62. Miss Varrokia

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Lundi 26 novembre 2013

Nous avons eu enfin le droit de répéter dans la grande salle de représentation. Il fait chaud. Je me suis mis en shorty et soutien-gorge. Les danseuses portent leurs habituel body d’exercice, beaucoup moins juste-au-corps que ceux que nous trouvons sur Terre. J’avance de côté vers Magdeleine alors que les éventails des danseuses s’ouvrent au fur et à mesure. Je parviens au bout, et mon profil lui est dévoilé, mon soutien-gorge seul masqué par l’éventail que tient la danseuse à genoux. J’envois un baiser sur le bout de mes doigts, et je recule derrière la forêt dense des éventails qui se referment. Je disparais, les filles se recouvrent de leurs propres éventails en prenant la pose finale.

Magdeleine s’exclame :

— Parfait ! C’était très bien. Vous êtes déjà beaucoup plus en fluidité, Dame Léna.

— Merci. Que dois-je corriger ?

— Votre regard. Le corps exprime la sensualité, le visage exprime l’âme. Comme vous le disiez, il faut que l’Empereur ait l’impression que vous voulez le manger, que vous ne dansez que pour lui.

— J’ai du mal à te regarder comme si tu étais l’Empereur.

Elle étire ses ailes et me répond :

— Je pense que ça ira. Vous êtes une bonne danseuse, vous savez sentir le rythme. Je suggère, tant que nous avons le théâtre de répéter grandeur nature. Vous le voulez-bien ?

J’opine du menton. Je dégrafe mon soutien-gorge et les danseuses détournent les yeux par respect exacerbé. Elles se dévêtissent de dos, comme par pudeur. Hors je sais que ce n’est que vis à vis de moi. Leur beauté ne doit pas surpasser la mienne. Même Magedeleine évite de me regarder lorsque je baisse mon tanga.

Je me place derrière les danseuses. Nombreuses sont jeunes et ont le physique d’être passées devant les scribes. J’espère qu’aucune d’elles n’est une déchue qui serait tentée de se venger deurant la représentation. Je fais signe à mes courtisanes qui me regardent avec le sourire depuis leurs fauteuils de spectatrices, et j’annonce que je suis prête.

— Je suis prête.

— Reprenons au début.

Je me cache derrière la fourrure noire qui sert de décor. Les danseuses prennent les mêmes rubans qu’elles avaient lors de leur représentation au Duché des Eternels-Brûlants. Les musiciens qui nous tournent le dos entament l’éternel morceau.

Je ne peux voir le jeu de rubans qui masque la nudité des danseuses. J’étouffe sous le pelage, jusqu’à ce que les éventails remplacent les rubans. Puis, deux d’entre-elles empoignent la fourrure. Je me redresse progressivement les bras en travers de la poitrine, puis je lève les yeux vers Magdeleine, sensée représenter Sten. Je remarque Siloë, assise avec mes courtisanes. Elle est plus facile à enflammer du regard, je la connais, il y a une complicité entre nous.

La main d’une danseuse touche malencontreusement ma poitrine. Elle arrête brutalement sa danse :

— Je suis désolée !

— Cessez ! s’exclame Magdeleine.

Les musiciens s’arrêtent de jouer.

— Je suis désolée, j’ai touché votre… votre peau.

— Hey, mais ce n’est pas grave. Je ne suis pas en or, m’agacé-je. Je suis une fille, comme toi. — Je prends son poignet et colle le dos de sa main sur mon sein. — C’est bon ?

— Oui. Désolée.

— Tu peux me toucher cent fois, mais en aucun cas t’arrêter ! Surtout devant l’Empereur !

— Oui, Dame Hamestia.

— Bien, on recommence au moment où j’apparais ?

— Oui ! Oui ! s’exclame Magdeleine stressée. Deuxième mouvement !

