61. Promotions (partie 2)

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Dimanche 25 novembre 2013

À Varrokia aussi, nous sommes dimanche. Ecoutant les conseils du duc des Eternels-Brûlants, j’ai commencé à répéter mon spectacle de danse. Magdeleine n’est pas fille de noble pour rien. Elle a eu beaucoup de cours de danse, nous explique les gestes avec une grâce qu’on croirait innée. Les autres danseuses ont tant répété que les modifications pour m’inclure dans les spectacles les piègent un peu. Leur technique est bonne, mais elles doivent réapprendre.

Etant donné que nous ne pouvons nous permettre que je finisse nue devant les invités, je portrai un string en cas de malheur et des caches-mamelons que Siloë ira récupérer sur Terre, moins tenaces que le scotch de chantier.

Malika est sur les nerfs. Tandis que derrière un paravent, je me laisse vêtir par mes servantes, depuis l’autre côté, elle m’explique qui seront les invités vedettes dans deux jours.

— L’Empereur des Sables est un… comment tu dis, Siloë ?

— Queutard ?

— Comme tous les Empereurs, non ? grimacé-je.

— Possible. Il a je ne sais pas combien de femmes.

— Bref, faut que je le séduise aussi ?

— Non. Lui, il faut garder une distance. Si jamais tu lui plais et que tu lui résistes, il va détester ça. Il donnera ses voix à Pauline pour te faire échouer et espérer te proposer un mariage de consolation.

— Quelle générosité !

— Pauline ne fera pas d’erreur car les gens des Eternels-Brûlants connaissent bien le personnage et l’auront informée.

— Mais faut pas qu’il me déteste ? Si je le chambre, c’est genre un macho qui se vexera ?

— Tu as deviné. Il faudra être courtoise, faire jouer ta réputation de guerrière pour attiser son intérêt, mais faudra détourner son affût de séducteur. Je vais mettre une tenue pour que ses regards se portent davantage sur moi. Et du coup, il voudra me revoir et votera pour toi.

Siloë hausse les sourcils.

— C’est un peu capillotracté, mais ça se tient.

— C’est un peu quoi ? répète Malika.

— C’est une expression de chez nous, dis-je. On te laisse gérer le macho et je garde ma distance.

— Parfait. Il y aura ensuite le seigneur Fu de l’Empire Précieux… sa femme et leur fille.

— Je sens que ça a son importance, sourit Siloë.

— Tout à fait. Il faut savoir parler à l’Empereur, tout en sachant que c’est l’Impératrice qui dirige dans l’ombre. Elle voulait marier sa fille au Seigneur Varrok, elle est donc très irritable.

— Sten Varrok ne voulait pas d’alliance avec un Empire voisin, dis-je. Bon, d’accord, je marcherai sur des œufs.

— Pourquoi ? Ça colle.

— Encore une expression, indique Siloë.

Je sors de derrière le paravent. Thomas m’a créé une robe longue composée de dentelle dorée sur laquelle vient reposer des toute petites pièces d’armures noires, comme des écailles. Les écailles de métal partent de ma poitrine, me couvrent jusqu’aux hanches, mais une ouverture en forme d’œuf dévoile mon ventre, assez bas. Elles se font plus espacés sur le bas de ma robe pour laisser deviner les jambes. Le haut des épaules reste nu et ma poitrine est soutenue. Des longs gants de dentelle dorée recouvrent mes bras et les écailles couvrent le dos de mes mains jusqu’aux coudes. Un collier ras-de-cou vient faire un rappel avec mon lipstick noir. Le diadème doré a retrouvé mon front et Zélia s’est appliqué à me faire une coiffure de princesse qui est maintenue en chignon pour dégager mes oreilles, mais retombe dans le bas de mon dos. Fantou a maquillé mes yeux de noir. Malika me confie :

— Encore une robe inattendue.

— Un peu dure si nous dansons.

— Moi je kiffe, indique Siloë. Personne ne va s’attendre à ça, tu vas forcément faire sensation. Les écailles de métal, ça rappelle le dragon.

— On voit encore les griffures sur mon ventre, et mes nichons, ce n’est pas un bon rappel ?

