeurs infondées.

Mes doigts se crispent. Je lutte pour ne pas lui cracher ma douleur en plein visage. L’insulter pourrait lui donner envie de me disqualifier, je ne peux pas. Je le hais, et en même temps je le désire. Je ne pouvais que me douter que ça se passerait ainsi. Je redresse les épaules et la mâchoire serrée, je lui dis :

— Sept sur onze, ce n’est pas mal, non ?

— En effet.

— Je pense qu’elles peuvent y aller maintenant.

Les filles déjà rhabillées s’enfuient. Les mains de Sten libèrent Tatiana et Vania qui filent vers les robes les plus proches. Lorsqu’elles passent à côté de moi, je lâche :

— J’espère que ça vous a plu.

Elles ne disent pas un mot. Sten reste affalé, l’air insolent, et je ne peux m’empêcher de regarder son sexe fatigué, de remarquer quelques traces de sang sur la fourrure blanche qui tapissent le sol. Ne sachant quoi lui dire, je fais celle que rien n’atteint :

— J’ai passé en revue ton armée.

— Bien.

— Ça manque de filles.

— Il n’y en a guère aux recrutements, mais tu pourras changer ça.

— C’est ça, je ferai appel à toi pour la sélection.

Il se lève, puis marche jusqu’à la vasque d’eau. Il est sculpté à la perfection, je ne peux lui retirer ça. Chaque pas contracte sa cuisse, son mollet, sans un bruit et lui donne l’allure d’un lion. Je suis en colère et pourtant incapable de lui reprocher. Il trempe son visage dans l’eau, puis passe ses mains sur son visage. J’ai envie de lui demander s’il les a baisées pour se venger d’hier, mais je suis certaine que ce n’est pas le cas. Les rouquines avaient fantasmé cet instant, elles en rêvaient et auraient tout fait pour l’avoir. Lui n’est qu’un homme, célibataire jusqu’à présent, pas même fiancé. Je lui fais remarquer :

— Ça risque de te manquer.

— Diriger les armées ?

— Non, baiser qui tu veux.

Il s’avance vers moi pour me confier très sérieux :

— C’est amusant, c’est agréable. Mais ça n’a rien de comparable.

— Comparable à quoi ?

Il prend sa voix la plus assurée et la plus suave :

— Quand toi ou Pauline vous fermez les yeux, et que vous vous cambrez, j’ai l’impression de détenir un pouvoir divin. On veut recommencer, on veut vous émerveiller et renouveler en se demandant si on y parviendra à nouveau. Elles, je me fiche de l’intensité avec laquelle elles ont vécu ce moment.

Dois-je être flattée malgré qu’il me place sur un pied d’égalité avec Pauline ?

— Tu n’as pas cité Kalia.

— Non.

— Alors si tu ne ressens pas ça pour elle, vire-la.

— Tu trouves que tu as toujours trop de rivale ? Je n’ai pas eu l’occasion d’expérimenter avec Kalia. Elle ne vient pas de votre monde avec vos us de séduction décomplexée. De plus, je sais être beaucoup plus patient que tu ne l’imagines.

Les larmes me montent aux yeux. Je me hais, moi qui ai promis à ces rouquines une entrevue en sachant pertinnement de quoi elles rêvaient ! Je me hais ! Lui, je le veux ! C’est épuisant d’aimer un être aussi indomptable.

— Putain ! Mais tu me rends folle ! Tu… Est-ce que tu réalises à quel point… enfin ce que ça fait de te voir avec d’autre filles comme…

— C’est toi qui les as envoyées. Tu as gagné leur loyauté, c’est ce que tu voulais ?

— Et ta gratitude ?

Il esquisse un sourire, caresse mon visage. C’est agréable, mais comme j’imagine qu’il a eu ce geste avec chacune de ses conquêtes, je chasse sa main. Il conclut :

— Nous nous revoyons demain, au dîner.

Je comprends que je dois partir. Je lui tourne les talons, mais ne ferme pas la porte. Il m’énerve, il m’épuise, il me charme…

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