Chasser la misère

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Au diable ce facteur, pourvu qu’il distribue son courrier.

Zitoun déchire l’enveloppe sans les prémisses d’une hésitation, là où d’autres tergiverseraient, perdraient leur temps. Peut-être aussi croiseraient-ils les doigts, prieraient, qui sait. Sûr de son fait, il ne peut craindre un verdict adverse. Il ne marque même pas un mouvement de surprise en découvrant la mention « refusé » cochée d’un large trait. Ça n’est pas une option possible. Ses compétences intellectuelles autant que physiques ne peuvent être prises en défaut. Pas pour un aussi simple examen, non qu’il eut été facile, mais il lui a été facile.

Agacé par ce contretemps, presque comme par un insecte dont il pourrait se débarrasser d’une unique pichenette, il montre le document à sa mère, pointant la sanction injustifiée de l’index. Jamais ils n’ont ressenti la nécessité de se cacher la moindre vérité.

— Quelle connerie !

Elle jure rarement, de fait ses paroles triviales profèrent juste une évidence. Elle ne doute pas. Elle n’a jamais eu à se défier de son fils. Sa formule exprime une confiance absolue.

— Tu vas aller leur expliquer. Ils vont vite comprendre.

Au-delà des mots rassurants d’une mère, il s'agit d'une tranquille certitude.

Il lui sourit. Elle a posé les mains sur le portrait trop grand exposé en plein milieu du buffet de la cuisine. Elles enserrent les angles du cadre qui abrite la photographie d’un homme sans âge, sec, la peau de son visage est tannée, ses joues creusées. Il porte un uniforme kaki et un calot bleu ciel. Sur sa manche, un écusson tricolore. A sa poitrine, côté gauche une profusion de médailles, sur la droite un insigne sur lequel est dessiné une modeste casbah barrée du prénom GEORGES en lettres d’or, surmontée de la devise « Chasser la misère ». Il se tient raide, sérieux, riche des responsabilités qui lui échoient.

— N’oublie pas ce que tu dois à ton grand-père.

Pas de risque, elle le lui a suffisamment rabâché dès son plus jeune âge.

Il sort, descend en sautant les marches, se retenant à la rambarde lissée, dans ses virages, par des générations de gamins qui se sont agrippés à ces endroits-là.

— Alors, tu l’as réussi cet examen ?

Il dépasse le facteur, le frôlant dans sa joyeuse dégringolade. S'il ne semble plus un enfant, dans cette cage d’escalier, il le restera à jamais. Comme dans tous ces lieux qui ne parlent qu’à lui seul, peuplés de fantômes du passé. La fontaine où avec ses copains, ils allaient se baigner durant les chaleurs estivales, arrosés par des naïades de pierre aux seins nus. Cet immeuble nouvellement construit sur le souvenir d'un terrain vague, où ils avaient fait brûler une cabane de planches à grand renfort de pétards Pirate et Bazooka. L'angle de la place qui l’avait entendu susurrer son premier « Je t’aime ».

Il accélère l’allure pour rejoindre le parcours de 9 kilomètres 75 qu’il court chaque matin, soient 10 000 verges, 30 000 pieds ou 360 000 pouces. Sacré Charlemagne !

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