Siloë me prend les mains :

— Ne sois pas tendue comme ça. C’est juste un dîner avec des nobles. Ignore Sten, attire tous les regards à toi comme si tu étais déjà élue, laisse-le te désirer et regretter de te mettre en colère.

— Mouais. Je pense qu’ils ont assez attendu. Allons-y.

Mes courtisanes ouvrent la marche, vêtues de toges dorées et de mon emblème en broche sur l’épaule. Elles sont élégantes, les cheveux maintenus par deux nattes de chaque côté, exception faite de Fantou et Marianne. Ma robe cliquète à chacun de mes pas.

Mes gardes féminines s’arrêtent à l’entrée du château. Nous poursuivons jusqu’à la grande salle de cérémonie. Au bout, je vois Pauline vêtue de blanc presque transparent. Le haut n’est qu’un triangle de tissu qui repose sur ses seins libres. Un vicieux pas trop grand pourrait les admirer par-dessous. Des bijoux dorés ornent son cou, ses oreilles et ses cheveux noir. Son nombril arbore un piercing hypnotique. Son éternel saroual est fendu de chaque côté, et lorsqu’elle bouge, il s’ouvre pour laisser apparaître ses jambes.

Kalia est là aussi. Pour se plier à la mode des aspirantes, elle s’affiche ventre nu. Un corset de tissu rouge et de boucles noires soutien sa poitrine, et ses hanches juvéniles ne sont couvertes que d’une jupe très courte en biseau. La partie la plus longue ne lui arrive pas au genou. Deux centimètres de moins pour la partie haute et on verrait ses fesses. Son mollet arbore un entrelacement de bois noir semblable à ses celui de ses bracelets. Des roses de tissu rouge rampent dans ses cheveux, tenus par des tiges et des feuilles noires. Elle a fait dans la sobriété, et c’est très mignon. Sten lui glisse un mot à l’oreille, elle sourit et se blottit contre lui. La fureur m’envahit lorsqu’il pose sa main sur ses hanches.

Le chambellan s’exclame :

— Dame Léna Hamestia, pourfendeuse de dragons, tueuse de mages noirs, et chef des armées de Varrokia !

Ça commence à faire un sacré titre. Je m’avance devant mes servantes et traverse la foule d’un pas léger. Je cliquète, je me sens trop habillée par rapport à me deux rivales. J’ai l’impression d’être un pachyderme en armure. En plus je n’arrive pas à sourire tellement cette main de Sten sur la peau de Kalia me dérange. J’ai envie de le surnommer poussin devant tout le monde, et d’octroyer une caresse sur la tête de Kalia pour la rabaisser. Malheureusement, je ne peux pas faire ça. J’entends une rumeur dans mon dos juste avant d’arriver à Sten :

— Vraiment majestueuse.

Ce murmure me flatte et me permet de sourire.

— Désolée du retard, cette robe est un peu compliquée à mettre… en plus de me faire sentir ridicule devant vous deux.

— Tu es très belle, m’assure Pauline.

— Merci.

Elle me fait la bise, avec son allant de gentillesse habituel, alors je me sens obligé de faire de même à Kalia. Elle exécute, bien que la bise ne soit pas pratiquée dans ce monde. Lorsque c’est fait, je pose ma bouche délicatement sur celle de Sten.

— Bonsoir, mon amour.

Il serre les dents mais ne parvient pas à cacher son sourire. Kalia lui dit :

— Je vais voir la baronne d’Hel, je vous abandonne quelques secondes.

Elle l’embrasse sur la bouche, me tue du regard, puis s’éloigne quelques secondes. C’est de bonne guerre.

— Alors ? Ma robe ?

— Originale, répond Sten.

— Originale et ?

— Présentable.

— Ben Putain, heureusement que y a Pauline pour me faire des compliments.

Mes courtisanes pouffent de rire et Pauline cache sa bouche. Je passe mon bras au creux du coude de ma rivale et lui demande :

— Alors ? Comment ça se passe ?

— Pas mal.

On nous amène les verres de vin. Sten est pris à parti par la baronne qui revient avec Kalia.

