FULGURE
la scolopendre que la lumière aveugle
ses crochets à venin dans la chair qui dissolvent les
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SOUVENIR
C’est pour toi que. Sans toi je ne.
Voici le conte des faits qu’elle ne racontera pas aux gens d’armure
il est une fois la fin d’
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RAGE
Dedans l’eau coule et déborde de l’évier. Toute cette eau qui a coulé sous. Tout a été inondé et la douleur fuit. Goutte à goutte sur le rebord de l’émail, ébréché comme un sourire noirci, elles mordent ses lèvres, ses canines trop longues et trop pointues. ____________, qu’ils ont dit.
En face de soi, sans y être, sans se reconnaître
la peinture qu’elle a toujours refusé de s’étaler même pour partir en guerre
voiture et enfance volées
à fleur de peau
__________________le pus
__________________et le sang
__________________et les croûtes qui grattent sur ce visage en mue.
Tous ces bleus ne sont pas tombés du ciel.
C’est âpredoux la texture du masque et des gants pour faire oublier l’empreinte parentale. Les vacances. L’odeur de l’essence monte, des reflets dans la flaque près de la baignoire, un iris trop clair et taché d’orage. Le regard en faïence du chien abattu et le sien.
Nos yeux morts dans.
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MIROIR
Maman se recompose un visage. Ses mains en coupe effectuent des mouvements d’ailes d’ange, toujours vers le haut, dixit Marie-Claire, afin de rehausser la peau avec la crème hydratante. Masser pour résorber l’œdème. Que tout redevienne Éclat & Douceur. Avec la palette du correcteur, elle neutralise
vert contre rouge
orange contre violet
jaune contre bleu.
Sa base doit être légère à la vue comme au toucher, même s’il n’a pas été doux. Elle travaille avec l’extrémité plate du pinceau. Finition mat. Couvrance totale et impeccable. Elle corrige ses cernes, rattrape sa mauvaise nuit. Elle applique le bronzer. Se souvient de ce voyage en Thaïlande, les eaux limpides, les plages de sables fins, le grain parfait de sa peau qui se gorgeait de soleil. Comme elle était mince et galbée dans.
Doucement. Le creux de ses pommettes, la mâchoire. Elle redéfinit ses contours affables. Bonne mine escomptée, blush estompé. Elle tapote la poudre, une formule finement moulue comme le café livré à domicile dans des petites capsules en aluminium. Conservation optimale et zéro défaut.
Sans sucre, le café est posé dans un coin. Elle n’a pas oublié de lui préparer le sien. Quand elle se penche pour maquiller ses yeux, elle fait attention à ne pas renverser sa tasse. À ne pas tacher le tapis blanc qu’elle a déjà eu tant de mal à nettoyer. Toutes les serviettes et peignoirs sont assortis. Comme à l’hôtel de. Et cette douceur lui manque.
Au crayon à sourcil, elle brosse une ligne définie et arquée. Une trajectoire pourtant sans surprise. L’ombre à paupière est bleu de givre avec des paillettes au centre, juste un peu, pas trop, car elle sait que cela ne lui plaît pas. Elle tire son trait d’eye-liner bien épais, puis ses cils au mascara. Neuf fois plus de volume, deux fois plus de courbes.
Comme il l’aime. C’est ce qu’il a dit.
Sa bouche forme un cœur. Sa main tremble. Elle dessine, dépasse légèrement, d’une couleur plus claire que le rouge à lèvres, qu’elle mange un peu avant de glosser sa bouche.
Ses cheveux peroxydés, non les racines ça va encore, rayonnent comme le tube néon. Un halo brille dans ses yeux boueux. Et son reflet rebondit entre le miroir grossissant et celui, immense et sans rebord, au-dessus de l’évier. Une infinité de fausses Maman.
Et toi, Ma Princesse, tu cherches de la ressemblance dans ce rituel qui te révulse. Tu oses demander un pourquoi, saisis un pinceau dans ce silence, juste le temps de mordiller ta langue en pointe. Bien rouge. Comme la voiture qui attend et qui klaxonne furieusement.
Pour être jolie, Maman dit, mais tu n’en as pas besoin, toi. Non, tu n’as pas besoin de cacher les ombres autour de tes yeux bouffis, ni d’égaliser le tracé d’une bouche enflée d’avoir mal parler. Les gros mots, c’est moche dans la bouche d’une fille. C’est comme les avis. Mieux vaut ne pas trop l’ouvrir. Qu’on ne voit pas ton sourire mal aligné. Après tout, tu n’as rien à dire et vous êtes en retard. Dépêche-toi, si tu ne veux pas que.
