Fern, quelque part dans la forêt de Dean

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Fern, Forêt de Dean, 17 Mars, 2199

Le sol est dur, encore recouvert de neige et de givre par endroits. Creuser la terre prisonnière de son carcan de glace s’avère être une tâche impossible pour les petits bras de huit ans et demi. Malgré la morsure du froid sur ses lèvres gercées, Fern transpire à grosses gouttes. Ses muscles se bandent à outrance depuis près de quatre heures et elle n’a pourtant pas réussi à enlever plus que quelques centimètres de terre.

En d’autres circonstances, elle aurait essayé d’allumer un feu pour faire fondre la croûte de glace qui l’empêche de progresser, mais depuis l’attaque, ce n’est plus prudent. Et puis, elle n’a jamais été très douée pour allumer un feu. Son père a témoigné des trésors de patience pour lui apprendre à créer des étincelles en frottant deux cailloux ou un filet de fumée en tournant un bâton au creux d’une pierre, mais ses tentatives n’aboutissaient qu’une fois sur cent.

Ce n’était pourtant pas faute de détermination. L’échec n’a jamais été un résultat acceptable pour Fern, et à l’époque, elle entraînait des heures durant sans succès, jusqu’à ce que son père la retrouve les mains en sang à force de frotter une pauvre branche contre son rocher.

“Rien ne vaut que tu te blesses pour un feu, les infections sont bien plus redoutables que le froid.”

Les mots de son père lui reviennent en mémoire et elle repose sa bêche contre un arbre. À l’arrière de la maison, les deux silhouettes horizontales, qu’elle distingue à peine de là où elle se trouve, attendent bien sagement qu’elle leur trouve un refuge pour leur repos éternel.

Quand les soldats ont quitté les lieux, ce jour lors duquel elle aurait préféré ne pas être vivante, elle est sortie du vieux tronc d’arbre dans lequel elle s’était cachée, et elle est allée retrouver ses parents si abruptement tombés dans le silence. Elle s’est accrochée à leur corps encore chauds des heures durant avant de prendre peur et de s’enfuir loin, très loin.

Ses petites jambes l’ont portée au pas de course jusqu’à l’orée du bois, à plusieurs kilomètres de la maisonnée. C’est à ce moment qu’une nouvelle peur s’est emparée d’elle, une peur bien plus concrète que la vue d’un cadavre, celle d’en devenir un, de subir le même sort que ses parents si les autorités la retrouvaient.

Lentement, épuisée, vidée de toute émotion par les larmes qui sont devenues ce jour-là une deuxième peau sur ses joues, elle a rebroussé chemin et elle est allée prendre soin de ses parents. Elle a recouvert leurs corps de feuilles et de branchages pour la nuit, le temps de leur creuser une tombe descente.

Les draps et les vêtements auraient sans doute rendu la tâche plus facile, mais ces morceaux de tissu sont beaucoup trop précieux pour être sacrifiés. Sa mère en aurait été malade si elle avait gâché le linge pour eux et l’avenir reste incertain. Elle ne tombera peut-être pas sur un sac de vêtements usagés avant des mois, voire plus, et elle ne peut risquer de sortir de la forêt sans se faire arrêter ou simplement supprimer.

Si elle est retrouvée, si les gens découvrent qui elle est, ils n’hésiteront pas un seul instant. Les petites filles aux jolies boucles de contes de fées n’attirent pas la sympathie des chevaliers en armures quand elles viennent d’une famille aussi dangereuse.

Malgré les explication de ses parents, Fern n’a jamais compris pourquoi les siens ont été persécutés, pourquoi elle-même fait aussi peur — pourquoi elle ferait aussi peur aux autres si le reste du monde découvrait son existence.

La petite fille frissonne et se relève. Elle est restée trop longtemps assise et la brise glacée s’est infiltrée dans les gouttes de sueur qui recouvrent sa peau et imbibent ses vêtements. Ses yeux scrutent la cour qui entoure la maison, elle évalue son environnement pour trouver une solution, comme son père le lui a enseigné à tant de reprises.

“La solution est autour de toi, elle ne demande qu’un peu de créativité pour se dévoiler.”

Parfois, si elle se concentre vraiment sur autre chose, elle a l’impression qu’il est encore là, à ses côtés à veiller sur elle, qu’il la couve de son regard bienveillant. Quelques cailloux roulent sous sa chaussure. La solution est là, tout autour d’elle. Son père avait raison.

Fern pivote sur elle-même et se tourne vers le muret sur lequel elle était assise quelques secondes plutôt. L’assemblage de pierres n’est pas cimenté et les simulacres de briques dansaient sous ses fesses quand elle était posée dessus.

Elle évalue la longueur de la construction jusqu’à la maison. Il devrait y en avoir assez. Une à une ses petites mains délogent les pierre et les portent jusqu’aux corps de ses parents à l’arrière de la maison.

Elle essaie de les pousser l’un contre l’autre pour qu’ils reposent ensemble, mais elle n’a pas la force de les tirer par les pieds. Des feuilles s’envolent et la panique s’empare de son cerveau à l’idée de voir le visage de sa mère dans son masque mortuaire.

Les déplacer n’est peut-être pas une si bonne idée que cela. Finalement ce n’est pas plus mal qu’elle n’est pas réussi à leur creuser, car elle n’aurait pas supporter de les voir réapparaître sous leur couverture de feuilles sèches.

Elle entasse les pierres du muret autour des corps de ses parents et en un peu plus de deux heures, elle réussit à leur construire un petit mausolée. Les dernières roches sont les plus difficiles à poser. À leur insu, elles qui scellent à jamais ces destins interrompus et s’érigent en rempart infrangible entre la petite fille et les êtres d’amour qui lui ont été arrachés bien trop tôt.

Les larmes ont cessé de couler sur ses joues, ses glandes lacrymales s’étant asséchées en même temps que son coeur.

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