Chapitre 5 : l'invocation (Vaunn)

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Les pas puissants résonnaient. Trois moines se tenaient à la tête de la procession, parmi lesquels se trouvait Gale. Une dizaine de chariots les suivaient, leurs essieux en bois noir grançaient dans un son sinistre. Sur les côtés, une centaine de moines avançaient lentement, vêtus de noir et masqués. Vaunn, telle une ombre, se rapprocha furtivement de la fin de la procession. D'un geste vif, il attrapa un homme et tous deux sombrèrent dans un buisson. Il frappa la mâchoire de l'individu, brisant ses doigts dans l'impact contre le masque de métal. Mais celui-ci, ne se brisa pas. L'homme trébucha sur une branche, offrant ainsi à Vaunn l'occasion de se faufiler derrière lui. Il enserra son cou de ses mains, et après quelques interminables secondes, l'homme s'effondra sur l'herbe. Vaunn le dévêtit.

— Ne romps pas la marche, résonna une voix derrière Vaunn.

Il se retourna pour faire face à l'homme au masque d'or. Vaunn prit sa place derrière l'avant-dernier individu du cortège, tandis que celui au masque précieux reprenait sa route. Le métal du masque, désagréable,froid et dur s'appuyait sur sa peau. Des heures durant, il marcha, ses doigts et ses orteils engourdis par le vent glacial. Les hommes qui l'entouraient, visiblement insensibles à cette température, avançaient droit devant eux, seuls les grincements des chariots se faisaient entendre. Les arbres défilaient avec une étrange lenteur. Une lueur mystérieuse, à plusieurs lieues de là, éclairait le cortège d'une aura multicolore. Les flammes voltigeaient, oscillant entre le violet, le vert et le pourpre. Les hommes en noir accélérèrent le pas, leur marche se transformant d'abord en une rapide allure, puis en une course effrénée. Le bruit strident des roues se muèrent en un sinistre grondement, et les cris aigus se mêlèrent aux voix graves, créant une cacophonie terrifiante. Vaunn faillit trébucher maintes fois pour suivre le rythme frénétique du cortège. L'atmosphère devenait de plus en plus chaude, la forêt prenant feu progressivement. Les hommes en noir continuaient d'avancer vers la boule de feu incandescente.

Arrivé au bord d'un cratère de plus de cinquante mètres de périmètre, le cortège s'immobilisa. Deux moines ouvrirent le premier chariot, et des enfants enchaînés les uns aux autres, les yeux bandés, en sortirent par dizaines. Leur tête gigotait de gauche à droite tel un pendule, des rictus carnassiers s'étiraient sur leurs lèvres, leurs yeux vitreux clignaient, et ils claudiquaient sur leur jambe gauche. D'autres enfants émergèrent des seconds, troisièmes et quatrièmes chariots, suivis de jeunes femmes dans les cinquième et sixième chariots, ainsi que d'étranges individus, vêtus de guenilles et aux bras manquants. Parmi eux, Vaunn distingua Silk, dont les oreilles avaient été arrachées et le visage lacéré par de profondes entailles. Six hommes masqués de rouge se placèrent à l'avant de chaque groupe. Les différents clans se figèrent devant la terre brûlée, à quelques mètres les uns des autres. Ils avancèrent tous vers la boule de lave en fusion. Les prisonniers s'élevèrent vers celle-ci, leurs cris rententirent dans l'air alors que leurs corps se consumaient, leur sang tournoyant autour de la sphère de lave avant de devenir noir et d'être propulsé dans les cieux, une pluie macabre s'abattant sur l'assemblée. La sphère de feu se fendit en deux, comme si d'invisibles mains l'étiraient. La lave se déversa à droite et à gauche, formant un liquide brun-rouge qui recouvrit le sol. Ce liquide s'étendit jusqu'aux pieds des moines, qui s'agenouillèrent pour le boire. Leur peau devint noire, leurs mains se changèrent en griffes acérées. L'un des moines s'effondra dans la substance, tandis qu'un autre, à l'apparence bestiale, le saisit par la tête et lui arracha un bras, suscitant la lutte entre d'autres moines pour la dépouille de leur camarade.

