De Dunkerque à Tamanrasset

2 minutes de lecture

   Le facteur ne pouvait nier être originaire des Flandres. Lorsqu’il avait quitté sa province, pour se fondre dans le paysage, il dissimulait, honteux, son accent. Depuis que celui-ci était devenu à la mode, il se plaisait à en user, voire en abuser avec ceux qui lui apparaissaient sympathiques.

   — Madame Gasmi, cela sent toujours si bon chez vous.

   Essoufflé, il s’assied, illuminant la pièce de son sourire. Si cela sent si bon, c’est que l’on est mardi et que Fatiha cuisait son pain pour la semaine, tous les mardis. Aussi le facteur, qu’il y ait du courrier ou non, montait, vaillant, les trois étages chaque mardi. Comme il grimpait chez les Dupin le mercredi pour se voir offrir une crêpe et un coup de rouge, ou jusqu’à l’appartement des Goncalves pour le bacalhau hebdomadaire. Dans l'immeuble, on se demandait ce qu’il pouvait bien manger le dimanche. On en riait. Mais on savait aussi qu’il se chargeait des médicaments et d’autres menues courses, surtout de quelques minutes de discussions qui distrayaient la vieille dame du quatrième que ses enfants, eux, avaient oubliée depuis longtemps. Quel plaisir de l’entendre s’esclaffer à ses grosses blagues ! Ces retards lui étaient désormais interdits par sa hiérarchie, pour sûr, ce n’était pas à deux pas de la retraite que La Poste lui retirerait son uniforme. Pour essayer de vendre ce qu’il offrait à tous, gratis depuis toujours, sa bonhomie naturelle.

   Aussi, il engloutit de si énormes morceaux de galette de semoule chaude, aromatisée d’épices et d’herbes méditerranéennes, qu’il respire difficilement. Il croit pouvoir calmer ses hoquets à grand renfort de lampées de gazouz. Ce soir, les draps de la femme du facteur seront parfumés par des pets au thym et au ras-el-hanout.

   Il se lève déjà, car si gourmand il est, il n’en garde pas moins une rigueur extrême pour sa mission première, distribuer le courrier en temps et en heure.

   Pourtant sur le pas de la porte, il se retourne, fourrage dans sa besace et en extirpe une enveloppe.

   — J’oubliais que je suis monté apporter une lettre pour le petit.

   Le petit… Zitoun s’était retiré dans sa chambre durant l’irruption du Dunkerquois, qui l’agaçait à venir dévorer la première part de son pain, avant lui, depuis qu’il était tout… petit.

   Il se montre, tendant une main pour saisir la missive.

   — Bonjour facteur.

   — Mince, je suis toujours surpris de le voir si grand maintenant, ce petit.

   Cette façon de parler de lui, comme s’il n’était pas là, le crispe. Mais le sourire du préposé se fige un instant, prisonnier des vertiges du temps, si proche d’une retraite qu’il semble attendre impatient, alors qu’il la redoute, comme une amie trop proche de la camarde. Il se penche, docile, pour permettre une fois de plus aux doigts du facteur de se prendre dans ses cheveux frisés, bien que ce geste aussi, de toute éternité, l’horripile.

   — Je crois que voilà tes résultats, la lettre porte le tampon du ministère de l’Intérieur.

   Levant les yeux au ciel, le… petit arrache le pli, puis claque la porte au nez de l’indiscret fonctionnaire. Que les flammes d’Internet le dévorent à jamais !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire oldup ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0