Chapitre 3

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Quatre heure de matin, la mélodie de Man in the mirror retentit. Il se réveilla en sursaut et dans la précipitation à chercher ses lunettes Gabriel fit tomber son téléphone. La sonnerie s’arrêta alors qu’il sortait de son brouillard ensommeillé. Le téléphone à la main, il rappela le numéro qui s’était affiché et qu’il avait reconnu.

- Allo ?

- La prochaine fois, je te conseille de décrocher sans tarder Bages.

- Je vous signale qu’il est quatre heure du matin et …

- J’en ai rien à foutre. Le patron veut savoir où tu en es avec l’autre petite pute.

- Elle s’appelle Laura Johnathan.

- Oh comme c’est mignon. Alors ?

- Ça avance.

- Ça avance ?! Parce que tu crois qu’il va se contenter de ça le boss ? Je te rappelle dans un mois et t’as intérêt à avoir autre chose à me dire, compris ?

Son interlocuteur venait de raccrocher. Il avait soif. Les lames des stores laissaient passer la lumière terne des lampadaires de son quartier. Laissant juste assez de luminosité pour qu’il se dirige dans sa cuisine. Il s'installa à la table de sa cuisine et le souvenir d'une séance avec sa cible lui revint en mémoire.

- Mon père est mort juste après ma nomination. Il était tellement fier de moi. S'il me voyait aujourd'hui.

Ils avaient parlé un moment de son père. Elle avait une relation fusionnelle avec lui. Il se souvint avoir ressenti une pointe d'envie. n'ayant pas connu son propre père, il avait eu un petit aperçu de ce que pouvait être une belle relation familiale au travers de l'histoire que Laura racontait. Il sentit poindre un attachement qu'il refoula aussitôt. Il bâilla et retourna se coucher.

Laura venait de finir une bouteille de Martini bon marché qu’elle avait gardé au fond d’un placard. Grisée par l’alcool, elle déambulait dans son appartement en réalisant une chorégraphie titubante sur un air de musique viking. Se cognant, grognant et frappant le vide. Elle revoyait des visages aux regards accusateurs. Et ces visages ne cessaient de lui répéter :

- Elle est morte à cause de toi John.

- Cette gosse n’avait que dix-sept ans.

Aujourd’hui, c’était l’anniversaire de sa mort. Tiraillée par l’alcool et les remords, elle hurla de rage et fit valdinguer tout ce qui se trouvait à portée de bras. Son remu ménage tardif réveilla un des voisins qui vint tambouriner à la porte pour lui demander d’arrêter. Furieuse, elle partit ouvrir avec à l’esprit l’idée de cogner sur cet inopportun comme il tapait sur sa porte. Mais elle croisa sur son chemin les dossiers qui avaient atterri sur le sol et tomba de tout son long. Sa tête heurta le coin de la table basse et elle perdit connaissance.

A son réveil, c’est un mal de tête carabiné qui lui servit de compagnie. Sa vision était floue et le frottement de tissu qu’elle entendait lui indiquait qu’il y avait du mouvement. Elle était allongée dans un lit. Confortable et chaud, il avait un parfum familier et cela la rassura. La bouche pâteuse elle essaya de parler. Ce qui s’échappa de sa gorge était roque et incompréhensible. Les mouvements se rapprochèrent.

- Chut ma douce. Bois ça.

La voix était calme, posée. Elle bût. Cela lui fit du bien. Le néant s’ouvrit à nouveau devant elle et elle sombra dans un profond sommeil agité de rêves étranges.

- Bonjour mon cœur. Tu as bien dormi ?

- Bonjour Michael. Très bien. Même si ta présence dans le lit m’a manqué. L’opération s’est bien passée ?

- Oui ! On a sauvé le patient. Je suis rincé.

- Prends-toi un bonne douche mon amour. Je vais te faire un sandwich, tu dois avoir faim.

- J’adore quand ma petite femme inspecteur s’occupe de moi.

Assis sur le fauteuil du salon de leur maison de banlieue, Michael regarde Laura sautiller jusqu’à la cuisine dans son pyjama en coton bleu. Elle allait bientôt accoucher de leur premier enfant après une fausse couche et un enfant mort-né. Il savait au fond de lui qu’elle avait peur mais elle gardait son sourire comme si les épreuves ne l’avaient pas atteinte. Absorbé dans ses pensées, il l’entendit appeler. Au son de sa voix, il se précipita jusque dans la cuisine.

- Il faut y aller chéri, le travail a commencé.