Dans la voiture rouge, les yeux rouges. Tu t’es maquillée comme une.
Au repas de famille, lui qui rôde près du barbecue et le chien à la langue si râpeuse sous la table. Tu mets la main bien à plat pour donner la viande trop cuite que tu n’arrives pas à finir. Tu en voudrais un comme ça et il te l’a promis, le jour où tu seras première de la classe, mais tu écris si mal comparée à ta cousine Sisi, elle qui est si studieuse, si sérieuse et si et les phrases sont mangées et régurgitées jusqu’à la nausée, t’aurais plutôt dû choisir l’autre, celle qui a les hanches plus larges, plus facile pour enfanter, mais bon elle est jolie-jolie quand même, Ma Princesse, elle ressemble tellement à son. Tu connais la chanson. Pas besoin d’être intelligente. Pas besoin de parler.
Molaires bien écrasées et canines en dedans.
Plus tard, le goût du sang qui s’enroule vers le siphon. En brossant tes dents tordues, tu te regardes dans les yeux. Ce sont les mêmes que. L’éclat jaune fiché là, une tare de naissance. L’impureté. On t’a pourtant répété que tu fais partie de la race des Seigneurs, que tu es si jolie-jolie avec tes cheveux si longs et si blonds.
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POUPÉE BARBIE
Sa tête repose près du corps, dans l’évier. Le blanc de sa peau de Seigneur Blanc si fier, si loin est le soleil de Phuket et le rouge à ses lèvres bleuies. Les membres et le tronc s’entassent dans la baignoire. Impropre à la consommation. Et puis, ça n’arrête pas de couler, ça déborde et ça se mélange à l’essence en un miroir étale. Sol et plafond se mirent.
Dépêche-toi si
non.
Elle prend le temps. De choisir la pince pour arracher les dents, pas si longues et pas si pointues. Les ressemblances savent parfois mentir. Tant mieux. Elle apprécie ses gestes, la résistance de la racine implantée dans l’os. C’est insane comme certains choses restent là où elles sont malgré tout ce qu’on peut leur infliger. Combien l’idée même du trou peut sembler vide. Alors, se ratatiner contre ce qui reste, les débris qu’on rassemble autour de soi, à l’intérieur du petit trou pas encore vacant qu’on creuse pour soi-même. Et trrrembler plutôt que de.
Dehors, un frisson mécanique.
Elle remet la perruque sur son crâne nu
atomic blonde
blue monday
bmw m3 e46
_______________rouge.
Les vapeurs qui montent encore.
Elle ne vérifie pas son reflet absent. Les infinités se télescopent. Elle est incapable de se regarder en face, de revenir dans cette salle de bain, dans cette maison témoin sans témoin. Les couches successives de sa mémoire s’écaillent, mais elle se souvient de.
Contre la gencive, la langue qui tâte toujours les absences.
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FRANCS
Tu l’as peut-être bien méritée, dit la Maîtresse quand Vincent t’a giflée pour avoir shooté, fort et loin, le ballon que tu as pris en plein visage. La boue encore collée à tes si jolis-jolis cheveux blonds, du sang goutte de ta lèvre. Allez, ça va passer, va donc te débarbouiller. Et sans traverser la cour par le centre, cette fois-ci. Des mots en trop, comme tous ceux que tu garderas pour toi. Et pourquoi tu ne t’es pas défendue. Et pourquoi tu. Tu rases les murs jusqu’aux lavabos roses et penchés. Tu craches. Tu pisses et tu craches encore alors que des filles se précipitent dans les cabines pour que les garçons ne les trouvent pas. Qui n’ont pas le droit d’entrer mais entrent quand même. Tu as vu Machine ou
non.
Tu commences seulement à comprendre les règles de ce jeu-là.
Je compte jusqu’à. Et si tu.
Ça ne compte pas. Pas quand on aime. L’amour se dilue comme des arcs-en-ciel entre les bateaux du port, légers mais gras. Ça flotte en nappe sans se mélanger avec. Un reste de poisse à l’intérieur de la bouche. Tes petits doigts serrés, tout enveloppés dans cette main-là, ont été cueillis dans la gangue chaude et ferme, tes petits doigts tout pégueux de la glace que tu as fini avec peine. Car il ne faut pas gaspiller. Et puis, tu l’as voulue, n’est-ce pas, tu l’as voulue et tu l’as eue. Alors.