Vaunn, témoin figé de cette scène irréelle, contemplait incertain. Puis, se baissa, il remplit un flacon de cette substance étrange. Lentement et silencieusement, il se dirigea vers la partie boisée, derrière les chariots qui n'avaient pas encore pris leur envol. Personne ne le remarqua, tous absorbés qu'ils étaient par l'étrange breuvage rouge et brun. Soudain, son regard fut attiré vers le ciel, où un jeune homme flottait, semblant défier la gravité. Son visage arbora un large sourire. Grand et vêtu d'un costume violet, il était auréolé de longs cheveux blancs. Ses yeux bleus océan se fixèrent sur Vaunn, alors qu'une main se posait sur son l'épaule

— Tu ne t'amuses pas avec les autres, répliqua une voix douce.

Vaunn se retourna et se retrouva face à face avec l'homme dans le ciel qui lui sourit largement en retour.

— Qui êtes-vous ? demanda Vaunn.

L'homme disparut, puis réapparut devant lui.

— Je suis un démon, bien sûr, répondit-il en posant ses mains sur les joues de Vaunn.

Il avait une tête de plus que Vaunn.

— Je sens ta haine, humain, mais tu ne peux rien contre moi, tu es faible.

Vaunn sortit un poignard dissimulé dans sa poche et se jeta sur le démon. Sa lame était à quelques centimètres de son adversaire lorsque celui-ci se volatilisa. Un rire résonna.

***

Des rayons lumineux traversèrent la petite chambre lorsque la porte s'ouvrit silencieusement. Cléa entra, portant un plateau chargé de pain, de fromage et de gruau. Vaunn la bloqua par derrière et couvrit sa bouche.

— Ne fais pas de bruit, dit Vaunn en relâchant doucement la jeune fille. Elle hocha la tête.

Vaunn retira sa main.

— Qu'est-ce qui se passe ici ? demanda-t-il froidement.

— Rien, répondit la jeune fille en baissant les yeux.

Vaunn relâcha son emprise et Cléa s'effondra en larmes. Il l'aida à se relever, elle s'assit sur le lit. Il ramena une chaise et s'assit en face d'elle. Elle brisa le silence.

— Je dois retourner faire mes tâches, je vais me faire punir si je reste trop longtemps ici, dit-elle d'une voix tremblante.

— Nous parlerons ce soir lorsque tu m'apporteras le dîner. Il tendit un mouchoir à la jeune fille, dont les yeux étaient encore rougis et injectés de sang. Cléa quitta maladroitement la pièce.

Elle ne servit pas le dîner. Un jeune homme frappa à la porte à trois reprises.

— Bonjour Monsieur Vaunn, aujourd'hui nous avons un bon goulasch.

Vaunn posa l'assiette sur la table de chevet.

— Comment va Cléa ?

— Elle se sentait mal cet après-midi, le médecin lui a demandé de se reposer aujourd'hui. Elle reprendra du service demain si elle va mieux.

— J'espère que ce n'est pas trop grave, répliqua Vaunn avec préoccupation.

Le jeune homme hocha la tête et partit sans dire un mot. Une fumée épicée se dégageait du goulasch. Vaunn reconnut certaines épices. Il se leva et jeta ce qu'il y avait dans l'assiette dans l'évier.

***

Des chuchotements légers résonnèrent devant la porte de la chambre de Vaunn. Il se réveilla en sursaut et ramassa le poignard caché à l'intérieur de son oreiller. Il se faufila derrière la porte avant qu'elle ne s'ouvrit en grand, manquant de peu de toucher Vaunn.

— Il n'y a personne dans le lit.

— Fouillez la chambre, avec ce qu'il a mangé, il n'a pas pu aller loin, répliqua une voix agacée.

Des bruits de fracas se firent entendre.

— J'ai trouvé ce flacon dans son sac, dit le premier homme.