Elle gémissait dans son sommeil. L’appelait par son prénom. Pleurait puis souriait. Cela faisait bien cinq jours qu’elle était dans cette abîme.

Il ne se rasait plus et ne se présentait plus au club. Il avait laissé ses affaires à son homme de confiance et il recevait des comptes-rendus qu’il ne lisait même plus. Il était allé la voir pour faire le point sur l'affaire qu'il lui avait confié. Et il l’avait trouvée là, baignant dans son sang, la bouteille de Martini vide à côté d’elle sur le sol. Elle respirait encore faiblement mais elle respirait. Par chance sa blessure au crâne ne présentait pas d’hémorragie mais l’alcool avait fluidifié le sang et elle en avait perdu beaucoup. Il avait appelé ses gars et l’avait faite transporter dans son infirmerie au sous-sol du club. Il s’était occupé d’elle de son mieux. Maintenant c’était à elle de faire le reste. Fou d’inquiétude, c’est à peine s’il dormait et mangeait. Il avait l’air d’un loup prêt à tout. Il se foutait bien de ce que Peters pouvait faire. Heureusement Mr T c’était occupé de tout. Ayant appris la nouvelle en cherchant à la contacter, il avait géré le dossier. Moreau put sortir de l'ombre et utiliser le moyen de pression qui lui avait été fourni. Ainsi, Peters avait battu en retraite. Pour combien de temps ? Cela restait à définir mais ce n’était pas la priorité de Michael Paolino pour le moment. Laura se battait et Doc donnerait tout ce qu’il avait pour qu’elle lui revienne saine et sauve.

Vers minuit, elle ouvrit à nouveau les yeux. Elle mit plusieurs minutes à reconnaître l’endroit où elle se trouvait. La pénombre de la chambre était à peine dérangée par la lueur rouge du réveil sur la table de chevet. Elle se sentait engourdie et ankylosée. Un peu perdue et confuse, elle ne savait plus très bien ce qu’elle faisait ici. Un sentiment étrange d’appartenir à deux mondes l’envahit. Elle entendit les pleurs d’un bébé au loin. Sa fille. Elle ne comprenait pas vraiment comment cela était possible. Animée par un instinct qu’elle pensait inexistant, elle se releva difficilement pour voir sa fille. C’est à ce moment-là que Doc se réveilla. Assoupi dans le fauteuil, il la veillait comme il le faisait depuis presqu’une semaine. Il s’approcha et alluma la lampe de chevet qui diffusa une lumière chaude et réconfortante. Laura regarda l’homme qui s’asseyait sur le rebord du lit. Elle le reconnu mais il était différent de celui qu’elle avait gardé en mémoire dans ces plus récents souvenirs.

- Chéri, le bébé pleure, il faut aller la voir.

- De quel bébé parles-tu ?

- Comment ça quel bébé ? Je parle de notre bébé.

Il sentit la panique monter dans la voix de Laura. Confuse, elle tenait un discours incohérent. Elle essaya de se lever. Il lui intima de ne pas bouger et lui assura qu’il irait voir leur bébé dès qu’elle se serait rendormie. Il lui administra un léger sédatif et elle repartit dans les bras de morphée.

Au petit matin, lorsqu’elle se réveilla, elle savait exactement où elle se trouvait et qui elle était. Mais elle était incapable de se souvenir de quoi que ce soit. Elle se leva, une douleur lancinante à la tête. Elle porta ses doigts au bandage qui lui entourait le crâne. Elle était seule dans la chambre. L’eau gazeuse qu’elle se servit était plus que bienvenue. Comment était-elle arrivée ici ? Que c’était-il passé ? Où donc était Doc ? Un vertige la prit et comme si son corps lui parlait, elle décida de se rallonger. Elle somnolait quand Doc rentra dans la chambre. Il s’allongea à ses côtés et s’endormit à son tour. Vers midi, ils se réveillèrent plus ou moins en même temps. Elle le regardait sans mot dire. Jamais elle ne l’avait vu aussi négligé. Une barbe d’une semaine, les cheveux en bataille.

- Bonjour belle endormie. Comment tu te sens ?

- Perplexe.

- Je veux bien le croire.

- Qu’est-ce que je fous ici ?

Elle ne comprit pas le sourire qu’il esquissa avant de lui répondre.

- Tu as trop bu. Tu es tombée et tu t’es ouvert le crâne sur la table basse de ton appartement. Ça fait une semaine que tu nages dans ton sommeil.

- Je comprends mieux le bandage. Sérieux pourquoi tu ne m’as pas emmenée à l’hôpital.

- J’ai préféré m’occuper de toi moi-même.