— Seigneur Varrok ! Vous êtes en grande forme ce soir ! Et vous voir tenir Damoiselle des Hauts-Ligneux contre vous m’a toute émue…

Je bois une gorgée et murmure à Pauline.

— Oui, mais elle, il ne l’a pas encore fait jouir.

Pauline laisse échapper un éclat de rire qui fait se retourner Sten. Elle rit, confuse et dit :

— Désolée, c’est…

— C’est mon gant qui l’a chatouillée, inventé-je.

— Il t’a raconté ? chuchote Pauline génée.

— Pas en détail. C’est votre jardin secret. — Un groupe s’avance vers nous. — Vous permettez, nous discutons. Nous sommes à vous bientôt.

Pauline jette un œil vers Sten.

— C’est vrai, ce qu’on dit ? demandé-je.

Pauline cachant sa bouche et mon oreille d’une main, me confie :

— Tes courtisanes ont tout raconté aux miennes sur comment tu as géré, les bougies, la musique et comment tu as couiné de plaisir. Alors je n’allais pas faire moins bien. — Elle prend une voix provocatrice. — Et j’ai avalé.

Elle retire sa main, nos yeux se dévisagent. Pour la première fois j’y lis la compétition, le défi qu’elle me lance de faire mieux qu’elle. Je me colle contre elle et murmure :

— Ça ne changera pas le vote.

— Chef des armées, c’est un titre d’homme, ça ne fait pas très impératrice.

— Genre tu crois qu’il n’y a que ça ? Si tu savais ce que j’ai comme voix d’avance.

— On peut en discuter…

Sten se tourne vers nous :

— Avez-vous fini de comploter ?

— Oui, répond Pauline. Nous avons terminé.

Elle se dresse sur la pointe des pieds, l’embrasse sur la bouche, puis s’éloigne. Sten me brise d’un regard provocateur qui souligne que la concurrence est rude. Je grimace puis vais vers les braves gens qui voulaient me parler.

Avec plaisir, je vois Magdeleine qui a quitté ses danseuses pour se joindre à nous dans une jolie robe. Sa sœur Mathilde, nouvellement baronne des Falaises Rouges arbore mon emblème en collier, au milieu d’une rivière de diamant. Cela ne va pas vraiment ensemble, mais c’est le soutien qui compte.

— Bonsoir Dame Hamestia. Je sus très heureuse de vous revoir, et encore plus de revoir mes sœurs.

Marianne lui offre un grand sourire.

— Je suis contente de vous revoir aussi, Mathilde. Les nouvelles fonctions de la baronnie ne sont pas trop dures ?

— Non. J’y étais destinée, et préparée.

— Je vous remercie de votre soutien, en tout cas. Ce collier me flatte. Passez la soirée ensemble. Marianne, reste avec tes sœurs, profitez de ces retrouvailles, ce sera moins ennuyant que de me suivre pendant que je discute.

Je rejoins Thomas et Cendre qui discutent avec la mère de cette dernière.

— Comtesse ! Quel plaisir de vous revoir.

— Et moi donc, Dame Hamestia. Je suis bien ravie que vous ayez ravi la majorité des voix du Duché Cœur-Empire, toutefois surprise de voir que vous n’êtes plus que trois ce soir.

— Et bien, le Duché Noir a finalement changé d’avis et fait déchoir leur prétendante. Et il semblerait que Gaëlle Chaudes-Ecumes ait été intimidée par ma glorieuse chasse au dragon.

— Quel récit palpitant ! Quand il est parvenu à mes oreilles pour la première fois, ça a été par la bouche d’une bardesse exceptionnelle. Elle a su me refaire vivre la tension fébrile de ces spectateurs sur la falaise, j’ai frissonné pour votre vie. Vous êtes d’une hardiesse insoupçonnable, vous avez beaucoup de qualités.

— Merci. Je ne sais plus quoi répondre. — Les deux courtisanes de Cendre reviennent avec des amuse-bouche. — Je vais vous laisser avec votre fille. Profitez bien de cette première soirée.