Maman regarde la mer, elle a fait ça toute la journée. Bronzer entre les Regarde, regarde Maman et les Fais attention et les Ne t’éloigne pas trop loin. Bronzer et te surveiller entre les vagues à chercher des trésors de babioles pendant qu’il faisait du jet-ski avec ses amis de Laloicémoi.
Ceux-là qui promènent leur chien comme on promène des enfants, mais en aboyant beaucoup moins car il est plus sage que toi. Il fatigue moins Maman.
Maman qui est si fatiguée et qui ne voulait pas sortir ce soir. Autour de son cou la chaîne avec sa médaille à la Vierge et maintenant un corail rouge. Alors, ça te fait plaisir. Bien sûr, c’est magnifique. Alors pourquoi tu ne souris pas. Je suis un peu.
Et toi, hissée, sur ces épaules de géant, Ma Princesse, ma toute belle, tu pourrais être la reine du monde. À toucher, presque, du bout de tes doigts poisseux, les feux d’artifice qui éclatent.
La myriade de couleurs dans la nuit, dans ton lit, quand tu serres si fort tes paupières pour invoquer ces petites taches lumineuses qui pétillent pour ne pas.
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MOIS
Le ventre rond comme une pleine Lune. Des constellations de flocons sur les vitres. Un futur Petit Prince. Maman décore le sapin avec des boules de chocolats et dit j’ai envie de. Mais pas trop, tu as déjà pris plus de quinze kilos. Tu dois.
Tu te caches pour grignoter. Tu caches ta bouche quand tu maches, pour ne pas avoir de carries sur tes dents déjà tordues. Tu fais attention à ne pas tacher le canapé et à bien jeter l’emballage. Tu fais toujours attention. Que tout soit bien à sa place quand tu entends la voiture, sinon.
C’est bientôt Noël et tu n’auras pas de chien, tu le sais déjà. Tu ne crois plus au Père Noël. Tu es une grande fille maintenant. Tu comprends ces choses-là. Non que tu n’aies pas été sage. Tu l’es toujours, sage comme une image, et tu as fait tout ce qu’il faut à l’école. Tu as fait des efforts, beaucoup, tu es devenue la première de ta classe mais après-tout, ce n’est pas pour faire plaisir que tu le fais, c’est pour toi. L’avenir. Tu comprends, bien sûr, les promesses, c’est comme les tasses à café oubliées et bousculées, ça finit par se casser parce qu’on ne les a pas placées au bon endroit.
Tu ravales ta salive pleine de sucre et cela te donne mal aux dents. Et puis, un petit-frère c’est encore mieux. Ça transmet le nom. Toute la famille est heureuse et la maison est bien rangée, bien propre, tous les jours. Donc. Tu n’as pas besoin d’un animal de compagnie, il faut s’en occuper, le sortir, le nourrir, ça salit et on ne peut pas l’emmener en vacances
pas comme les amis de.
Alors, tu gardes pour toi ce goût de joue mordue, car cette année encore ce sera chez. Même si cela fait des heures de route, avec le bébé en plus, et puis on avait dit que cette année on. Cela fait longtemps que.
C’est important la famille. Et puis, Ma Princesse, tu aimes ta cousine, elle est si gentille avec toi, si et si. Tu comprends, bien sûr et tu voudrais que Maman aussi. Qu’elle n’en fasse pas toute une histoire.
Pourquoi tu pleures. Ça sera comme ça. Comme tous les ans. Quand je dis blanc, c’est blanc
_________________________de l’ambulance
_________________________des linges de bains tachés
_________________________du petit cercueil
Les amis et la famille et les gens d’armure, qui sont les mêmes, à la maison. Quelle idée de faire ça un 24 décembre franchement, queldommageçaarrivetuenferasd’autres. Ta si et si gentille cousine dans sa si jolie-jolie robe qui a eu les félicitations de.
Tu maches longtemps, jusqu’à ce que chaque petit morceau de viande devienne de la bouillie.
La langue râpeuse et chaude sous la table. Les crocs luisants.
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ANS
Quoi, t’as tes règles, tu pourrais être.
Vincent ou Valentin ou Viorel ou. Interchangeable comme le carrelage des toilettes des filles toujours aussi rose. Impossible de pisser tranquille. Toujours à vous renifler le derrière.
Le poignet dans l’axe. Le pouce en dehors. Les phalanges à plat. La détente part de la cheville jusqu’à l’épaule. La ligne droite d’un arc de cercle infini. C’est comme danser, tout est dans le timing.
Le nez qui s’aplatit.
Tu craches. Ta langue passe sur tes bagues. L’orthodontiste t’a promis de te faire des dents aussi belles que tes yeux. Toi aussi, tu as promis.