Gale l'ouvrit et le sentit.

— C'est du sang de ryrne, retrouvez-le maintenant, s'exclama-t-il.

Un homme s'approcha de l'interstice entre la porte et le mur. Le poignard de Vaunn se planta dans son œil, il hurla. Vaunn sortit de sa cachette. Il y avait huit moines. Il bondit vers la porte, mais trois moines le bloquèrent. Il fourra sa main dans sa poche, en sortit une fiole rouge et la bu d'une traite. La sueur dégoulinait sur ses tempes, sa respiration devenait de plus en plus saccadée, il serra son poignard dans sa main, les jointures blanchirent, il bondit tel un guépard se jettant sur sa proie, le coeur tambourinant dans sa poitrine, et enfonça sa lame dans la chair du premier homme, un geste net et précis au niveau de sa gorge. Il tressaillit, le liquide coula le long de son cou et de son torse en une cascade rubis. Les deux autres moines se précipitèrent sur lui. Il esquiva le premier coup en pivotant et frappa le deuxième avec le manche de son poignard, le faisant s'effondrer. Il lança un violent coup de pied dans la mâchoire du deuxième moine. Vaunn se mit à rire.

— Ce n'est pas très pratique, ces capes pour se battre, dit-il en regardant Gale.

— Ne restez pas là, tempêta-t-il.

Il poussa un des moines vers Vaunn, qui, furieux, brandit son épée en direction de Vaunn. Celui-ci lança un couteau de lancer et le planta dans le cœur du moine. Gale se précipita vers la sortie, et Vaunn lança un second couteau, mais l'un des derniers moines lui asséna un coup de matraque dans les côtes. Son souffle se coupa, l'homme lui donna un deuxième coup, brisant plusieurs de ses côtes à l'impact. Il tremblait, enfonça sa main dans la poche de son pantalon, la déchira et sortit une fiole jaune qu'il avala cul sec. Ses veines se dévoilèrent et ses muscles enflèrent. L'homme lui asséna un troisième coup de matraque, mais Vaunn attrapa l'arme en plein vol. Il le décapita en un coup. Les deux derniers moines étaient tétanisés. Il passa devant eux sans même les regarder. Des dizaines de moines bloquaient les escaliers. Ils prirent des potions, leurs capes se déchirèrent, et ils se ruèrent sur Vaunn. Il sauta les escaliers tandis qu'ils hurlaient de fureur. Une pluie de flèches siffla dans les airs et transperça Vaunn. Une dizaine traversaient son corps. Un moine lui enfonça une lance dans les jambes. Vaunn tomba, perdit connaissance.

***

— Monsieur Vaunn, vous émergez enfin, répliqua Gale avec un énorme sourire.

Vaunn avait les bras et les pieds enchaînés. La pièce était grande et sombre, des tables de torture et des instruments étaient éparpillés partout.

Gale donna des petites tapes sur le visage de Vaunn.

— Qu'est-ce que tu es venu faire chez nous ?

— Je suis un voyageur.

Gale baissa la main. Un grand homme avec des cheveux blancs et des cicatrices sur le visage s'avança avec un fouet. Il frappa Vaunn à plusieurs reprises, faisant échapper quelques cris à ce dernier.

— Comment as-tu trouvé ces fioles ?

Vaunn ne dit rien, et de longues minutes s'écoulèrent.

— Dar, je te laisse t'occuper de lui.

— Avec plaisir, Maître Gale, répliqua l'homme d'une voix bourrue.

Gale partit sans dire un mot. Le grand homme alla chercher une pince et s'avança vers Vaunn.

— C'est ta dernière chance de tout me dire.

Vaunn lui cracha dans l'œil. L'homme se frottait les yeux pour éjecter la glaire coincée, et se mit à rire, un son perçant à glacer le sang.

— Je suis content, je vais pouvoir jouer avec toi, dit-il en posant la pince sur l'ongle de Vaunn et en l'arrachant. Des larmes perlèrent sur ses joues.

— Plus que 19.

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