Je me dirige vers deux invités qui trépignent à trois pas de nous : le Duc et la Duchesse de Kitanesbourg, vêtus de noir et arborant mon blason en doré sur leur tenue. Une chose est certaine : ni Kalia ni Pauline n’ont obtenu leur allégeance. J’écarte grand les bras en approchant d’eux :

— Ma Duchesse et mon Duc préférés !

— Dame Hamestia, pourfendeuse de dragons et de mages noirs ! s’exclame le Duc. Et aujourd’hui chef des armées.

— Oui. Le Seigneur Varrok a voulu s’assurer que même si je n’étais élue, je reste auprès de lui. — Je reconnais le vidame de Perle-sur-Filou. — Oh ! Comment allez-vous ? !

Nous parlons de ma promotion, jusqu’à ce que le Duc et la Duchesse de Fort-Littoral nous rejoignent. On reparle du dragon, puis évidemment, le vidâme les titille sur le retrait de Gaëlle. Le duc caresse sa barbe en durcissant son visage.

— Ce n’est pas le comportement qu’on attend d’une guerrière. Même si Léna Hamestia a su tuer un dragon, nos voix portaient toujours vers Gaëlle Chaudes-Ecumes. C’est une fille du pays, et nous n’aurions en rien renié ses origines. Une guerrière ne se retire pas en plein combat, elle vainc ou elle échoue, mais elle va jusqu’au bout.

— Et du coup, où vont vos votes ?

— Ha ha ! Moi, je sais pour qui je vôterai, mais je ne veux influencer aucune âme de mon Duché !

Son regard amical croise le mien et me laisse entendre que je suis son choix. Une seconde après, Kalia s’avance vers nous. Le duc lui fait un baise-main.

— Dame du Creux-Suspendu. Vous êtes d’une beauté simple et légère, ce soir.

Dame ? Elle a treize ans et il l’appelle Dame ? Il semble complètement envoûté. Sa femme me fait signe de la main qu’elle n’est pas sous le charme. La voix d’Adleheid me fait sursauter :

— Maman !

Sigurd fait son entrée tardive, sa femme à son bras. Je profite de leur arrivée pour fausser compagnie à la gamine charmeuse. La femme étreint d’abord sa fille, avant de me saluer :

— Léna Hamestia. Votre robe est à la hauteur de vos exploits.

— Merci. Je me sens pourtant très humble face à vous car je m’en veux tellement de vous avoir séparée de votre époux et d’Adelheid.

— Je les sais en bonne compagnie et j’approuve la cause. J’espère bien récupérer mon époux d’ici quelques jours.

— Ce sera le cas. J’ai bien assez d’hommes et de femmes dévoués à ma protection. Et puis nous passerons à votre village, histoire qu’Adelheid revoit ses amis.

— Oui, qu’elle frime de sa belle chevelure rouge.

— Désolée d’avoir gaché son blond naturel.

— Arrêtez d’être désolée. Si vous n’êtes pas Impératrice, vous êtes chef des armées. L’avenir d’Adelheid sera dans tous les cas bien plus riche que celui auquel elle aurait pu rêver au village.

Elle garde ma servante blottie contre elle.

— Voilà l’intrépide guerrière qui a tué notre dragon ! Avec la Bridée !

Je me tourne vers le chef du village d’Ig-le-Grand. Chihiro se tient en retrait. Contrairement aux autres servantes, elle préfère ne pas retourner auprès du personnage qui l’avait adoptée. Je lui octroie un bonjour sympathique et cordial. Je ne peux lui reprocher d’être à l’origine de ma réputation. En plus d’avoir fait raconter par tous les bardes comment j’ai tué le dragon, il m’a offert Chihiro et confié Thomas dont le talent n’est plus à prouver. Après quelques échanges, le chambellan hurle :

— L’Empereur va faire une déclaration !

Chacun se tait. Kalia et Pauline se rapprochent de Sten, alors je m’empresse de faire de même. Et tandis que ses serviteurs amènent viandes et fromages qui vont remplir les panses, Sten explique :

— Chers ducs, duchesses, comtes, comtesses, barons, baronnes et vidâmes de Varrokia, je suis très heureux de vous réunir tous ici. La soirée a déjà débuté, nombreuses rumeurs vous sont déjà parvenues, et je tenais à les confirmer ou les infirmer. La première, vous avez pu le constater est la présence de seulement trois aspirantes impératrices. Gaëlle Chaudes-Ecumes nous a quittés précipitamment et la dauphine n’a pas tenu à la remplacer. Quant à Léa Varrok, elle n’était en lice que sous la contrainte du seigneur Njall.