De le mordre, pour qu’il ravale son sourire commisératif bien blanc où tout est à sa bonne place.
Tu penses au chien, à sa langue râpeuse sous la table des Seigneurs, à ce pauvre chien qu’on a fait piquer parce qu’il a mordu la main de. Car il ne faut pas mordre la main qui te nourrit. Cela fait partie des règles. Tu as encore à apprendre.
Tu testes les limites, dans les longueurs et les largeurs de tes vêtements, dans la distance que tu éprouves avec ce corps qui gonfle et remplit un moule que tu refuses, et les limites s’heurtent à toi comme des murs.
La Loi c’est moi.
Les cheveux tondus et jetés dans la baignoire pour ne plus se faire attraper.
Espèce de petite.
Baisse les yeux quand je.
Ne fais pas comme ta.
______________ est morte,
vive la Reine.
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PAIRES
les pattes de la scolopendre tricotent des rêves et au creux de son corps en spire les œufs ronds et dorés qui éclosent
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DENTS
R. crache un morceau de porcelaine cassée. Elle vide sa raclée dans la cuvette, chiale et vomi. Ses doigts gluants excavent et déclenchent des feux d’artifice. Dans sa mâchoire, des bourgeons qui cherchent à éclore.
De la fenêtre, R. entend la fête qui trinque encore, qu’elle a quitté pour une autre, cette fille noire et électrique qu’elle a embrassé et caressé dans une autre salle de bains dans une autre maison en priant
une sainte au visage de suie qui dansait sous l’averse, la toile de ta robe tendue sur ton ventre gravide, tes bras déployés, tes pieds nus frappaient l’herbe moite, une ronde furieuse, sillage de cris et d’armures, et d’entre tes jambes jaillissait un essaim d’or noir qui s’enfouissait à la menace des lumières croisées
j’avais trop bu ou pas assez, fumé trop peu pour halluciner et tout avait
un goût de foudre
dans ma bouche
les scolopendres jaillir et s’enfuir sous les pierres, moi aussi, j’aurais peut-être dû mais, mais, j’ai pris ta main griffue pour me presser tout contre toi, m’écraser avec toi, au contact de tes côtes d’où chacune de nous émerge, parce que moi aussi je saignais et que je ne voulais plus avoir honte, ne plus danser sur leurs cantiques mais sentir la terre rugir, nous demandant pourquoi nous avons été faites ainsi, oui pourquoi
alors que nous savions
et nous dansions sous l’averse, les coups du sort et nos propres liturgies, cherchant toi à m’apprendre et moi à prendre ta langue dorée entre tes canines noires
la joie liquide
entre mes doigts
tu te fracturais et entre tes cuisses je crois que quelque chose est tombé pour mourir
et nous l’avons enterré parmi les dents de lait de nos précédant enfants
je dansais
la danse de celles qui n’ont jamais appris à obéir
c’est pour ça qu’ils t’ont brûlée
pour avoir empoissonner la terre où plus rien n’a poussé après eux
et pour cela j’ai dansé et j’ai dansé
sans rentrer assez tard pour ne pas faire aboyer le chien. Le cadeau des amis à son. Tous des gens d’armure qui n’entendent jamais rien de leur tapage nocturne, déjà parti pour revenir bientôt. Et puis tu vas dire quoi, à qui et.
R. l’a peut-être bien méritée, après tout pourquoi, trop de, pourquoi pas, le cœur en balance, pèse les pours et les contres dans les gencives
________la chair trop longtemps mâchouillée.
Les rainures du carrelage blanc et des taches roses qu’elle ne peut gratter pour toucher la terre, l’humus. Quelque chose à creuser, un endroit profond où ruisseler. L’odeur humide et minérale de la décomposition. La bouche pleine de.
Elle vertige.
Lors,
le visage noir et juvénile de la Très Sainte Astarté
_____________________________________________________se penche sur elle
_________________________________________________________________________puis parle.
Cette bouche s’ouvre et se referme à la manière d’une lamproie.
Un cri succion bouillon, la langue qui râpe dans le cou.
L’air se contracte, la nuit
_____________________________soubresaute
____________________________________________un corps
_________________________________________________________trémors
Maintenant lève-toi et.
55
KILOS
sommes nous la somme de nos
squelette 10,45 kg
sang 4,95 kg
muscles 17,6 kg
graisses 5,5 kg
peau 2,75 kg
tissus conjonctifs, 2,42 kg
organes internes 8,1 kg
dont glandes salivaires 0,04 kg
contenu digestif 5,65 kg
89
MUR
T'es pas de l'Est. Non non, pas du tout. Je croyais.