Les danseuses reviennent en position. Les musiciens reprennent la musique où nous en étions. La fourrure tombe à nouveau progressivement. Nous nous remettons dans l’ambiance. Les éventails jouent avec ma pudeur. Au fur et à mesure que je retire mes bras, mes mains forment une coupe devant mon pubis, juste avant qu’ils ne se retirent furtivement. Maintenant que ma nudité est acquise dans l’esprit de mes spectateurs, je relève les bras et les danseuses passent devant moi, tournoient soit avec leurs rubans soit avec les éventails, me masquant à chaque fois qu’un geste me dévoile.

Trois minutes plus tard j’avance de profil au fur et à mesure que les éventails s’ouvrent, en fixant Siloë du regard et en gardant un sourire en coin. Je lui envoie un baiser du bout des doigts, puis me recule derrière un nuage d’éventails.

La musique s’arrête quelques secondes après et ma meilleure amie plaisante :

— Ouf ! J’ai chaud ! C’est hot !

Les danseuses n’osent pas bouger. Cachée par la forêt d’éventail, je lui réplique :

— Tu m’as ramené mon string autocollant ?

— Pas encore. La commande n’est pas arrivée. Il y a ton futur mari qui te demande.

Je ramasse mon tanga, puis tout en agrafant mon soutien-gorge, je lui confie :

— Et je commence à me demander si c’est une bonne idée de danser à poil.

— Si tes danseuses ne font pas une seule erreur non. Sinon c’est une catastrophe.

— Cette dernière répétition était très bien, indique Madgdaleine. Cela a manqué un peu de fluidité, sans doute parce que vous êtes fatiguée ou parce que vous avez le trac de la nudité. Peut-être devrions-nous répéter d’ici quelques heures.

— On utilisera le créneau de demain matin.

Mes muscles sont douloureux de répéter sans cesse les mêmes mouvements. J’enfile ma jupe et mon bustier, puis emboîte le pas à Siloë. Malika, restée à la porte me dit sitôt que j’apparais :

— Pauline du Désert défile dans Varrokia. Elle cherche l’appui du peuple. Cela fait longtemps que tu n’as pas vu tes partisans.

— J’irai après. Les filles, préparez la robe de soirée. Il faut que mes gens la voient.

— La robe était réservée pour cette soirée. Hier était juste un essai, souligne Malika.

— Il est hors de question que je prive mes électeurs de ma beauté. Allez, les filles, je vous rejoins dès que nous avons fini.

Mes courtisanes s’éclipsent, deux de mes femmes gardes du corps nous emboîtent le pas. Je parviens d’un pas hatif à l’escalier large menant jusqu’à la salle des réceptions privées. Les gardes m’ouvrent la porte. Malika et Siloë restent à l’extérieur. J’aperçois Chell et ses parents, vêtus de magnifiques costumes blancs. Sten dénote face à eux dans son uniforme noir. J’ai l’impression de voir le pion d’ébène du jeu de dame, près à bouffer trois jetons d’ivoire. Ma meilleure amie me sourit. Sa mère est heureuse de m’apercevoir.

— Hélène !

— Comment allez-vous, Dame Varrok ?

Elle semble apprécier que j’use de son véritable nom. Nous nous faisons la bise.

— Très bien, et toi ?

— Comme une miss à deux jours de l’élection.

J’embrasse son mari puis Chell, avant de poser ma bouche sur celle de Sten. Il ne cille pas, mais il faut bien que j’en profite tant que je le peux. Je me plante à côté de ma meilleure amie et attends les premiers mots de Sten.

— Avant que nous discutions de l’avenir de nos relations en tête à tête, je tenais à ce que vous rencontriez Léna Hamestia, à qui vous devez votre liberté. Je constate que vous vous connaissez aussi bien qu’elle me l’a dit.

— Oui. C’est un peu une personne de la famille depuis qu’elle connaît Léa. Nous lui en sommes très reconnaissants, confie le père.

— En tant que chef des armées, c’est elle que vous affronterez si nos relations devaient se dégrader.

— Je vous assure, ce ne sera pas nécessaire d’en arriver là. Un consensus peut être trouvé aisément qui vous convienne à vous comme à nous.

Le regard de Sten se pose sur moi et Chell :

— Bien, vous pouvez y aller.