Je remarque une chose agréable et une irritable. La première, il a appelé Léa par son véritable nom de famille. La seconde, il caresse distraitement la nuque de Kalia tout en parlant. Il poursuit :

— Léna Hamestia ayant occis cet ignoble personnage, j’ai décidé de rétablir une certaine justice. Ainsi, j’ai redonné le droit au duc et la Duchesse Varrok du Duché Noir de revenir sur leurs terres et de redonner le nom glorieux des Varrok. Nous avons donc pour quelques jours deux ducs et deux duchesses et je receverai demain les anciens Exilés pour définir le terme de la gestion future du Duché Noir. Le Duché n’ayant élu aucune dauphine, aucune aspirante impératrice ne peut remplacer Léa Varrok. — Les gens approuvent la générosité de l’Empereur. — Cette rencontre m’a obligé à repousser la venue de représentants de l’empire des Sables et de l’Empire Précieux. Les empereurs respectifs seront présents après-demain soir pour l’élection, mais aucune rencontre privée ne sera organisée entre eux et les aspirantes.

Des rumeurs s’élèvent. Sten pose un regard sur moi.

— Pour conclure avec les nouvelles importantes, afin de me seconder, et pour récompenser sa vaillance, assurer la sécurité du territoire, j’ai nommé Léna Hamestia chef des armées de Varrokia.

Un ban d’applaudissement fait vibrer les murs de la salle avec tant de force que Sten ne peut placer un mot et conclut son discours par un geste du bras. Enfin sa main baladeuse se détache de la nuque frêle de Kalia. Cette dernière ne retournant pas vers ses parents, j’en profite.

Tatiana se tient près d’eux, vêtue d’une robe noire avec mon emblème. L’ambiance entre les barons, comtes rouquins ne semble pas être des meilleures. Je vois à certaines têtes qu’on ne veut pas me parler. Je m’en tiens donc à quelques mots polis avec les parents de Vania et de Tatiana.

Après un bref échange, je rejoins Pauline qui discute en me dévisageant avec l’aînée des déchues. Elle arbore clairement les couleurs de Kalia, mais me salue lorsque j’approche :

— Bonsoir Léna Hamestia.

— Bonsoir Félicia du Creux-Suspendu.

— Te présentes-tu toujours pour être Impératrice, maintenant que tu es chef des armées ?

Je note le tutoiement agressif.

— Pourquoi, ça ne colle pas Impératrice et chef des armées ?

— C’est un poste de stratège. Ça colle bien à une fille qui prostitue les filles des Hauts-Ligneux pour obtenir leur soutien.

— Je me demandais bien ce que vous pouviez vous raconter. Je peine à croire que tes cousines qui m’ont suivi ont inventé ça. Et encore moins venant de Pauline. C’est Kalia qui le raconte ?

— Tout le monde les a vues rejoindre l’aile de Gaëlle Chaudes-Ecumes. Je ne comprends pas le principe ? Cest de l’amour de faire aller l’homme qu’on désire avec d’autres filles ? Est-ce pour le remercer de t’avoir nommée générale, ce serait vraiment vénale. Je pense que tu veux le trône, mais que tu ne l’aimes pas. Les gens voteront pour quelqu’un qui les fait rêver de conte de fée, pas une arriviste prête à tout.

