Chapitre 2
Romy et Yato passaient régulièrement lui rendre visite. Leur première rencontre avait été aussi comique qu’embarrassante. Dix-huit venait à peine de reprendre connaissance. Romy, avait frappé à la porte de sa chambre et était entrée sans vraiment attendre de réponse. La jeune inconnue, était tombé de son lit et peinait à se redresser.
— Oh, tu es réveillée. Euh, salut, dit-elle doucement.
— Ne t’inquiète pas tu es en sécurité. ajouta Yato qui venait de refermer la porte. Elle les fixaient de son regard intense, son rythme cardiaque prêt à battre des records.
— Tu es encore blessée mais, on ne te veut pas de mal, repris Romy qui c’était approchée d’elle en douceur.
Dix-huit les observa en silence, perdue. Qui étaient-ils ? Où était-elle ? Qui était-elle, elle-même ? Et eux, est-ce qu’elle les connaissait ?
— Je suis vraiment désolée, tu as surgi de nulle part, je n’ai pas pu t’éviter. Romy lui tendit une main mal assurée et un peu tremblante, mais pleine de bonne volonté.
— Je m’appelle Romy, viens je vais t’aider à te remettre sur le lit.
— Romy ? répéta la jeune inconnue avant de jeter un regard perplexe à l'homme qui se tenait en retrait.
— Moi c’est Yato, et toi ? demanda-t-il doucement.
— Yato… murmura-t-elle, comme pour s’accrocher à ce fragment d’information. Il lui offrit un sourire compatissant.
— Non, ça c’est moi.
Le regard du frère s’attarda sur celui de Dix-huit. Ses yeux d’un bleu profond semblables à des saphirs, dégageaient une étrange douceur. Ses longs cheveux noirs aux reflets bleutés, relevés en une queue de cheval imparfaite, lui donnaient un air désinvolte, presque négligé.
Malgré son apparence bienveillante, ni son nom, ni celui de l’autre ne rappelaient quoi que ce soit à Dix-huit. Quant à elle, en avait-elle seulement un ? Une angoisse sourde monta en elle, une gêne mêlée de frustration son corps réagit avant même qu’elle puisse y penser, se recroquevillant instinctivement. Ses genoux serrés contre sa poitrine, les lèvres pincées, cherchant, dans le brouillard les réponses dont-elle avait besoin.
Yato se baissa à sa hauteur, maintenant une certaine distance pour ne pas l’effrayer davantage. Sa voix grave et posée chercha à l’apaiser.
— Ce doit être terrifiant de ne pas savoir, mais tu n’es plus en danger, repose-toi, d’accord ?
Le grand brun l’avait ensuite aidée à se remettre au lit et ils avaient passé du temps avec elle avant de repartir.
Le jour vint où Dix-huit put quitter la clinique. Mais que faire d’elle ? La question était délicate car elle n’était clairement pas en état de vivre seule et n’avait ni famille ni personne qui soit venu demander après elle. La fratrie finit par proposer de l’héberger temporairement, ils en avaient longuement discuté, Romy se sentait responsable et Yato voyait en Dix-huit bien plus qu'une victime innocente. Ils se chargeraient de l’accompagner au quotidien au moins jusqu’à ce qu’elle retrouve son autonomie. Le jeune homme étant en congé sabbatique et sa soeur en poste dans le secteur.
La jeune mutante, bien qu’inquiète de la suite, ne refusa pas leur offre. Elle ne savait pas nommer ce qu’elle ressentait – un mélange de gratitude et de confusion ? -, mais une voix, douce et insistante, au fond d’elle, lui soufflait qu’il ne fallait surtout pas quitter la région. Une force mystérieuse, muette mais puissante, semblait la retenir ici, dans le canton d’Emerald Mist. Son ventre se nouait à l’idée même de s’éloigner. Quelque chose l’attendait, quelque chose de crucial. Elle l’avait oublié, mais c’était là, tapi dans l’ombre de sa mémoire.
Il lui fallut un temps fou pour réussir à ouvrir les yeux ce matin-là. La pièce était baignée de lumière, si bien qu’elle dut prendre le temps de s’y habituer. Se redressant sur le matelas moelleux et confortable, Dix-huit parcourut la pièce du regard. La chambre dans laquelle elle se trouvait était à demi lambrissée et le papier peint qui recouvrait l’appentis affichait un motif blanc rosé parsemé de fleurs et de papillons violets pastel. L’armoire en bois massif, face à elle, comportait un grand miroir et deux grandes portes. À côté, un petit meuble supportait un vase qui semblait avoir traversé les âges tant il avait l'air ancien.
Elle entreprit de se lever, s'emmêla les jambes dans les draps et s'étala de tout son maigre poids sur le parquet. La douleur de l'impact lui tira un gémissement. Rapidement, elle entendit des pas dans l’escalier. À peine s’était-elle redressée que Yato ouvrit la porte.
— Tout va bien ? demanda-il à peine essoufflé de sa course.
Remettant ses cheveux en arrière, Dix-Huit le regarda, puis baissa les yeux avec dépit vers le drap encore enroulé autour de son pied. Elle soupira, et il émit un petit rire compatissant.
— On pourrait croire que tu n’as jamais eu de lit ou de draps vue la fréquence à laquelle tu tombes, tu sais ? Peut-être qu’on devrait te mettre un matelas au sol ?
— Désolé. Dit-elle gênée, sa voix encore ensommeillée, avant de rougir au gargouillis de son ventre.
