Des Lustres

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Peio feignit de passer les pages d’un de ses livre d’Histoire. Ses doigts s’aventuraient d’une ligne à l’autre sans comprendre pour autant les mots du vieil ouvrage. Son esprit, quant à lui, vagabondait déjà à des lieux de Biloaï. Bientôt trois heures que Léontine et Milan étaient partis avec les gardes de Liosan. Son beau-père n’avait même pas pris la peine de se déplacer. Le jeune homme lâcha avec leste son livre sur la table basse et se leva aussitôt.

« Pas de bêtise pendant que je ne suis pas là, Peio… »

Il traversa quelques couloirs du Théâtre. Des logements avaient été aménagés pour qu’il puisse vivre caché de Liosan. L’historien rejoignit sa chambre à coucher. Les voûtes de pierre s’arquaient dangereusement au-dessus de son lit. Il s’agenouilla à ses côtés et sortit des poussières une malle. Il l’ouvrit et s'empara d'une fine lame affûtée. Peio la pesa, enserrant son poing déterminé autour du pommeau. Il effectua quelques mouvements circulaires avec avant de la déposer sur les draps. Par la suite, il s’habilla de vêtements de voyage, assez étanche pour se protéger des brises fraîches et de la pluie printanière, assez souple pour supporter les heures à cheval. Puis, il s’arrêta devant le miroir comme pour questionner son propre reflet. Sa barbe bouclée lui donnait des airs sévères. Au bout de quelques instants, il se redressa prenant soin de ne pas se cogner aux plafond voûté, prit sa lame qu’il attacha à sa ceinture et partit dans la direction opposée. Peio descendit les marches deux par deux et se retrouva dans les écuries. Sa sœur l’attendait.

- Tout est prêt ? demanda-t-il, concentré.

Alida hocha la tête. Ses mains s’accrochaient aux rênes d’un cheval. Elle bâilla de fatigue, posant ses doigts avec élégance devant sa bouche, puis elle agita ses phalanges dans sa poche pour en sortir une cigarette. Peio s’y refusa.

- Ne fais pas cette tête ! s’exclama la jeune femme. Les routes sont sûres. Tu n’auras aucun mal à suivre Léontine jusqu’à la capitale.

Peio desserra ses dents et s’approcha de la jument. Elle n’avait rien à voir avec la précédente monture qu’il avait chevauchée pour rejoindre le port de Jera, des années plus tôt. Ses pattes semblaient robustes, son buste confortable et son museau se relevait, signe d'une certaine vigueur.

- Tu vas prévenir Ozanne de ton départ ? le questionna sa sœur.

Peio passa sa main dans la crinière de la jument. Ce détail le préoccupait depuis des semaines. Pour Alida et Léontine, Ozanne était celle qu’on ne voyait pas. Même si leur dernière rencontre datait d’il y a trois ans, elles savaient que la jeune femme n’était jamais loin, à l’instar d’une ombre un peu bagarreuse. Le jeune homme haussa les épaules.

- Je dois récupérer un objet que j'ai laissé chez elle. Si Ozanne est là, je lui en parlerai…

Il enfourcha son pied dans l’étrier et donna une impulsion pour atterrir avec habilité sur la selle.

- Mais je ne l’attendrai pas des lustres.

***

Ozanne sortit de la taverne. Sa capuche emprisonnait désormais ses cheveux emmêlés. Elle se fondait à la nuit. Ses iris incisifs balayaient les rues à la recherche du démon. Son profond instinct de chasseuse et sa haine guidaient ses bottes rembourrées sur la poudreuse.

L’aventurière n’avait pas mesuré les changements qu’engendrerait la disparition d’Hermine. Les ruines n’étaient plus danger et nombreux étaient les aventuriers qui libéraient, par inadvertance, des démons sur leur passage. Si certains n’étaient que folie et destruction, d’autres se permettaient de s’incruster parmi les habitants. Ces comportements n’avaient guère plus d’intérêt que de toujours plus détruire une fois qu’il se trouvait parfaitement intégré. Un principe qui ne dérogeait pas du théorème des entités démoniaques ; ils voulaient toujours plus de pouvoir.

Le second principe permettait de les reconnaître à coup sûr. Ainsi, Ozanne ne prit qu’une heure avant de le retrouver dans les rues. Elle le poursuivit avec une certaine habilité. De ce fait, quand les auberges fermaient leurs portes, les démons n'avaient nulle part où aller. Ils ne dormaient pas, ne mangeaient pas, ne parlaient à personne. Ces entités n’avaient qu’autre habitude que d’errer dans la rue jusqu’au lever du jour.

Sous son épais manteau, le démon parcourait les ruelles avec insistance. Au fur et à mesure de la nuit, les jambes d’Ozanne faiblissaient. La curiosité la poussait à toujours plus accélérer pour la rattraper. D’un autre côté, la vigueur de l’entité ne lui donnait aucune envie de l’affronter. La jeune femme gardait ses phalanges serrées autour d’un poignard.

Soudain, sur un moment d’inattention et de fatigue, l’aventurière glissa sur du verglas et chuta loudement au sol. La forme encapuchonnée se stoppa au loin. Ozanne sauta pour se relever et se cacha derrière des poubelles. Le démon fit marche arrière d’un pas décidé et s’arrêta non loin d’elle. La jeune femme entendit à travers le silence de la nuit, parsemé de quelques hululements, un léger ricanement. Un coup de vent balaya la poudreuse sur la plaque de verglas et des formes géométriques apparurent à sa surface. Ozanne serra son poing autour du poignard. Son coeur brutalisaient sa poitrine de battements féroces, si bien qu'elle peinait à respirer...

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