Aussitôt arrivé, la première décision du Directeur des Ressources Humaines, un jeune transfuge de Google, était d'insuffler un souffle nouveau dans la culture de cette entreprise qui a connu la chute du mur de Berlin et l’apparition des premiers walkmans.

Cédric se souvient encore de son discours passionné :

— Nos employés et nos clients se perdent dans nos locaux. C’est le comble pour une agence de voyages. Il faut se réapproprier notre espace de travail et afficher la fierté de travailler pour Horizons Nomades, annonça-t-il d’une voix passionnée, en tapant du poing sur la table, devant les applaudissements de l’équipe de direction.

Aussitôt la réunion finie, les employés d’Horizons Nomades assistaient au spectacle de ce petit bonhomme, arpentant l’open space muni d’un escabeau, d’un marteau, d’une boîte à clous et pleins de panneaux d’indication sous le bras qu’il voulait lui-même suspendre au plafond ou placarder contre les murs.

Aucune cloison ne fut épargnée, c’est comme s’il était possédé par le démon de la signalétique, avec pour mission de transformer l’entreprise en zoo bureaucratique : chaque enclos avait sa plaque, son intitulé, et parfois un acronyme en voie d’extinction. Ce dont il était le plus fière était ce qu’il appelait le totem, un animal ajouté sur chacune des pancartes.

— Je vous encourage tous à vous identifier à votre animal totem, qui a été choisi pour personnifier les valeurs de chacun de vos nobles métiers et que vous réalisez, je le sais, avec fierté, lançait-il dans l’open space.

Celui des Ressources Humaines était un aigle majestueux, avec un bec jaune prohéminant et les ailes déployées.

— L’aigle perçoit l’essentiel là où d’autres voient le flou, et trace sa route au-dessus du tumulte, avait-il ajouté en gonflant sa poitrine d’une fierté non dissimulée, alors qu’il plantait le dernier clou de la pancarte.

La surprise, l’étonnement et l’incompréhension étaient palpable quand Cédric découvrit son propre animal totem.