Chapitre 4

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Dehors, Romy parlait à voix basse.

— Tu sais je crois qu’on devrait appeler la police… vraiment. Ou au moins l’emmener voir un psychologue. Elle est couverte de blessures, et crois-moi, elles ne viennent pas toutes de l’accident. Ce ne sont pas des petits bobos… J’ai l’impression qu’elle a peut-être été battue. Et cette drôle de marque à la cheville, dit-elle pensive, sans compter celle du poignet... La rouquine jeta un œil par la fenêtre depuis le perron, la jeune femme aux cheveux blancs se tenait debout devant la fenêtre, à l'intérieur du chalet, le regard rivé sur le paysage.

— On peut toujours l’emmener en ville mais Runa a dit qu’elle passerait. Attendons de l’avoir vue, elle aura peut-être du nouveau.

— Si elle sortait tout droit de l’enfer ? Peut-être que si sa photo passe aux informations ce sera pire ?

— Je pense que tu regardes trop de films de science-fiction.

— Tu sais… On est quand même dans un coin perdu, alors tout est possible, non ? Ça se trouve, le vieux Cameron a une cave…

— Il donnait des légumes de son jardin à nos parents tous les ans quand on était gosses. On a joué chez lui des millions de fois, c’est un papy tranquille, Romy. Laisse la police faire son boulot, d’accord ?

La porte grinça, attirant l’attention de Romy et Yato qui se tournèrent pour observer la jeune femme sortir.

Elle portait à présent un grand col roulé en velours blanc emprunté à Romy et, par-dessus une jolie robe à bretelles bleu nuit, lui arrivant à peine sous les genoux. Mais surtout, pas de chaussures même si Romy lui en avait fourni.

— Tu devrais mettre les chaussures pour sortir tu vas avoir froid, conseilla Romy.

La petite mutante avait déjà les deux pieds dans la neige, un sourire radieux sur le visage.

Elle avait passé les vingt dernières minutes à imaginer la sensation que lui procurerait cette immense étendue blanche. On aurait pu croire qu’elle la découvrait pour la toute première fois, ses pieds la brulaient tout en étant glacés, elle trouvait ça fascinant. Elle se pencha, plongeant sa main dans la poudreuse, et son sourire s’élargit… avant de s’évanouir. Son regard s’assombrit et son attitude changea du tout au tout, comme si elle s’apprêtait à fuir, ou à attaquer ?

Il fallut un instant à la fratrie pour comprendre ce qui l’avait troublée avant d’apercevoir les feux d’une voiture dans l’allée.

— Ne t’en fais pas, c’est Runa, la rassura Romy.

— Quand on parle du loup.

Dix-huit scruta les alentours avant de murmurer :

— Pas de loup.

C’était subtile mais la connexion c’était faite d’elle même, la laissant se rappeler de l’animal et du danger qu’il pouvait representer.

— Oui, non tu as raison… c’est une expression. répondit Romy agitant les mains, visiblement gênée.

— Oh, comme « idiot » ? Se risqua la jeune femme.

— Euh…

Mais l’attention de la lionne était déjà captée par autre chose : le pick-up. Elle gronda intérieurement en le voyant, ce véhicule étant à la fois la cause de son amnésie et, paradoxalement, ce qui lui avait permis de survivre.

Yato, désigna le gros pick-up d’un geste du menton.

— La couleur est atroce, non ?

L’entreprise de Romy avait attribué une couleur pétante à chacun de ses véhicules; sa sœur avait hérité d’un vert pomme presque fluorescent.

Runa, pour sa part, roulait avec une vieille jeep noire tout terrain qu’elle tenait de son père : un véritable fourre-tout increvable selon ses dires.

La jeep s’approcha du chalet et s’arrêta à une distance raisonnable du petit groupe. En descendant de sa voiture, elle observa longuement sa patiente, puis tourna son regard vers la fratrie.

— Il faut qu’on parle, dit-elle d’un ton grave.

Avec ses longs cheveux noirs parfaitement disciplinés et ses yeux verts perçants, Runa dégageait une aura imposante. Dix-huit ne put s’empêcher de l’observer tout aussi ouvertement qu’elle-même venait de le faire.

— Venez, je vais préparer du thé. Proposa Yato tentant d’alléger l’atmosphère.

— Je crois qu’il va nous falloir quelque chose du plus fort. répliqua Runa à mi-voix.

Rentrés, Yato offrit à leur invitée amnésique de quoi sécher ses pieds et les couvrir, elle le remercia mais ne garda que quelques minutes les chaussons, préférant le contact direct du sol sous ses pieds.

Plus tard, alors qu’ils étaient réunis dans le salon, le bois du poêle crépitant discrètement, Runa, qui avait examiné Dix-huit pendant que leurs hôtes préparaient boissons et accompagnements, sortit un dossier puis le tendit à la rouquine.

— La police n’a rien trouvé dans le fichier des personnes disparues qui auraient à peu près son âge. Mais… son profil correspond à celui d’une petite fille disparue il y a seize ans alors qu’elle avait trois ans.

Dix-huit se tenait encore près de la fenêtre à observer les derniers rayons du soleil. Elle paraissait distraite. Pourtant, ses sens aiguisés captaient chaque mot. Bien que ses hotes ne le sachent pas, son ouïe, son odorat, sa vue et même sa force dépassaient largement les capacités humaines. Et même si elle n’en avait pas l’air, elle écoutait attentivement.

Si sa mémoire n’avait pas été obscurcie, elle aurait réfuté cette hypothèse immédiatement. Mais l’idée d’une famille quelque part, l’attendant peut-être, éclipsa temporairement ses doutes et sa lucidité.

Romy ouvrit le dossier sur ses genoux et prit une photo glissée à l’intérieur. L’image représentait un bébé aux yeux d’un bleu très pâle, ses cheveux blonds cendrés presque blancs… Effectivement, il y avait une ressemblance.

— Il y a une ressemblance mais… Dix-huit n’a pas les mêmes yeux. Fit remarquer la petite rousse.

— Dix-huit ? interrogea Runa, perplexe.

— Oui, elle ne se souvient pas de son prénom, alors… on a improvisé ?

— Et vous n’auriez pas pu choisir un prénom plutôt qu’un rappel de ses scarifications ?

— Elle était d’accord. répondit Yato en haussant les épaules.

La doctoresse soupira avant de reprendre.

— Je vois. Enfin, la police a demandé à la rencontrer, ils souhaitent faire des tests ADN pour confirmer ou réfuter l’hypothèse qu’elle soit la petite disparue.

— Et si elle ne l’est pas ? Qu’est-ce qu’ils vont lui faire ? Demanda Yato, sur la défensive.

— Dans l’état actuel des choses, je ne sais pas. Mais je peux demander à ce qu’ils viennent a la clinique ou ici, sachant son état physique et mental.

Dix-huit vint s’assoir près de Romy, croisa son regard puis celui de Yato, les interrogeant silencieusement sur la faisabilité de cette rencontre.

— Si c’est trop à gérer pour vous, on peut la reprendre à l’hôpital et la garder, s’occuper d’une personne amnésique, ce n’est pas…

— Elle est très bien ici, trancha Yato ne laissant pas de place à l’incertitude. Elle est dans cette situation par notre faute, et tu as dit qu’elle avait besoin de calme et de stabilité. Ici, c’est calme, et nous n’avons pas prévu de repartir. Alors… nous pouvons veiller sur elle, si elle le souhaite.

Les regards se tournèrent vers Dix-huit, dans l’attente d’une réponse. Dix-huit n’eut aucune hésitation.

— Je veux rester.

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