- T’avais que ça à foutre ?

- Tu étais plus sympa quand tu parlais de notre bébé.

- De quoi ?

- Oui, tu as bien entendu. Mais visiblement tu ne te souviens d’aucun de tes délires.

Face à son silence, il se leva et sortit de la chambre. Après avoir rassembler ses forces et son courage, elle réussit tant bien que mal à prendre une douche et à s’habiller. Il y avait des vêtements à sa taille dans l’armoire. Bien qu’elle trouvât cela étonnant et quelque peu agaçant, elle ne s’en plaignit pas. C’était sans dire qu’elle n’avait pas trouvé sa tenue habituelle. Une fois habillée, elle prit le temps de s’observer. Ce qu’elle vit, semblait sortir tout droit d’un film de zombie. Une semaine … Cette histoire était à dormir debout.

Son estomac se rappela à son bon souvenir. Doc habitait un grand appartement au sommet du Mambo Pacifique. Un penthouse. Elle évoluait lentement mais surement dans le couloir et se retrouva baignée de lumière en arrivant dans la gigantesque pièce principale. Sur le côté se tenait une grande cuisine ouverte. Doc était entrain de préparer à manger et le café coulait.

- Ca sent bon.

- Oh, je ne t’ai pas entendu arriver. Attends je vais t’aider à t’installer.

- J’ai bien envie de t’envoyer sur les roses mais je suis trop fatiguée.

Assise sur la chaise de bar, elle regarda arriver sur la table, un bol de riz, des légumes, un pavé de truite et du café.

- Génial. Un petit-déjeuner digne d’un champion.

- Mange lentement.

- Oui papa.

- Je ne blague pas John. Ça fait une semaine que tu n’as rien mangé de solide. Mange lentement.

Doucement mais surement, elle attaqua son repas.

- Laura …

- Mmh ?

- Ne me refais plus jamais ça. Plus jamais…

Elle allait lui asséner une de ses piques habituelles puis se ravisa quand elle croisa son regard et son visage fatigué. L’inquiétude qu’elle vit soulignait la gravité de sa voix tremblante. Elle hocha la tête d’un air entendu.

Doc ne lui avait pas laisser d’autre choix que de rester auprès de lui le temps de sa convalescence. Il lui fallut quelques semaines encore avant d’être complètement rétablie. Durant cette période, leur relation avait pris un autre tournant. Elle n’aurait pas su dire ce qui avait changé mais c’était différent. Au moment de partir, elle se sentit déchirée. Elle voulait rester avec lui et se sentir en sécurité. Sur le pas de la porte, elle l’embrassa pour lui dire au revoir. Il répondit à son baiser avec beaucoup de tendresse. Elle partit le cœur lourd et la tête pleine de doutes.

Sur le chemin du retour, des flashs lui traversèrent l’esprit. Ce foutu Martini. Devant la porte de son appartement, elle resta statique un moment. Puis, elle prit ses clefs et ouvrit. Un véritable foutoir d’alcoolique. Voilà dans quoi elle vivait. Le sang avait séché sur le sol et avait imbibé des dossiers. Quelle merde. La colère lui monta d’un coup et elle se décida à mettre de l’ordre. Elle jeta ses bouteilles vides et ses bouteilles pleines. Rangea et nettoya tout ce bordel. Une fois que cela eut l’air d’un endroit viable, elle se mit à revoir tous ses dossiers pour ranger et classer. Et c’est là qu’elle tomba dessus. Le dossier qui lui avait coûté sa carrière. Qui avait tué Sonia. Par automatisme elle alluma une clope et se leva pour se servir un verre. Elle sourit. Il n’y avait plus de Martini et elle n’irait pas en chercher. Elle revint vers le dossier posé sur le bureau maintenant bien rangé. Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas rouvert. Alors qu’elle regardait des photos des différents suspects, elle les aperçus. Peters et le fils du Maire Duncan. Ils étaient en arrière-plan sur un des clichés pris durant la filature d’un suspect qui avait été écarté. Il s’agissait d’un lieu très bien fréquenté à l’époque et d’autres figures publiques se trouvaient là au même moment. Cela n’avait pas lieu de s’en pré occuper. Mais aujourd’hui … Elle devait en avoir le cœur net.