Une couronne fade et triste. Les trophées de chasse. Un quelconque métal fondu dans le regard, les jolies canines en dedans, le rideau de fer qui n’a pas tenu longtemps entre eux. Un soir, juste comme ça. Un amour de pur sang contaminé. Il pleuvait. Iels ont dû rentrer vers un quelque part indéfini, s’abriter l’un contre l’autre de la morsure de l’aube.
L’intérieur des joues encore à vif de tout ce qu’elle n’a pas osé dire. La faim refoulée avec des clopes et des cafés, dans cette cuisine étroite avec des verres à moutarde comme cendrier.
Wissem fume des mentholées, des cigarettes longues et fines de pétasse qu’il range dans une boite en argent brûlant. C’est le compromis qu’il a trouvé entre cinq prières par jour et le shit. Mais ça n’a rien à voir. Si, c’est de l’enfumage tout pareil. L’opium d’un peuple qui a trop mangé de sable et de ciment pour construire des citadelles sans soleil avec des canapés sur les trottoirs. Qu’il fait, parfois.
On devrait faire comme les animaux. S’accoupler sans vergogne et se cacher pour mourir.
Pour ce que les gens d’armure en ont à foutre quand ils ramassent, mais elle se tait. Wissem aime malgré lui les hommes qui n’aiment pas les femmes.
C’est une malédiction, un peu comme toi. On ne choisit pas qui nous mord.
Un serpent comme un cheveu de Méduse sur son bras, une histoire pas racontée mais sans s’il te plaît. Une cicatrice qui gratte, encore du venin sous sa peau. Le remords d’avoir. La honte d’être.
Et il lui en tend une.
Mentholée donc. Comme le thé, pour changer, la fumée mielleuse qui fond par-dessus tout ce que la vie rend amer, ce qui ne change pas.
Les rêves. La maison, le chien, la piscine, la voiture. Maman a eu tout ça, et maintenant elle avale des kilomètres de surplace avec l’espoir imbécile que la solitude et le deuil lui pèsent moins que ses kilos de grossesses déjà évanouis. Elle marche chaque jour que Dieu fait sur son tapis pour n’aller nulle-part ailleurs que chez le psy ou à l’hosto parce que, parfois, c’est l’enfant qui alimente le parent et que la foi, ça ne suffit pas à remplir les tasses ébréchées.
La chaleur entre leurs paumes et dehors l’air dilaté et trouble au-dessus du goudron suant du diesel, et plus loin encore, la mer ver laquelle le serpent, la gueule grande ouverte et suintante.
Regarde comme on peut s’en sortir. Il suffit juste d’être malin. Il suffit juste. Non, c’est comme le casino. Toujours la maison qui gagne. Celle avec des façades bien blanches, bien alignée sur le littoral. Elle sait, se souvient même si c’est vague, trop vague. Enculoception. C’est tout le principe.
Et puis, se perdre de vue. Partir vers une autre terre promise.
Au fait, tu savais que.
Oui. Depuis le premier soir.
144
MÈTRES CUBE
la scolopendre tombée dans la piscine gigote et gigote
alors, ça fait quoi de se noyer dans un monde qui n’est pas pour toi
233
KILOMÈTRES PAR HEURE
Longtemps, R. a rêvé de l’allumette et du bidon d’essence. Maintenant la baignoire en est bien remplie. Du sans plomb 98, la belle mécanique dormant dans le garage mérite le meilleur des octanes et cela a pour elle le goût de la vacance quand elle siphonne une partie du réservoir.
Elle aspire et crache
les nuits d’été et les trous
les fœtus recroquevillés, leur petit corps en boule de papier fripée à même la terre
les auréoles d’encre trop sombre et les doigts collés poisseux aux ongles rongés comme un os
le chien qui n’aboiera plus et la scolopendre sous une pierre lovée autour de ses petits
tous ces rêves et ces promesses cousus de fils blancs
le miroir qui ne renvoie plus rien que des crocs noirs dégouttant
et l’averse sous laquelle nous danserons pour l’éternité.
Ce que la mémoire dévore perd ses couleurs et ses contours, et on peut tenter de gribouiller par-dessus, ça ne comble pas les tombes.