— Je crois que tu as faim. On était en train de manger, tu veux te joindre à nous ?
Elle hocha la tête après un instant de réflexion et le grand brun s’approcha doucement, comme pour ne pas effrayer un chaton perdu.
— Je vais t’aider, ne bouge pas.
Romy les rejoignit à cet instant.
— Ça va ? tu ne t’es pas fait mal ?
— Le drap s’est enroulé autour de son pied.
— Mince… Je vais l’enlever, on doit avoir une plus grosse couverture au grenier ce sera mieux, j’ai peur que tu finisses par traverser le plancher à force. Elle rit légèrement, mais c’était une crainte réelle.
C’est avec attention que Dix-huit suivi chacun des gestes de Yato qui la délivrait du drap après quoi il l’aida à se remettre debout. Elle avait peur, car la douceur n'avait jamais partagé son quotidien et sans doute son corps lui, se souvenait. Pourtant, elle sentait que quelque chose était différent, cette peur lui semblait presque futile.
Le brun n’eut aucun mal à la soulever et fit même preuve de délicatesse en évitant son bras, où quelques traces de son accident étaient encore visibles.
Après avoir partagé un plat de pâtes bolognaise, qu’elle était certaine de n’avoir jamais mangé auparavant, Dix-huit laissa vagabonder son regard sur le petit salon chaud et charmant… Comment était-elle arrivée là ? Et d’où venait-elle ? Ses hôtes se posaient la même question. Mais les recherches menées à son sujet n’avaient rien donné, et son absence de mémoire constituait un frein certain à toute avancée.
Romy, qui jouait avec une de ses jolies boucles rousses, pencha la tête en observant la jeune femme.
— Il faut vraiment que je te trouve d’autres habits, je dois avoir des affaires en haut qui devraient être à ta taille. Ne bouge pas, je reviens !
Dix-huit baissa le regard sur ses vêtements, pour elle ils n'avaient rien de spécial, ni trop larges ni trop serrés, elle prit le tissus entre ses mains, elle en appréciait le contact et ça lui suffisait. Dans ses pensées elle laissa Romy quitter la table pour monter à l’étage. Elle n’avait pas vraiment prêté attention à tout ça avant.
Elle portait un vieux t-shirt de rugby de l’équipe des All blacks et un petit short noir et blanc assorti, bien trop grands pour elle. Je portais quoi avant ça ? Se demanda-t-elle essayant de se souvenir, avant de soupirer face à son échec. Le brun, revint après avoir débarassé. Elle avait enfoui son visage dans ses mains, les coudes posés sur la vieille table en carrelage couleur terre. Il garda le silence un instant, puis pris place près d’elle.
— Tu dois avoir des tas de questions, non ? Il avait vu juste. Elle écarta légèrement une main pour le regarder du coin de l’œil. Son regard dans le siens, Yato pensa qu'il était difficile de ne pas être fasciné par leurs couleurs changeantes. Elle avait l’air si pure, si fragile… Jamais il n’aurait pu se douter de quoi que ce soit.
Elle le scruta. Des questions, elle en avait des tonnes. Mais son problème était de réussir à les formuler.
— Je pourrais commencer par te dire où est-ce que nous t’avons trouvée ? Ça pourrait t’aider ?
Elle acquiesça, et il commença à lui raconter l’accident survenu quelques semaines plus tôt. Ils n’en avaient pas parlé à l’hôpital car Runa, sa chirurgienne, jugeait qu’il était encore trop tôt à ce moment-là.
— Cette route n’est pas souvent empruntée, le chalet était à nos parents et hormis celui du vieux Cameron à quelques kilomètres, je crois qu’il n’y a pas d’autres habitations occupées à cette période de l’année. On discutait quand on a pris le virage… et qu’on t’a... rencontrée ? se dit-il avant de reprendre, percutée.
Dix-huit tentait de se souvenir, mais dans sa tête, il n’y avait que du brouillard. Une épaisse purée de pois qui l'empêchait d’accéder à sa mémoire.
— Tu te tenais debout au centre de la route, on t’a vue trop tard pour pouvoir t’éviter. Une chance que Romy ne roulait pas trop vite… Tu aurais pu mourir.
Passant ses mains sur son visage, puis dans ses cheveux, Dix-huit soupira. Ses paumes glissèrent jusqu’à sa nuque, mais elle se redressa lorsque Yato ajouta :
— Essayons quelque chose de plus simple.
Il prit sa main droite, la soudaineté de son touché l’avait surprise. Il s’excusa d'un geste de sa main libre, et fit tourner son poignet doucement pour désigner le nombre cicatrisé sur sa peau.
— Est-ce que ceci te dit quelque chose ? Elle scruta cette marque étrange, l'avait-elle depuis longtemps ? En tout cas, elle n'avait rien remarqué jusqu'ici. Ou peut-être que si, mais elle n’y avait pas porté d’intérêt. Elle eut le sentiment que c’était là depuis toujours… Cela faisait partie d’elle. Haussant les épaules elle secoua négativement la tête. Puis, hésitante, elle se désigna elle-même. Mais en voyant l’expression dubitative de Yato, elle retira sa main de son emprise.
— Je ne pense pas que ce soit ton prénom, finit-il par dire. Elle laissa echapper un grognement fugace. Ce son, naturel pour une lionne, semblait étrangement déplacé pour une humaine. Yato recula, créant un peu de distance entre elle et lui.
— C’est toi qui as fait ça ? Tu as… Grogné ?
Si c’était vraiment le cas, elle ne s’en était pas aperçue.
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