— C’était juste pour ça ?

— Juste pour ça.

Vexée, je saisis Chell par la main, puis quitte la salle sans un baiser. Siloë, Malika et mes sentinelles nous emboîtent le pas.

— Ne te fâche pas, me dit Chell. Ils vont discuter entre eux, qu’est-ce que ça peut nous faire ? Ça va bien se passer.

— J’espère.

Elle s’arrête de marcher et me retient par la main.

— Tu n’as pas confiance en mes parents ?

— J’ai confiance en toi.

Elle sourit. Je n’ai pas envie de lui dire que tout ce qui touche Sten ou l’Empire m’affecte malgré-moi. Je propose :

— Nous allons prendre un bain de foule et écumer les tavernes. Tu es partante ?

— Grave !

Nous rejoignons ma suite, où mes servantes m’attendent avec ma robe de dentelle dorée et d’écailles de métal noir. Siloë dit à Chell :

— Je suis en train de faire la même toute noire. Ah ! Au fait, J’ai ramené des collants de sur-terre. Ils ne connaissent pas ici, ils ne verront pas que tu en portes sous la robe, mais ça te tiendra chaud.

— Je n’ai pas porté de collants depuis… que ma mère ne choisit plus mes vêtements. Je ne m’en souviens même pas.

Je me vêts, pour être la plus belle des impératrices aux yeux des mes partisans. Je place même mon diadème. Malika fait venir mes deux autres gardes du corps, ainsi que Sigurd et quelques soldats pour ouvrir la route. Nous gagnons la sortie par la salle de réception de mon aile de château. Quelques fans fous campant devant l’entrée se réveillent et me hèlent en brandissant mon blason.

— Dame Hamestia ! Dame Hamestia !

Je leur permets d’effleurer mes mains, retenue par la méfiance exacerbée de mes gardes du corps. Notre petite cohorte se fraie un chemin vers le marché où mes partisans ont ordre de faire régulièrement leurs courses. La foule se densifie. Je ne suis pas encore une personnalité à qui on peut reprocher des choix politiques, donc je n’ai le droit qu’à des acclamations enthousiastes exquises aux oreilles. Mon orgueil se regonfle et nous gagnons très lentement le premier pub, rencontrant les artisans et commerçants qui m’ont déjà prêté allégeance et vendu nombreux produits. Après deux heures de palabres et de marche, enfin nous nous réfugions dans une tarverne. J’ai méga-soif.

C’est un pub que je ne connais pas. Le tenancier est figé de stress comme un rat pris dans un bocal. J’avance jusqu’à lui, alors que la foule s’engouffre dans son établissement. Pour faire face au brouhaha, je me hisse sur le comptoir, juste devant le nez du propriétaire. J’ai bien fait de garder mon tanga sous mes collants.

— Habitants de Varrokia !

— Silence ! renchérit Malika.

Le temps que le brouhaha se termine, je fais monter Siloë et Chell à côté de moi. Je garde mes mains sur leurs hanches et reprends mon discours :

— Habitants de Varrokia. Je doute qu’il me soit donné l’occasion de fêter avec vous mon élection ou même celle d’une autre. Alors, j’offre ma tournée générale de cervoise !

Le ban qui m’acclame est si violent qu’il doit faire trembler les pavés de la rue jusqu’au chateau. J’espère que Pauline les entend.

Les chopes sont remplies à la chaîne, en trop petit nombre pour assurer à chacun d’être servi en même temps. Assise sur le comptoir avec Siloë et Chell, mes courtisanes à nos pieds, je maintiens ainsi une hauteur de sécurité en plus du cordon de militaire.

Une femme blonde essaie de se frayer un chemin jusqu’à nous. Je reconnais aisément son visage tant j’ai éprouvé de la colère pour elle… la mère de Mala. Je m’écrie par-dessus le brouhaha ambiant :

— Laissez-la passer !