R. ne veut pas se souvenir alors tout se mélasse
qui es-tu W. dans quelle vie nous sommes-nous croisés abrités du soleil pour nous quitter sans nous dire que l’on se manquera et toi V. ou un autre y croyais-tu ou bien n’était-ce que l’idée chassée aussitôt déçue cassée dépouillée oui dépouillée de tout alors quelle force faut-il pour encaisser puis rendre les coups quand la vie te tort le bide et te relever et danser encore une fois au milieu d’un champ de bataille le damier noir et blanc et puis qui t’as appris les règles toutes ces règles tordues à suivre sans perdre le rythme et Maman oh Maman pourquoi tes yeux ont-ils la texture de la boue dans laquelle je m’enfonce et pour qui sont toutes ces tombes au fond du jardin que nous n’avons jamais eu dans cette foutue tour grise et jusqu’où courent nos racines et pourquoi la mer est-elle si loin et pourquoi ne m’as-tu donc pas appris à nager là où nous n’avons pas pieds et où vague notre fureur si complaisante pourtant à ne pas mourir sans bruit et sans reflet ni ridule dans l’eau
Il y a dû avoir des moments heureux, imperméables à la peur de ne rien mériter. Des plongeons, des courses effrénées pour prendre de l’élan, attendre d’être assez grande et le regretter, ces bougies aux anniversaires après la pastèque à la chair rouge et la chair rouge des côtes de bœuf au barbecue, la viande sortie du frigo et les glaces qui donnent mal aux dents et les dessins sous les magnets
non, pas plus qu’il n’y a eu de traces de doigts sur la portière chromée ou les vitres
et de trace il ne restera pas tandis qu’elle asperge jusqu’à sa maison de poupées.
criiiic
Elle ouvre un peu les fenêtres que ça n’explose pas tout de suite et se faufile comme un courant d’air.
Les glaçons grelotent à ras-bord dans le sceau pour ses phalanges, mais les larmes ne débordent pas.
377
LE PLAISIR DE CONDUIRE
elle t’aurait plu cette putain de bagnole
j’aurais vraiment eu l’air d’une pétasse
oui, et tu aurais été magnifique
610
PAGES
À dix-sept ans, E.R., orpheline aux yeux dorés tellement rares que tout le monde la remarque mais elle, non, pensait n’être qu’une banale humaine. Jusqu’au jour où, lors de son arrivée à la Maison Blanche, elle se fait attaquer par un Chien et sauvée in extremis par Vespert Valerius Von Vinsdiesel, prince vampyr millénaire, ténébreux, tatoué, dangereux, insolent, immortel, badboy ultime.
Il flaire aussitôt son odeur et comprend l’impensable. Elle est son Âme Sœur Destinée, prédite par une prophétie interdite. Et en plus, elle possède un sang capable de donner un pouvoir illimité aux créatures de la nuit.
Sauf que V4 a juré de ne jamais aimer. Parce qu’il porte en lui une malédiction. On raconte qu’il a accidentellement consommé l’âme de sa fiancée lamie, la vidant de toute émotion, la condamnant à mourir dans ses bras, incapable même de se souvenir de l’avoir aimé. Sous la pluie, si y’aurait eu le doute. Dixit le prologue ultra chamné où la moitié est écrite en italique parce que ça rend tout plus intense.
Pour couronner le tout, et ça va avec la couverture en noir mat brillant sa mère, le jaspage crocs et poignards et des filagrammes rouges qui justifient le tarif en relié, le roi des Vampyrs, son daron trop mégacruel et aussi prof doyen des arcanes de la mort qui tue, veut utiliser E.R. pour devenir invincible, tandis que le chef des Chiens alphas, jaloux et ultra musclé, plus que les autres donc, affirme que c’est lui son véritable destin.
Entre bals gothiques, morsures passionnées, tu es en danger, reste loin de moi et coïts dans des chambres secrètes éclairées à la bougie, E.R. devra choisir entre sacrifier son cœur ou plonger dans une passion éternelle avec l’être le plus dangereux du monde.
Alllezzzz, encore une histoire de psychophages avec une romance en zona grisettepasgrisette avec des ressemblances fortuites jamais gratuites.
Em prend la vie au sérieux, même si elle s’en fout. Sur les chiottes, elle scrolle son stock de scalp et y trouve la brique collector puis envoie un message à sa cliente pour lui dire qu’elle a déniché son précieux pour un peu moins de 100 euros.
Elle vide sa cup en se demandant si V4 verse dans ce type de cringerie. Une scolopendre cavale derrière les WC quand elle tire la chasse et la fait bondir, alors elle se commande des sushis pour se remettre de toutes ces émotions de femelle émoustillée par les hormones et la monnaie facile.