Pauline semble mal à l’aise devant l’agressivité, c’est une fille trop gentille. Elle est sans doute à l’origine des suspicions de Félicia. Je réplique avec fermeté :

— Heureusement Pauline sait qui je suis. Je suis folle amoureuse de Sten et je ne supporte pas le fait qu’il ait couché avec tes cousines. As-tu écouté une seule fois quand je vous ai parlé devant votre tribunal ? Je ne supporte pas ce qui s’est passé, pas plus que je ne supporte quand il câline Kalia ou qu’il regarde Pauline comme si elle était la seule qui existait. Je l’aime, d’accord ? J’avais juste arrangé une entrevue de consolation en échange de leur soutien. Tu te souviens ? C’était le deal en échange de votre soutien. Ce n’est pas ma faute si tes cousines se sont conduites comme des traînées. Mais peut-être que tu regrettes de ne pas avoir accepté ? Parce que la rumeur d’avoir fait une orgie, tu l’as colportée, toi aussi tu aurais aimé que ce soit vrai. Ça te fout les boules parce que non seulement j’ai tenu ma promesse, mais qu’en plus t’as raté l’occasion qu’ont eu tes cousines de se faire ramoner la chatte par un Empereur.

Pauline pouffe de rire et Félicia préfère partir sans rien répliquer. Ma rivale profite que nous ne soyions que tous les deux pour me confier :

— Je m’en doutais. Je savais que tu n’étais pas comme ça.

— Moi aussi, j’ai grandi avec Walt Disney. Et puis si elle croit que je suis contente d’être à la tête d’une armée. Tu trouves que ça me dessert ?

— Je pense. J’entends ce que les gens disent. Ils pensent que l’empereur te voit davantage en chef des armées qu’en impératrice. Il y a quelques jours, j’étais persuadée que tu serais la gagnante. Au début, je m’en foutais un peu de perdre, c’était une sorte de concours entre nous deux. Et puis je crois que, comme toi, je suis tombé amoureuse. Sten est si irrésistible. Mais quand j’ai appris la tournure de ton dîner avec lui… J’ai flippé ma race. On ne peut pas empêcher nos courtisanes d’être fières et de colporter les hauts-faits. Je savais tout de comment ça s’était déroulé. Tu sais c’est quoi le pire ? C’est quand il a vu les bougies, il m’a parlé de toi. J’ai cru qu’il était amoureux, qu’il allait tout annuler. Et puis j’ai rallumé la flamme pour moi.

— En t’occupant de sa grosse bougie ?

Pauline ne relève pas ma blague. Kalia marche d’un pas décidé dans notre direction, suivie de ses servantes.

— Puis-je m’inviter dans vos discussions ? Elles semblent captivantes.

— Des discussions d’aspirantes, dis-je. Je disais que j’aimais Sten, Pauline disait qu’elle l’aimait aussi. Et toi ?

— Je l’aime de toute mon âme.

— Nous sommes toutes dans la même galère, soupire Pauline.

Le terme me choque. Je la reprends :

— Quelle galère ? Nous sommes dans trois galères ennemies qui se lancent des harpons en faisant la course pour arriver les premières sur l’île au trésor. T’es gentille avec tout le monde, Pauline, t’es adorable, mais ne te voile pas la face, nous avons toutes les deux envie de trouver le trésor avant toi.

— Belle métaphore, murmure Kalia.

Les yeux de Pauline croisent les miens puis se baissent. Nous restons toutes les trois sans avoir rien à nous dire, alors que la même question nous taraude : que deviendra-t-on une fois l’une de nos rivale élue. Nous sommes amoureuses, et c’est en ça que ça nous rassemble. Mais il n’y a nulle cohésion possible dans cette histoire, c’est chacune pour sa pomme. Désireuse d’attendrir l’atmosphère je questionne :

— Alors Kalia. Comment pronostiques-tu cette élection ?

— Je l’ignore.

— Pauline pense que je suis finie parce que je suis chef des armées. Moi je pense que j’ai le soutien complet d’au moins deux Duchés.

— Et bien de mon point de vue, je garde le soutien de mon Duché et mes anciennes rivales passent pour des catins. Le Duché des Eternels-Brûlants n’a d’yeux que pour Pauline.

— Sur ça tu rejoins Pauline. Et je crois que je vous rejoins aussi. Il reste donc trois duchés qui sont susceptibles de pencher pour moi.

