Chapitre 8

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Romy finit par les rejoindre, l’air fatiguée. Alors qu’elle approchait, Dix-huit remarqua un subtil changement d’attitude. Son visage s’illumina d’un sourire ravissant, et d’un geste assuré, elle repoussa ses cheveux en arrière pour les nouer en un chignon parfait. Cette femme était une experte en chignons, cela ne faisait aucun doute.

Dix-huit se surprit alors à passer une main dans ses propres cheveux, les observant un instant avec curiosité avant de les relâcher. Elle ne s’était jamais demandé si elle pouvait les coiffer, encore moins si cela avait une utilité.

Yato avait conduit pour le retour, Romy dormait sur la banquette arrière et Dix-huit était montée à l'avant,observant avec attention le paysage.

— Et si je préfère ne pas me souvenir ?

— C'est le cas ?

— Non... Enfin je ne sais pas.

— Tu as peut-être des gens qui t'attendent quelque part...

L'idée piqua Dix-huit en plein coeur. Elle eut presque l'impression qu'on le lui avait pincé et jusqu'à ce qu'ils arrivent, elle ne dit plus un mot.

Yato s'en voulu un peu, mais il avait préféré être honnête. Lui et Romy avaient perdu leurs parents dans un crash d'avion, il avait longtemps imaginé que ce n'était qu'une erreur, qu'ils étaient quelque part, amnésiques ou perdus... Alors il se mettait à la place de la potentielle famille de la jeune femme. Imaginant qu'elle avait elle aussi, des gens qui tenaient à la retrouver.

Plus tard, après avoir rangé les achats et dîné, Dix-huit, seule dans sa chambre, observait le petit arbre glacé.

Il était recouvert d'un fondant lisse et brillant, aussi vert que les sapins enneigés de l'autre côté du chalet. Les deux paquets posés devant elle, elle battait l’air avec ses pieds, allongée sur le ventre, le menton calé sur ses mains, comme une enfant perdue dans ses pensées.

Romy avait eu la délicate attention de retirer ce drap qui emprisonnait ses pieds chaque matin. À la place, elle avait désormais une épaisse couverture moelleuse et douillette, un véritable cocon de chaleur. Elle se sentait chanceuse, enveloppée dans ce confort inattendu, mais une tristesse sourde continuait à peser sur son cœur, insaisissable, persistante. Elle s’acharnait à la comprendre.

Les pâtisseries ne l’aidaient pas.

Elle finit par défaire l’un des rubans, libérant la version dite « à l’ancienne » du chef. Le papier crissa sous ses doigts, un son infime qui lui sembla plus fort dans le silence de la chambre. Doucement, elle arracha la pointe de l’arbre avant de l’approcher de ses lèvres, puis hésita.

N’importe qui, en l’observant de l’extérieur, aurait pu croire qu’elle s’apprêtait à manger du poison, tant son visage trahissait une retenue fébrile. Après tout, ses souvenirs enfouis n’en étaient-ils pas un ? Un poison délicat, insidieux, capable de réveiller des choses oubliées, de raviver des ombres qu’elle n’était pas sûre de vouloir affronter.

Rien ne pouvait lui assurer qu’elle n’allait pas détester ce qu’elle cherchait à tout prix à retrouver.

Serrant dans sa petite main l’épaisse couverture, elle força le souvenir à se montrer. Le cœur au bord des lèvres, la tête douloureuse, elle aperçut à nouveau l’homme, assis, quelques épis de pain nappés qu’elle reconnut comme le pain de brume d’Emerald Mist, disposés sur un plateau devant lui. Il appelait des numéros et les distribuait, mais elle ne pouvait pas les entendre, encore moins les reconnaitre. Les mots lui parvenaient hachés, les visages étaient flous — et pourtant, malgré son incapacité à les distinguer, elle sentait leur jugement, sévère, écrasant, et peu à peu, son ouïe s'affina.

— Il fallait mieux te comporter, éructa l’homme assis en face d’elle.

Puis, avec un regard chargé de haine, il ajouta, glacial :

— Je t’ai dressée mieux que ça.

Une autre voix, plus lointaine, ricana :

— Puis de toute façon, si vous avez faim, vous n’avez qu’à vous battre, bande de bêtes sauvages !

Un rire grossier lui répondit, suivi d’une porte qui claqua violemment avant qu'elle ne soit ruée de coups.

Elle sursauta.

Le gâteau, qu’elle avait gardé près d’elle, fut repoussé comme s’il s’agissait d’une chose maudite. Son cœur battait dans tout son corps, tambourinant dans ses tempes, sa gorge, ses mains.

Avait-elle somnolé ? Elle n’en était pas sûre.

Elle tenta en vain de calmer le marathon dans lequel son cœur s’était jeté. Assise, elle passa ses mains sur son visage, espérant chasser cette image, cette sensation horrible qui, elle le savait, la hanterait longtemps.

Alors que ses paumes glissaient sur ses joues, elle prit soudain conscience qu’elle pleurait. Ses mains, humides de larmes, lui infligèrent un mal plus cruel encore que le souvenir lui-même. Incontrôlables, innombrables, elles lui rappelaient l’ampleur de son impuissance.

Elle enfouit son visage dans l’oreiller, refusant d’affronter l’évidence : elle demeurait incapable de croire ce qu’elle venait de voir, d’accepter que cela faisait partie d’elle, de son passé… et fort probablement de son avenir.

Lui rappelant, avec une violence insupportable, la dure réalité : elle n’avait toujours aucune idée de qui elle était, ni d’où elle venait vraiment.

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