Les Marées
D’un pas traînant, les talons de la stratège raclaient presque les ponts de bois. Dune portait une toge rosâtre qui se mariait avec le coucher de soleil. Celui-ci illuminait les marées. De ses yeux bleus, elle voyait les étendues d’eau s’enflammait dans le contrebas. Elle se posa, un instant, contre la rambarde de fer, ses coudes s’écrasant de fatigue dessus. Par habitude, elle fouilla le sol à cinq mètres sous elle.
Lorsqu’elle atteignait les plateformes-mitans destinées aux habitations, elle savourait le silence comme elle le ferait d’un bon vin. La ville grouillait un peu plus haut. Et dans le quartier général, elle ne trouvait jamais le repos. Par ici, les voies n’étaient pratiquées que par les riverains et en ce début de soirée, le calme cajolait les maisons sur pilier. Pour autant, elle savait qu’il n’était pas de même pour les soldats parti au combat, il y a quelques jours. Dune n’avait pas eu de leurs nouvelles. Son cœur se serrait. Jamais les alchimistes ne s’étaient montrés aussi agressifs que ces derniers temps.
Elle se redressa pour atteindre sa porte d’entrée. La stratège sortit une fine clé doré qu’elle inséra dans la serrure. Dune tourna trois fois à l’intérieur, fit de même pour les deux autres loquets et rentra dans le préambule de sa maison en soufflant d’exaspération. De suite, elle se saisit d’une seconde clé. Cette dernière se divisait en trois comme une fourchette. Elle ouvrit une petite trappe sur le mur et pointa son accessoire au centre de trois rouages à l’arrêt. Elle tourna avec vivacité et la mécanique se mit en marche de quelques cliquetis bruyants traversant les murs de la maison. Les rideaux s’ouvrirent face aux magnifiques coucher de soleil. La femme rangea avec précaution son trousseau et s’habitua petit à petit à la lumière flamboyante qui laissait découvrir un intérieur simplement décoré. Elle s’avança dans un couloir pour rejoindre son salon.
Une fois dans la pièce, elle sursauta à la vision d’un homme endormi sur son canapé. Les rayons rougeâtres zébraient d’ombre étrange son visage pâle et ses cheveux bruns. Malgré que la maison se soit animés par la multitude de froissements émit par les rouages, Monsieur Baltazar ne s’était pas réveillé. Dune prit soin de ne pas faire de bruit. Cet homme avait sous ses yeux bruts, des cernes brunes qui s’alourdissaient de mois en mois, à croire qu’il ne dormait jamais. La stratège avait sous ses iris la preuve que celui-ci trouvait parfois le repos.
Dune prit le courrier sur la table basse et disparut de la pièce. Elle se retrouva, alors, dans une large salle de bain bleuté. Les miroirs lui renvoyèrent ses traits épuisés. Elle aussi avait besoin de dormir. Ses cheveux courts et blonds s’aplatissaient autour de sa peau lessivée d’un maquillage atténué par les heures de travail. Quelques rides se traçèrent sur son front. Encore fallait-il qu’elle trouve la paix en elle… Monsieur Baltazar l’avait peut-être découverte en ce début de soirée, si bien que le sommeil l’avait gagné. Cet homme de main lugubre avait nombre de secrets, mais tant qu’il accomplissait sa tâche, celle de lui ramener le courrier, elle ne se posait pas de questions.
Dune se passa de l’eau sur le visage et commença à trier les lettres :
De Kenneth Ferl… Elle sourit. La stratège aurait aimé que son beau-fils les invite dans sa villa, mais les trajets éoliens se faisaient dangereux, ces derniers temps. Une lettre compenserait un peu la distance.
Elle jeta quelques lettres sans intérêt dans l’incinérateur de la salle de bain.
De Baltazar… Dune l’esquiva du regard. Ce courrier ne contenait que des ennuis, mais ceux-là n’étaient pas pour elle. La stratège en avait assez sur le dos.
Elle posa sur le côté des reçus importants. Certains de ses collaborateurs se permettaient de l’informer de rendez-vous directement à son adresse personnelle. Elle les ouvrirait le lendemain au travail.
Dune reporta son regard sur la dernière. Une élégante écriture lui réchauffa le cœur. De Léontine Ferl… Des années qu’elle n’avait pas vu cette jeune fille. Désormais, elle avait un fils du nom Milan et tous deux se dirigeait vers les marécages. Elle devait sûrement les prévenir de son départ. Dune espéra, alors, que toute la famille se réunirait durant ces quelques mois pour profiter de ses émouvantes retrouvailles. Léontine n’avait pas vécu des années faciles…
La femme finit alors de se débarbouiller le visage et se dirigea vers la cuisine d’un pas réconfortant. À l’intérieur, le soleil enflammait les mosaïques des murs. Dune remplie d’eau un récipient en fer, ouvrit une trappe sur le mur, l’y déposa à l'intérieur et referma derrière. Elle appuya sur quelques boutons et alla sortir trois tasses d’un tiroir. Au bout de quelques minutes, un cliquetis l’avertit que l’eau était chaude. Elle le sortit et déposa des herbes pour qu’elles s’infusent dans l’eau. Elle entendit, alors, des bruissements familiers dans le préambule. La stratège élabora un pari mental. Combien de temps prendrait-il avant de souffler d’exaspération ? Elle gagna sans trop d’effort. Les pas parcoururent le couloir, s’arrêtèrent à l’orée du salon et déjà, la contrariété plomba l’ambiance apaisante qui y régnait quelques minutes plus tôt. Dune en fut amusée. Elle rempli les tasses de son infusion, les posèrent sur un plateau et retourna dans le salon avec. L'homme la regarda d’un air contrarié. Ses yeux émeraude plongèrent dans les siens. Elle sourit tout en déposant le plateau sur la table basse.
- Que fait-il ici ? chuchota-t-il agacé.
Dune haussa des épaules. Elle se redressa tout en répliquant malicieusement :
- Ce ne sont pas mes affaires.
La stratège fit, alors, un tendre clin d'oeil à l'homme qui se grattait, soucieux, sa barbe poivre et sel. Elle récupéra l’une des tasses brulantes. Au moment de quitter la pièce, Dune se retourna vers lui.
- Je vous laisse, finit-elle. Ménage-le un peu, Liosan.
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