Devant son évier, les deux mains sur le rebord, elle se souvenait. La gorge serrée, la boule au ventre. Elle sentit les larmes monter et cette fois il n’était pas question qu’elle les accompagne avec de l’alcool. Non. Cette fois, elle allait faire les choses bien. Un sentiment étrange la traversa. L’image de Gabriel lui vint à l’esprit aussi clairement que la lumière de la pleine lune lorsque le ciel est dégagé. Elle prit son téléphone et l’appela. Quelques minutes plus tard elle était en route sous un soleil de plomb. Un fois un bas du petit immeuble qui disposait d’un étage, elle prit une profonde inspiration. Il était temps d’affronter ses démons. Elle posa la main sur le bouton d'ouverture de la porte vitrée qui donnait sur le hall d’entrée. A peine rentrée, un homme de haute stature fit irruption. Il descendait de l’escalier à vive allure. En passant près d’elle, son épaule percuta Laura. Il sentait fort le cigare. Très musclé, il avait une casquette vintage sur la tête et des tatouages sillonnaient ses bras. Elle reconnut le symbole du Cartel. D’instinct, elle courut jusqu’au bureau de Gabriel. Il était au sol. Il essayait tant bien que mal de se relever. Son visage était tuméfié et du sang tachait sa chemise. Elle s’approcha et l’aida. Installé dans le fauteuil il la remercia alors qu’elle cherchait une trousse de secours. Elle en trouva une et se mit à désinfecter les coupures sur les lèvres de Gabriel. Le silence laissa la place à un certain malaise.

- Tu veux en parler ?

- On se tutoie maintenant ?

- Ouais, alors tu me racontes ?

- C’est toi qui es censée me parler. En règle générale c’est comme ça que cela se passe.

- En règle générale, tu n’accueilles pas tes clients dans cet état.

- Des patients. Pas des clients.

- Si tu veux. Il te voulait quoi ce type ?

- Je n’en sais rien.

- Tu n’en sais rien ?

- Non.

- Un mec monté comme une armoire à glace entre dans ton bureau, te passe à tabac et tu ne sais pas pourquoi ?

- Non je n’en sais rien Laura ! Le petit ami mécontent d’une patiente peut-être ? Qu’est-ce que j’en sais moi !

Il souffrait clairement de ses blessures et se tortillait en parlant. Quelque chose clochait. Son discours ne collait pas avec son attitude. Il mentait. Avec le temps, elle s’était rendu compte que le corps disait toujours la vérité alors que les mots pouvaient être menteurs.

- Une patiente dont le mec fait parti du cartel le plus influent de la ville serait ta patiente et ne t’en aurait pas parlé ?

- Franchement Laura … Je viens de me faire agresser.

- Est-ce que tu peux me le décrire ?

- Mais arrête à la fin !

- Tu vas porter plainte ?

- Pour quoi faire ? Ce mec fait partie du cartel. Les flics ne feront rien.

- Donc tu l’admets …

- Admettre quoi !

- Que tu sais que ce type est un agent du cartel.

- Mais enfin c’est toi qui viens d’en parler.

- Bon sang Gabriel ! Il avait un tatouage qui représente le gang le plus gros du milieu de la drogue !!! Ne me dis pas que tu ne sais pas pourquoi il est venu te péter la gueule dans ton bureau !?

- Non j’en sais rien !

- Bon, d’accord. Viens, on va à l’hôpital te faire examiner.

- Merci.

Ils partirent à l’hôpital. Les urgences étaient bondées. Ils y restèrent quelques heures avant de passer devant un médecin. Après un rapide contrôle, quelques soins supplémentaires et un sachet de comprimés anti-douleur, Laura ramena Gabriel chez lui. Il vivait non loin de son bureau et de chez elle. Son appartement n’était pas très grand mais il était fonctionnel et confortable.

- Tu veux une bière ?

- Non ça ira. Je vais rentrer chez moi.

- S’il-te-plaît, reste.

Il s’approcha d’elle. Il remarqua une petite cicatrice assez récente sur le haut de son front.

- Que s’est-il passé ?

- Les risques du métier.

Il embrassa doucement la petite plaie refermée. Elle le laissa faire. Hésitant, il approcha ses mains de son tee-shirt. Elle ne bouga pas en planta son regard dans le sien. Plus confiant, il passa ses mains sous le tee-shirt de Laura. Ils ne s’embrassèrent pas. Il avait bien trop mal. Elle resta. Au réveil, Gabriel dormait à poings fermés. Elle ne comptait pas en rester là. Un type du cartel s’en était pris à son psy et son petit doigt lui disait que ce n’était pas une coïncidence. Un léger mouvement de l’autre côté du lit indiquait qu’il allait bientôt se réveiller et elle ne voulait pas être là quand il ouvrirait les yeux. Rapidement et silencieusement elle se prépara et fila sans demander son reste.

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