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SIX CINQ QUATRE TROIS DEUX
comme on compterait les jours qui nous séparent de notre dernier vrai baiser
Em fait la fête, comme pas assez souvent. Avec sa bande de poétesses, de queers, de programmeurs et d’auteurices de fanfictions à faire la tournée des tables rondes dans les bars. Toustes paumées mais gramme rien de la galère et tard le soir, elle partage sa solitude à son ami, lovée cette étreinte qui n’engage qu’à un peu de chaleur. Les cicatrices serpentines de Woma dans la chair de ses bras qu’elle redessine, un dessein d’avoir mal aimé et d’être trop ou pas assez et qui, un soir, lui dit il faut que je te présente.
Un bolide de chasse, un monstre écarlate qui criaille près de la plage. Et de la portière conductrice, une petite femme sèche en jaillit. Un crâne de torpille atomique au duvet blond. Sur ses bras, la chair de poule.
Statique et attitude de statue. Et tu te dis, ma pauvre E. sans aime, je veux. Je veux me noyer entre ces cuisses-là. Dans le muscle et le sel. Je veux goûter sa pâleur et sa salive noire. Je veux ramper à l’intérieur d’elle et la faire ramper à l’intérieur de moi.
C’est ce qu’on appelle un coup de foudre. Là, fiché dans l’œil halluciné de celle qui n’émerge jamais de la nuit. Les bains de lune. Le sable dans la culotte et dans les chaussures. Woma qui fume en ricanant et qui la salue en partant.
Au début, Em a l’impression que R., c’est beau comme nom, un nom qu’on gagne à la guerre, est son aînée en toutes choses. Elle apprend à conjuguer le verbe aimer selon la météo. Température et pression de R.
Il a je et il y a tu mais jamais de nous. Jamais jamais, mais le désir, oui. Un creux à combler dans le ventre, elle se sent molle contre ce corps dur comme une terre qu’on griffe, ou un dos, pour chercher l’eau dans le désert et ne boire que la poussière sèche et brûlante reste sa gorge enflée, mais c’est déjà boire que l’idée de l’humide sans le goût des larmes. Celui albumineux et purulent de cette glaire épaisse et trouble du nid qui agglutine leur vie l’une contre l’autre comme des dents qui se chevauchent. L’eau trouble de l’amour clair file entre leurs doigts.
Et tu tires la langue pour attendre l’orage.
Au début, ça te rassure, que ça n’aille pas trop vite alors que tout va si fort. Tu penses avoir le contrôle. Tu essayes de faire la topographie de la béance en toi. Où est la lacune, comment remplir, comment ça se condense avant d’exploser, là, juste là. Car c’est toujours l’entropie qui gagne.
Vouloir te perdre pour la gagner, ce n’est pas ce qu’on appelle une bonne stratégie. Et cette histoire tu la connais pour l’avoir lu trop souvent.
R t’épingle quand elle te fait l’amour. Sa bouche est pleine d’aiguilles. Tu es si et si. Et un soir, la bombe dans l’archipel de vos nuits volées, de tes regards sur la plage qui s’attardent sur d’autres corps avec lesquelles tu te compares et tu penses à ce que tu pourrais à perdre pour.
À qui tu penses quand tu me baises.
Ce n’est pas une question. Pas du tout. Alors tu feins de jouir parce que tu crains sa colère. Ou pire, son silence, des accalmies qui résonnent en abandon car R. n’entre chez toi que si tu l’y invites, la supplies.
La vérité c’est que tu la laisserais te gober tout entière. Pour cela tu es mise à l’épreuve. R. teste ta résistance, ta durabilité. Et tu réussis. Gentille toi, comme tu es mignonne et attentionnée et loyale et comme tu mérites d’être aimée. Un vrai labrador. Comme tu mérites cette vie et cette jolie maison en face de la mer si loin de ta troupe de saltimbanques radieuxes, ces weekends arrachés au béton offert avec un argent suintant.
L’horizon de métal. Tu essayes de lire sa froideur, de gratter la peinture rouge et de combler. Tu n’en parles par à Woma. Woma dit que l’amour est un poison et que R. est malheureuse. Ce que tu entends, R. est malheureuse avec toi. Tu as fait quelque chose de mal et tu ne sais pas quoi, mais tu sais, oh oui, que c’est de ta faute. Tu pourrais être plus. Tu pourrais être moins. Tu pourrais, tu pourrais. Tu parles, enfin tu essayes, tu dis les choses clairement, tu penses les dire clairement. Tu déballes ton cœur sur la table de la cuisine parmi les tasses éclatées contre les murs et ça palpite dans ta bouche et dans ton ventre et au bord de tes paupières et pourtant tu y as réfléchi longtemps, tu as tourné les choses suffisamment longtemps pour qu’elles soient mûres mais pas macérées. Tu digères ce silence avant les tempêtes. Et R. répète. R. répète le problème qui a jaillit de ta bouche crispée, ce sont tes mots, le problème avec moi, R. le répète deux, trois fois, le problème que tu lui as dit si clairement, avec toujours un peu plus de sarcasmes, ses dents noircies et la pourriture de son haleine, et tu finis par t’excuser sans jamais savoir ce que tu as fait de mal.