Les fillettes étant cachée par la foule, elles ne voient pas qui approche et intérieurement je fais le pari contre-moi-même que Mala lui sautera dans les bras. La femme approche et ses yeux parcourent les courtisanes toutes roux flamboyant. Mala se fige lorsque leurs yeux se croisent. La femme tend les bras :

— Mala !

À ma grande surprise, ma servante reste immobile, hésitante, comme si elle ne savait pas si elle devait lui faire confiance. Fantou la pousse discrètement et la précipite vers les bras ouverts. Sa mère l’étreint, lui caresse les cheveux.

— Tu es belle, ma chérie ! Tu es si belle ! On dirait que tu as grandi.

Il faut encore quelques secondes pour que la carapace blindée que Mala s’est forgée se brise. Les larmes coulent brutalement et ses membres frêles se referment autour du cou maternel. Pour briser l’émotion, un homme lève sa choppe et la gaité regagne les lieux.

Dix tavernes plus tard, Chell Siloë et moi sommes aussi saôules qu’à la soirée de mes seize ans… et mille fois plus euphoriques. La liesse de mes partisans est communicative, et le seul hic vient de mes nombreuses éclipses pour pouvoir uriner en paix, entourée de mes soldates.

Les portes du château viennent de se fermer. La chaleur intérieure me prend l’estomac et le fait tressauter.

— Putain, il fait chaud, ici !

— Elle va gerber ! s’exclame Siloë.

Chell se précipite pour retenir mes cheveux. Siloë me connaissant mieux que moi-même, la prédiction se réalise. Et comme Chell est très influençable, l’odeur la fait vomir à son tour et sa bile éclabousse mes pieds.

— Merde ! Les collants ! soupire Siloë.

Chell émet un rire idiot. Fantou se précipite vers moi avec une coupe d’eau. Siloë rappelle :

— Demain, tu as répétition, et représentation.

— Ouais, mais nous avons conquis Varrokia, dis-je.

— Surtout les tavernes, souligne Malika. Il y avait plus d’hommes, que de femmes.

— Ils ne m’ont pas vu vomir ?

— Non, les portes étaient fermées, répond Zélia.

— Ouf.

Je m’assois sur un banc.

— Ne t’assois pas, me dit Siloë, allons à ta suite. Fantou, va trouver Jeannine, elle a sûrement un truc pour que Léna soit d’aplomb demain.

Tout le monde me conduit jusqu’à ma suite, puis Chell déclare :

— Je vais réveiller mes parents…

— Dors ici. Siloë ?

— Mes deux hommes m’attendent.

— Allez ! C’est ma dernière nuit !

Siloë cède. Je les agrippe toutes deux par les bras et nous fais choir sur le lit. Je regarde le plafond qui tangue. Je cherche leurs mains et dis :

— Vous êtes mes meilleures amies. Je ne veux que rien ne… Je veux que rien ne change. Pourquoi c’est si dur de parler bourrée ?

Chell rit. Siloë répond :

— Rien ne changera.

— Non, ajoute Chell. Grâce à vous, mes parents sont revenus dans le palais où je suis née. Je vous suis éternellement reconaissantes.

— Surtout grâce à Léna.

— Non. Franchement, c’est toutes les deux, déjà sur Terre. Je n’ai jamais eu des copines comme vous, même toute petite.

— Ah ! Mais ce n’est pas parce que tu aurais dû naître ailleurs. C’est parce que nous sommes exceptionnelles ! aboyai-je.

— Vous êtes exceptionnelles, confime Chell.

— Tu m’étonnes ! renchérit Siloë. Bientôt je serai sœur d’une Impératrice.

— Vous y croyez ? demandé-je.

— Moi, j’y crois, répond Chell.

— C’est quand même pas des gamines de treize et quinze ans qui vont te passer devant, ajoute Siloë.

— En tout cas, même si je ne suis pas élue, grâce à toi Chell, nous en aurons vécues des choses !

— Nous en vivrons encore. Tu viendras au Duché Noir. On s’amusera, promis. Et j’achêterai un narguilé géant !

Chell explose de rire, et entraîne sans le vouloir notre fou-rire à toutes les trois.

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