Chapitre 5

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Ils échangèrent des regards, chacun cherchant une réponse ou un soutien silencieux. Dix-huit, elle, ne comprit pas vraiment pourquoi et ne s’attarda pas sur la question. L’idée de faire face à la police ne l’inquiétait pas outre mesure : elle ne percevait pas encore ce que cela impliquait réellement. Yato, en revanche, paraissait bien plus réticent.

— Admettons qu’ils viennent ici, que les tests soient négatifs… qu’adviendra-t-il de Dix-huit ? demanda-t-il, les sourcils froncés.

La doctoresse plongea un instant son regard dans celui de Yato. Elle pesa ses mots, adoucissant sa voix avant de répondre.

— Elle pourrait être placée sous la tutelle de l’État. En foyer… ou ailleurs. Comme on ne sait pas d’où elle vient, ni qui elle est.

— C’est absurde ! s’emporta Yato en se levant brusquement, ses poings serrés de colère.

— Tu veux dire qu’ils pourraient repartir avec elle ? intervint Romy, l’anxiété perçant dans sa voix.

— Oui, ils pourraient prétexter qu’elle est une potentielle espionne, une évadée, ou même une patiente psychiatrique. Parfois, ils ne donnent même pas de raisons.

Le cœur de Dix-huit accéléra brusquement en écho aux craintes de ses hotes. Instinctivement, elle posa une main sur sa poitrine, baissant les yeux sur celle-ci comme pour chercher un apaisement. Avait-elle accepté quelque chose qui la mettait en danger ? Était-elle sur le point d’être arrachée à Emerald Mist ?

— Je vais partir ? murmura-t-elle, sa voix tremblante.

Elle était naturellement intelligente, parlant avec une clarté qui surpassait celle de beaucoup de ses congénères chez qui le gène animal dominait le gène humain. Pourtant, depuis l’accident, une ombre épaisse pesait sur sa faculté de s’exprimer clairement, mettant à rude épreuve ses nerfs et son calme. À l’intérieur, une tempête grondait, et sa petite voix gardienne de son esprit peinait à contenir le chaos.

— Non, Dix-huit, on ne les laissera pas t’emmener, la rassura Yato, son ton ferme tranchant avec l’inquiétude dans ses yeux.

— Tu n’auras peut-être pas le choix, répliqua Runa, pragmatique.

— Ne lui dis pas ça… intervint Romy, levant les yeux vers son frère. Tu connais Yato, il se battra s’il le faut.

Une sensation étrange envahit Dix-huit. Un frisson glacé, suivi d’une chaleur intense, traversa tout son corps. Une peur oppressante lui serra la poitrine, l’incitant à chercher une échappatoire. Et, presque dans un élan désespéré, elle quitta le salon. Agrippant la poignée de la porte d’entrée, elle força violemment, convaincue qu’elle ne céderait pas. Avec un cliquetis sec, la clenche s’ouvrit, et en un instant, elle se retrouva dehors, l’air vif la frappa de plein fouet. La morsure du froid s’infiltra sous ses vêtements, s’accrocha à sa peau, mais elle ne recula pas. Ses pieds s’enfoncèrent légèrement dans la neige, les paumes de ses mains rencontrèrent le sol glacé.

Cette sensation lui parut réconfortante, l’air, l’odeur résineuse des sapins, la morsure de la neige, tout cela lui paraissait si doux en comparaison aux émotions brutales qui venaient de l’étreindre. Pourtant derrière cette douceur subsistait l’amertume d’un échec, une douleur sourde lui brisant le cœur et l’âme.

Le vent joua dans ses cheveux, soulevant quelques mèches comme une caresse indéchiffrable. Ses doigts s’agrippèrent à la poudreuse, cherchant un ancrage, une preuve qu’elle était bien là, dans l’instant présent, loin de cette menace qui pesait sur elle.

Puis, une voix. Lointaine. Étouffée par le tumulte en elle.

Le poids d’un regard sur sa nuque. Le groupe approchait. Mais elle n’avait pas encore décidé si elle voulait leur présence… ou si elle préférait disparaître entièrement dans cet hiver impassible.

Le groupe la rejoignit rapidement. Runa, sans hésitation, posa ses genoux et ses mains dans la neige pour se placer à la hauteur de Dix-huit. Leur différence de taille était notable : Dix-huit ne mesurait pas plus d’un mètre soixante, tandis que Runa dépassait le mètre soixante-quinze. Rassurante, elle guida la jeune femme.

— Respire, tu es en sécurité, lui murmura-t-elle en mimant calmement des inspirations lentes.

— Qu’est-ce qu’elle a ? Elle va bien ? Dix-huit ? s’enquit Yato, anxieux.

Sa tête tournait légèrement. Dix-huit fixa Runa, agenouillée devant elle, remarquant ses longs cheveux noirs glissés de ses épaules pour reposer sur la neige. Elle observa les mouvements de sa respiration et finit par les imiter, retrouvant un semblant de calme.

Lorsque Romy vint déposer une couverture sur ses épaules, Dix-huit sursauta violemment. Dans son esprit, elle avait cru un instant à une agression. Mais en voyant les pans du tissu, elle les attrapa doucement et les serra contre elle, comprenant le geste et l’appréciant. Cette attention semblait réchauffer autant son corps que son esprit meurtri.

— Je pense que c’est une petite crise d’angoisse. C’était déjà arrivé ? demanda Runa, levant les yeux vers la fratrie.

— Non, jusqu’à aujourd’hui, elle n’avait pas quitté l’étage, répondit Romy. Elle a beaucoup dormi.

— Je vois, murmura Runa. elle observa Dix-huit, songeuse. Sa rémission était tout de même impressionnante : elle n’avait jamais vu quelqu’un se rétablir aussi rapidement. Quand bien même la mémoire lui manquait, son corps semblait, lui, avoir retrouvé toute son autonomie.

Un court instant de silence s’installa, la neige virevoltant doucement autour d’eux. Dix-huit se sentait agitée, incapable de taire cette voix en elle qui lui hurlait finalement, de refuser cette rencontre.

— Rentrons. dis Yato tout en relevant Dix-huit qu’il avait pris par l’épaule. Ce serait dommage d’attraper froid.

Elle acquiesça en guise de réponse.

Le petit frère — qui était sans doute plus âgé qu’elle — dégageait quelque chose de profondément rassurant. Une force tranquille dans le regard et l’attitude qui donnait l’impression qu’aucun mal ne pourrait survenir en sa présence.

— Je vais refaire du thé. Ajouta Romy tout en passant devant pour s’empresser d’ouvrir la porte.

Runa suivit le mouvement, jetant un dernier regard à celle qui avait été sa patiente. Avait-elle bien fait de laisser ces deux-là s’occuper d’elle ? Ou avait-elle commis une erreur ?

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