Et un soir, R. rentre et dit tu es fatiguée, tu devrais prendre une douche et ensuite nous irions.
Mais, cette histoire E. sans haine la connait, alors elle ne peut s’en prendre qu’à elle.
1597
LE PHARE DE MARACAIBO
Il est une plaie de la terre où la mer des Caraïbes s’infiltre, là où le Río Catatumbo se verse dans un lac pour y mourir et où toute la putrescence du pétrole escalade l’air contre la montagne et enfle et fulmine. Sur ces bords de lèvres, la nuit, une foudre d’orange sanguine suinte et s’abat sans bruit et sans pluie.
À quelques années près, Astarté aurait assisté à la déroute du corsaire Dragon contre la ville, sa flotte révélée par la clarté des éclairs.
Mais l’errance des siècles et des siècles l’a harassée autant que le poids du collier de fer à son cou et celui de son ventre évidé. Où es-tu mon. Elle a soif et elle tremble parce qu’ici aussi, à l’autre bout d’un monde nouveau, à l’autre extrémité du tourbillon du temps, il est encore des peuples qui apprennent à d’autres à oublier comment danser alors qu’ils ne savent pas nager.
Elle patauge dans les marécages et sa propre fuite, d’un désert de terre à un désert d’eau. Entre ses orteils les serpents d’armure se faufilent et, arrivée à l’embouchure du fleuve, dans les remugles, les litières de feuilles et la moiteur tropicale de la nuit enluminée de rouge et le souffle de la terre qui frémit sans gronder, alors qu’elle patauge depuis longtemps dans ses souvenirs vaseux, des crocs s’enfoncent dans la chair de sa cheville.
La scolopendre sur laquelle elle a marché et le venin qui coagule son sang. La fièvre enfle. Et sur sa langue fond un dernier regret qui a la douceur de la boue.
Plus tard et ailleurs, couchée à même le drap sec de la nuit, dans l’ombre des éclairs, un serpent travesti en homme profère à son oreille des promesses qu’il ne pourra pas tenir
Quand je serai grand et que tu seras petite, alors.
Alors quand je serai morte je ne serai plus jamais.
Jamais jamais. Tu ne peux. Tu sais cela.
Jamais, jamais, jamais.
Non. Seulement j a mais, j a mais.
L’entaille à son poignet et le jus au goût de fruit frelaté qui s’en écoule.
2584
ANS
Et des cendres.
Juste l’envie de trouver un endroit paisible où passer sa mort. Un horizon chaud et sans crépuscule d’ecchymoses. Là où le sang ne stagne pas.
Tu me brûles.
4181
ENCORE
Aimer n’est pas un talent igné.
Dans la salle de bain, l’eau coule et déborde du bac à douche. Toute ce liquide qui s’est écoulé du corps d’E sans plus rien à regretter. Tout inondée de plaisir. Une goutte à goutte sur le rebord de cette lèvre mordue, les canines qui émergent. La soif d’elle, étanchée et pourtant, encore la soif.
m , dit R.
Et face à elle, sans y être, sans s’y reconnaître, les bleus et la texture de l’enflure sous sa mâchoire. Les glandes enflées. Leurs amours rendues coups pour coups. L’empreinte des dents sur l’épaule et le reflet qui se dilue dans un parfum d’ozone, la tension de sa nuque
la tête qu’on perd et qui tombe sur la poitrine pour excaver le cœur des griffures dorées comme de la lymphe noire qui zigzaguent jusqu’à la créature aux mille pattes sangluante
Souviens
nous
qui sommes par essence un acte de résurrection. Recréer, reconstruire le dialogue. Donner du sens à des évènements trop longtemps restés en sommeil. Manipuler un temps indéfini, ramener les morts. Et iels se replacent. Iels se remplissent et se condensent à la convection de la brûlure et du manque, puis éclatent et se propagent et plissent la matière grise du.
Elles se lèvent et.
6765
FULGURE
la scolopendre trop semblable à l’éclair qui spirale autour de nos

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