— Le Duché Noir est divisé. Il y a ceux qui sont arrivés avec l’Empire qui ne voient pas d’un bon œil tes talents de magie noire. Même si tu as terrassé le seigneur Njall, ils ont peur et préfèreront une Impératrice moins effrayante. L’autre moitié soutenait Léa l’Exilée. Une partie te soutien, l’autre n’apprécie pas que tu aies eclipsée Léa et considère que tu n’as aucun lien de sang qui légitime que tu les réprésentes. Donc, il n’y a qu’un quart du Duché Noir qui te soutient. Le Duché Fort-Littoral est partagé aussi. Certes tu es une guerrière, mais aussi une sorcière. En plus, Gaëlle Chaudes-Écumes a abandonné après avoir été vue quittant ton aile, donc on peut supposer que tu l’as fait chanter. Pour ma part, j’ai fait très bonne impression, car mes coutumes et celles de Fort-Littoral sont proches. Il reste le Duché Cœur-Empire qui n’est composé que de nobles versatiles qui écoutent le dernier qui a parlé et, tu es la première à les avoir rencontrés.

Je serre les dents, Pauline sourit. Au final nous n’écoutons chacune que les ressentiments subjectifs de nos partisans. De plus, nous n’avons rencontré que les nobles des Duchés, pas les sujets, et il est difficile de nous faire une idée réelle de ce que le peuple pense de nous. Je questionne :

— Et Pauline, sur ces trois duchés ?

— On me compare souvent à elle. Il est difficile de savoir qui de moi ou d’elle, les gens préfèrent.

— Putain, j’en ai marre, soupiré-je.

— De ? demande Pauline.

— De tout. De ces soirées à qui aura le plus beau nombril et flattera le plus de connards endimanchés. Marre d’être là, à se comparer les nichons en se demande qu’est-ce qu’on a de plus que l’autre. Vivement que ça se termine. Je t’écoute Kalia, mais je suis certaine que si on demande à nos courtisanes qui sera élue, chacune citera le nom de sa maîtresse. Le seul qui en profite, c’est Sten. On tourne autour de lui, là, comme des mouches autour d’une ampoule. Et vous vous dites à chaque minute depuis que nous nous parlons, et si c’est elle qui est élue, qu’est-ce que je fais ? Toi Kalia, je n’en sais rien ? Moi, Pauline, nous nous sommes demandées si on restait dans ce monde.

— Toi, ta place est déjà trouvée, me dit Pauline.

— Où ? A la tête d’une armée ? À croiser tous les jours Sten à votre bras ? En admettant qu’il vous soit fidèle et qu’il ne me culbute pas en secret ? Et sinon en partance pour aller me battre sur les frontières de son Empire contre je ne sais quel ennemi ? D’accord, je ne rêve peut-être pas à la vie de princesse comme la vôtre, mais pas à ça. Tu feras quoi si je gagne ou que Kalia gagne ?

Pauline hausse les épaules. Je regarde Kalia qui secoue la tête. Aucune n’a réfléchi, car aucune ne veut penser à cette éventualité. Je ferme les yeux pour rejeter mon agacement. Le silence froid baigne la grande salle pourtant noyée de gens en habits colorés, arobrant parfois des grandes ailes soyeuses, ou des ramures majestueuses. La vérité plausible qu’a exposée Kalia me perce le cœur. Que se passera-t-il si l’une d’elles gagne ? J’irai me réfugier dans le Duché Noir, on restera entre meilleures copines, dans le nouveau palais de Chell. Ça pourra être sympa. Je conclus en apercevant des chefs de village que je n’ai pas salués :

— J’ai cru avoir une relation exclusive avec Sten, et quand je vous vois avec lui, quand je vous écoute, je me rends compte que ce n’est pas le cas. Je t’aime bien Pauline. Kalia, je ne te connais pas, mais je t’aime bien aussi. Je te trouve un peu jeune pour lui, mais ce n’est pas moi qui choisis. Bonne chance à toutes les deux, et que la plus populaire gagne.

La soirée se poursuit comme les autres. On me félicite pour mon poste, on ne me parle que de dragons. Nombreux gens semblent avoir oublié que je suis une future impératrice. Ils ne voient en moi que le nouveau chef des armées. On ne me glisse pas une seule allusion sur ma destinée sur le trône, personne n’évoque l’espoir qu’il a de me voir Reine.

Cette élection pue de plus en plus.

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